Colin-Maillard

Auteurs : Quiney (J.-S.)
Parodie de : Tarare de Beaumarchais et Salieri
Date: juillet 1787
Représentation : juillet 1787 Théâtre des Associés (Théâtre Patriotique)
Source : ms. BnF, fr. 9254
Remarques :
Le manuscrit porte un permis de représentation daté du 23 juillet 1787.
Monsieur M[...] Q[uiney]

Colin-Maillard


Comi-parodie de Tarare, en deux actes et en vers

[1787]
Ms. BnF, fr. 9254
definitacteur, colin-Maillard ColinMaillard
definitacteur, sacra d’aguelle SacraDaguelle

Acteurs


Rata, ancien serrurier général, sujet d’Espagne et amant d’Almantine
Colin-Maillard, intendant de Rata
Almantine, épouse de Colin-Maillard
Oragif, valet de Rata
Rapinette, suivante au service de Rata
Dandin, Bailli d’Espagne
Samsonnet, jeune auteur et fils de Dandin
Sacra D’aguelle, vieille tireuse de carte de village
Tirebécasse, garde de chasse de Rata
Un paysan
Troupe de paysans
La scène se passe dans le vestibule du château d’Espagne.

Colin-Maillard


Acte i


Scène i

dandin, samsonnet

dandin
Eh bien, mon fils, as-tu fini ta comédie ?
Dans les scènes, as-tu versé plus de sotie ?
Sans paraître un grand Grec, je sais que nos auteurs
Doivent flatter l’esprit, en corrigeant les mœurs,
Sur le ton amusant toujours monte ta lire,
Tu seras applaudi si tu peux faire rire.
Je t’ai longtemps prié d’être badin, plaisant,
Et de bien dessiner ton rôle d’important.
Il ne faut pas, mon fils, tromper mes espérances,
De l’objet que tu peins sentir bien les nuances
Le plus que tu pourras, assortis les couleurs.
Un heureux coloris captive tous les cœurs,
De tes détails surtout bannit l’extravagance,
Et toujours au bon goût donne la préférence.
samsonnet
Mon père, dans mon plan j’ai suivi vos leçons.
dandin
As-tu changé tes vers et varié tes tours ?
samsonnet
Je ne m’arrête pas au bon choix de la rime.
dandin
Tant pis, mon fils, tant pis.
samsonnet
et pourvu qu’elle exprime
Mes désirs ; mes esprits peignent mes sentiments
Que faut-il d’avantage ?
dandin
Un peu plus de bon sens
Et vous pourrez sentir comme il est nécessaire
Qu’en vivant un auteur soit un juge sévère.
Son drame quelque fois pèche par l’action,
On l’excuse s’il a choisi l’expression.
Un style négligé prouve la décadence,
Un style dur et sec affiche l’ignorance.
Mais qu’avez-vous donc fait depuis votre retour ?
Vous avez lu la nuit et dormi tout le jour
J’en suis certain.
samsonnet
Mais non.
dandin
De votre comédie,
Vous n’avez pas encore soigné la poésie.
samsonnet
Mon père, auparavant de travailler mes vers,
Dans mon plan j’ai tracé des changements divers.
dandin
Voyons mon fils.
samsonnet
J’ai cru que de la vraisemblance
Il ne fallait jamais offenser l’apparence.
dandin
Sublime sentiment !
samsonnet
Et telle est la raison
Qui guide mon esprit dans la correction.
D’abord, j’ai retranché la scène monstrueuse
Du prologue où du sein de la mer orageuse
S’échappait ma déesse en tombant sur les fleurs.
dandin
Pourquoi ?
samsonnet
J’ai redouté de nos vents les fureurs.
dandin
Et qu’importent les vents !
samsonnet
Écoutez-moi, mon père,
Et vous ne ferez point paraitre de colère ;
On ne peut se cacher que ma divinité
Eût montré dans son jeu trop de témérité.
Assise dans un char conduit par un nuage
Bravant et les éclaires, le tonnerre et l’orage,
En tombant, elle avait cette célérité
Que l’on donne en partant au ballon bien lesté ;
Mais ce char suspendu par des cordes légères
Eût sans doute éprouvé des coups de vents contraires.
Jugez quel eût été mon chagrin, mes regrets,
Si s’opposant en vain à leurs bruyants effets
Il se fût fracassé dans sa chute funeste !
J’eusse alors hérité de la fureur d’Oreste.
Ma comédie aurait fini en commençant
Et pour comble de maux, de peines et d’accident,
Peut-être j’aurais vu ma déesse brisée
Pleurer ses bras meurtris ou sa jambe cassée.
dandin
Je t’approuve mon fils, tu me parais prudent.
samsonnet
D’ailleurs, je n’aurais pas trouvé facilement,
Convenez-en, mon père, une célèbre actrice Le manuscrit porte en note : \guill les bons esprits prétendent que le rôle d’Astasie fut offert à madame de Saint-Huberty qui le refusa. Doit-on les croire. PB
Qui pour mes yeux fripons eût fait le sacrifice
De tenter, sans profit, le voyage des airs
Et de courir après la foudre et les éclairs.
dandin
Je le crois. Mais Rata dans ce jardin s’avance.
samsonnet
Il a l’air furieux.
dandin
Évitons sa présence.

Scène ii

rata, oragif

oragif
Qui penserait jamais qu’un seigneur campagnard
Depuis longtemps veuillent perdre Colin-Maillard Le manuscrit porte deux vers biffés : \guill Tel est l’excès bizarre où vous porte l’amour / Que votre humanité s’aveugle au plus grand jour. PB ?
rata
Tais-toi, cher Oragif... point de sanglant reproche
Ou je te fais demain repartir pour le coche.
Je ne badine pas : il faut en cet instant
Être plus circonspect et moins récalcitrant.
oragif
Mais, Seigneur, songez-vous que ma délicatesse...
rata
Je songe que tu dois respecter ma tendresse.
Tu n’es plus à mes yeux l’intrigant Oragif
Dont la finesse attire et l’œil perçant et vif,
Distinguant avec art des beautés ravissantes,
Me préparait un choix de timides amantes.
oragif
Que voulez-vous ?
rata
Je veux que tu sois plus soumis.
Tu deviendras bientôt un de mes ennemis.
oragif
Tout comme il vous plaira.
rata
D’où nait cette impudence ?
Je suis tout ébaubi\definition Ébaubi étonné, surpris d’admiration. Il est populaire et ne s’emploie qu’en plaisantant. \acad 1762 de ton indifférence ;
Autrefois, Oragif, tu m’étais attaché.
oragif
De vous voir soupirer, je suis un peu fâché.
Vous, Seigneur, qui sortez du sein de la finance,
Vous, à qui nous donnons le titre d’excellence,
Vous êtes le rival d’un de vos intendants !
Que diront de vos feux, Seigneurs vos descendants ?
Votre postérité, le public sont à craindre.
rata
Je suis trop embrasé rien ne peut me contraindre,
Parents, amis, voisins, seigneurs et financiers
Non, n’éteindront jamais le feu de mes foyers.
Je ne diffère plus... Au retour de la chasse,
Suivi de ces deux fils, ce soir, Tirebécasse
Doit ravir Almantine et, sur son traversin,
Lier Colin-Maillard s’il agit en mutin.
Mes ordres sont donnés... Ce soir ...
oragif
Quelle faiblesse !
rata
Qui peut donc t’engager à trahir ma tendresse ?
oragif
En faveur d’Oragif, montrez moins de rigueur.
rata
Ton obstination réveille ma fureur.
oragif
J’implore malgré vous, Seigneur, votre clémence,
Oragif est sensible à la reconnaissance.
Il m’en survient hélas ! et c’est l’hiver dernier
Que sieur colin-Maillard me tira du gosier
Un os qui séjournait depuis une semaine.
Je ne pouvais manger, et des veaux de la Seine
Je buvais le matin sans en sentir le prix
Trente ou trente-cinq pots, mesures de Paris
Ah, tel qu’un lazariste alors j’étais éthique !
Je semblais un Français qui revient d’Amérique
Et mon minois friand et mon teint effacé
Annonçaient à chacun l’état d’un trépassé.
Je séchais sur mes pieds, sans avoir l’espérance
De reparaître un jour sur l’Opéra de France.
Pour moi, vous-même avez eu l’extrême bonté
D’épuiser les trésors qu’offre la faculté
De son savoir savant le pater du village,
Avait développé le brillant étalage,
Mais sa main indocile à l’opération
Me laissa moribond faute de guérison.
Soudain, d’un testament je traçai la tournure,
Quand, touché de mes pleurs de ma triste figure
Le sieur Colin-Maillard, Seigneur, votre intendant,
Votre rival, celui que vous haïssez tant,
Dans mon immense bec veut insérer sa pince,
Pour lui, de me guérir l’honneur n’était pas mince.
L’éclair paraît moins prompt que son autorité
Il l’enfonce et ramène avec légèreté
Les guide [...] mon gosier. [...] ce passage
De mes sens aussitôt je recouvrai l’usage.
Mon appétit glouton, un embonpoint parfait
Vous sentez bien, Seigneur, qu’après un tel bienfait
De mon libérateur, le destin m’intéresse.
rata
De ton libérateur, j’enlève la maîtresse.
Tirebécasse vient...

Scène iii

les précédents, tirebécasse

tirebécasse
Almantine en ces lieux,
Seigneur...
rata
Tirebécasse, eh bien, de ces beaux yeux
Voit-on couler des pleurs ?
tirebécasse
Beaucoup.
oragif, à part
La pauvre femme.
rata
Je l’attends, Oragif, pour lui prouver ma flamme.
À Tirebécasse.
Comment avez-vous fait pour trouver sa maison ?
tirebécasse
Nous avons doucement renversé la cloison
Et nous sommes entrés en gardant le silence ;
Alors la dame autour filait à toute outrance.
rata
Et son époux ?
tirebécasse
Seigneur, son époux est absent.
oragif, à part
Comme il tempêtera !
rata
Dans son appartement
Vous a-t-on aperçu ?
tirebécasse
Mon maître, âme qui vive.
Sur les mains de mes fils, j’ai mis votre captive,
Ils l’apportent sur l’heure.
rata
Ah, que je suis content,
De joie et de plaisir mon cœur va sautillant.
À Oragif.
Je vais donc, Oragif, admirer ma conquête
Réponds-moi ! Tout est-il disposé pour la fête ?
Des bergers du canton, marquis ou pastoureaux
Viendront-ils en dansant au son des chalumeaux ?
oragif
Oui, Seigneur.
rata
De tes soins, mon cher Tirebécasse,
Pour te récompenser ne garde plus ma chasse :
Deviens maître d’hôtel.

Scène iv

les précédents, les fils de tirebécasse, almantine, rapinette, quelques garçons jardiniers et gardes chasses

Les fils de Tirebécasse portent sur leurs mains croisées Almantine et la déposent au milieu du théâtre.
rata, fièrement
Voilà ton souverain.
tirebécasse
Approchez Almantine et donnez-lui la main.
almantine, à Rata
À ce traitre... Cruel ! Ton rapt est une injure
Contraire au droit des gens, au droit de la nature.
rata
Modérez vos transports...
almantine
Indigne ravisseur !
oragif, à part
Sa situation me déchire le cœur.
rata
Excusez votre maitre, adorable Almantine !
almantine
Tu m’es plus odieux qu’un magot\definition Magot gros singe [...] familièrement un homme fort laid \acad 1762 de la Chine.
rata
Avez-vous réfléchi, sur un tel compliment ?
Prononcez sur moi-même un autre jugement.
Ma charmante, il est vrai que de votre présence,
En tyran inhumain, j’obtiens la jouissance
Mais pardonnez ma faute à la plus vive ardeur,
Ne me regardez pas comme un persécuteur,
Oui ma reine, à vos pieds, à vos pieds ma princesse
Je dépose mes biens, mes terres, ma richesse
Il sort un contrat de sa poche.
En voici le contrat. Hélas ! Elle est le fruit,
De plus d’un malheureux à l’hôpital réduit
Ah, n’en dédaignez pas la moitié ravissante !
Je partage avec vous, comme avec mon amante,
Je suis doux, complaisant, honnête et bon enfant
Le jour, toute la nuit, je serai caressant,
Vous serez avec moi, ma jolie Almantine,
Tel que l’on voit Pierrot avec sa Colombine.
Sans cesse auprès de vous, moi seul aux petits soins
Je veux à votre insu deviner vos besoins.
Si vous vous ennuyez de vivre à la campagne,
Aussi prompt que le vent, je quitte la Champagne,
Je vous mène à Paris, ah c’est là mon bijoux
Que l’on vous apprendra ce que vaut un époux
En ce charmant pays, ce paradis de France,
Vous verrez les plaisirs voltiger en cadence.
Ils vous entoureront, ils seront vos amis,
Tant qu’à vos volontés je paraitrai soumis.
Dans les jours du printemps, aux boulevards du Temple,
Vous serez des vertus le modèle et l’exemple.
Je vous y conduirai dans un beau phaéton
Ayant jockey français et gentil postillon
Enfin tout à mon gré, festins, spectacle, danse
À vos yeux offriront le prix de l’existence
Soyez reconnaissante, Almantine, aimez-moi.
almantine
Mon cher Colin-Maillard
Elle tombe évanouie dans les bras de Rapinette.
rata
Je suis saisi d’effroi !
À son garde chasse.
Dis, qu’a-t-elle ? Réponds !
le garde chasse, la regardant
Sa prunelle est mourante.
rata
De sa mort tu m’apprends la nouvelle affligeante.
Il court au garde chasse et lui tire les oreilles.
Imbécile ! Impudent !
rapinette, à part
Le vilain garnement.
almantine, soulevant la paupière
Mon cher Colin-Maillard !
rata
À mon amour brûlant,
Oragif, vient s’unir le feu de la colère.
Elle ne m’aime pas... oui, je me désespère.
C’en est trop, son refus irrite mon courroux,
Amour, Rage, fureur, je n’écoute que vous !
rapinette
Rapinette, Seigneur, pour elle vous implore.
rata
Rapinette... Sens-tu qu’elle me déshonore ?
Maltraita-t-on jamais l’amour d’un financier ?
Je n’y puis plus tenir, que dans mon colombier
On l’entraîne aussitôt ; gardes, veillez sur elle
Obéissez !
Les gardes reprennent Almantine.
rapinette
Seigneur !
rata
Oragif, mon fidèle !
oragif
Apaisez-vous un peu, n’ayez pas tant d’humeur
rata
Oragif, qu’on la traite avec quelque douceur.
oragif
Seigneur, qui voulez-vous qu’auprès d’elle l’on mette ?
rata
La concierge. Partez !
oragif
L’aimable Rapinette.
Oragif et Rapinette suivent Almantine.

Scène v

rata seul

rata
Pour vous faire adorer, semez l’argent et l’or,
Montez des diamants, ouvrer votre trésor
Eh bien, tout cet éclat, qui dans la capitale
Ravit, charme, éblouit, rassemble la cabale,
Qui d’un jeune tendron attire les appas,
Et souvent fait donner des titres qu’on n’a pas,
Sur un cœur villageois n’a pas plus d’avantage
Qu’un mari de la ville en a dans son ménage.
Almantine le prouve  : ah son nom me séduit.
Je ne dois son aspect qu’au bras que j’ai conduit,
Qui pour la posséder violant la justice
De la force en secret j’employais l’artifice.
Je l’enlève... j’ai tort... Au doigt chaque passant
Montrant s’écrira : Tiens, voilà ce méchant,
Ce monstre, ce tyran, ce suppôt de la ferme,
Qui dans son colombier sans pitié renferme
Les beautés qu’il ravit sans l’aveu des époux
Le voilà, ce voleur... On vient. Modérons-nous.
Ah, c’est Colin-Maillard...

Scène vi

rata, Colin-Maillard avec habit noir, chapeau baissé, une longue pleureuse sur la manche droite

rata, effrayé
Quelle figure hideuse !
Pourquoi ces vêtements, celle longue pleureuse
Ce crêpe funéraire et ce chapeau baissé ?
Quelqu’un de vos parents n’est-il point trépassé ?
Éloigne-toi, ce deuil jette du noir dans l’âme ;
Il pleure encor son chien.
ColinMaillard
Non, mon maître, ma femme,
Almantine...
rata
Ta femme ?
ColinMaillard
Almantine, grands dieux !
rata
Eh bien ?
ColinMaillard
Seigneur
rata
Eh bien ?
ColinMaillard
Plusieurs audacieux...
rata
Achève donc.
ColinMaillard
Pendant le temps de mon absence
Ont pillé ma maison, pris avec violence
Mon épouse, Seigneur, qu’ils portaient sur leurs mains.
Le petit Pierre a vu s’enfuir les inhumains.
rata, à part
Que dit-il...
ColinMaillard
Les cruels d’un pêché d’Angleterre,
Pour passer, ont coupé la tige toute entière
Elle est dans mon foyer, enfin, dans mon manoir,
Ils n’ont rien respecté qu’un buffet à tiroir !
rata
Ou peut-être, surpris d’une telle aventure,
Pierre a-t-il remarqué des délinquants l’allure ?
ColinMaillard, pleurant et tirant un mouchoir pour essuyer ses yeux
Non... j’en mourrai.
rata
À part.
Tant mieux...
À colin-Maillard.
Pleure. Comme une benêt
Qu’un lourdaud magister frappe du martinet.
ColinMaillard
À mon chagrin amer, ah pardonnez mes larmes !
Almantine, ma femme, à pour moi trop de charmes.
Vous connaissez beaucoup cette tendre moitié,
D’elle et de son mari, Seigneur, ayez pitié,
J’ai toujours avec soin régi votre intendance.
rata
Pour toi, colin-Maillard, que pourra ma puissance ?
ColinMaillard
Mon but est de courir après le ravisseur
Pour m’aider donnez-moi deux gardes, Monseigneur.
rata
Réfléchissons un peu... Je cède à la prière
Si tu veux m’obliger, mais d’une autre manière
Jure que tu consens que, sensible à mes feux,
Ma maîtresse à mon gré favorise mes vœux.
Jure...
ColinMaillard
Non, non, Seigneur...
rata
Jure...
ColinMaillard
Non.
rata, le prenant par le bras
Qui t’arrête ?
ColinMaillard
Le tonnerre des dieux va gronder sur ma tête
Dans un moment de rapt où je suis courroucé,
Mon Seigneur, un serment me paraît mal placé.
Pour sermenter, il faut se posséder soi-même
Et je suis dévoré par une rage extrême
Mon cerveau n’est pas frais...
rata
Jure, lève la main !
ColinMaillard
Pour ma commodité, remettez à demain.
rata
Point du tout. À l’instant, redoutez ma vengeance !
ColinMaillard
J’en atteste le ciel, l’amour, votre éminence,
Il lève le pied.
Je jure que je veux ce que veut mon Seigneur.
rata
Ce serment n’est pas clair.
ColinMaillard
Il est celui du cœur.
rata
Fort bien, je te comprends... des soins de la régie
Dispense-toi...
Voyant paraitre Dandin.
Dandin...

Scène vii

les précédents, dandin

dandin
On n’a vu de la vie
Un vacarme semblable, un pareil remuement,
On crie, on court, on fuit, on craint, on est tremblant.
Vos vassaux sont noyés dans le plus grand désordre,
Pour l’arrêter, Seigneur, je n’attends que votre ordre.
rata
Qu’est-il donc arrivé ?...
dandin
Par les loups enragés,
Nos moutons, nos brebis, tous nos choux sont mangés.
En foule on les entend hurler dans la grand’rue
Et personne ne veut souffrir leur entrevue.
rata
Que faire ?
dandin
Les chasser, ou vous et moi demain,
De ces vils animaux rassasieront la faim,
Vraiment...
rata
Les paysans ne volent pas aux armes ?
dandin
Ils sont plus morts qu’en vie, ils sont tous en alarmes.
rata
Sage et digne Dandin, vous avez le pouvoir
De prescrire à la [...] un rigoureux devoir.
Usez mon cher Bailly, de votre ministère
Rassemblez les vallées qu’on déclare la guerre
À ces croqueurs des choux, ces mangeurs de moutons !
Pour les mieux attraper, formez des pelotons.
dandin
Vous savez en ce cas que chacun se débande
Je crois qu’il est prudent qu’un major les commande.
rata
Lequel choisissez-vous...
dandin
Le sort décidera.
rata
Eh bien, allons chercher la D’aguelle Sacra,
La tireuse de carte, et qu’elle nous apprenne
Celui que nous devons choisir pour capitaine.
Le temps presse partons,
À part.
Je vous fuis pour raison.
dandin
Vous m’instruisez, Seigneur, de votre intention.

Scène viii

colin-Maillard seul

Malheureux que je suis !... Je n’ai plus rien au monde
Qui puisse me flatter dans ma douleur profonde.
Je n’ai plus Almantine... Il me semble la voir
Pour parer ses cheveux consulter le miroir ;
Mes regards surprenaient ses yeux à la toilette,
Je l’embrassais souvent, elle était satisfaite.
Nous goutions entre nous les douceurs de la paix
La froide inimitié ne nous troubla jamais.
Le matin, de tout cœur, je courais à l’ouvrage,
Elle de son côté travaillant au ménage
S’amusait à jaser avec son perroquet,
Et le soir nous faisions quatre cent de piquet Il s’agit d’un jeu de cartes. PB
Je ne la verrai plus...

Scène ix

colin-Maillard, oragif

oragif, courant
Ami, je vais t’apprendre,
Que tu pourras revoir ton épouse si tendre.
ColinMaillard
Oragif, que dis-tu ?
oragif
Je dis la vérité,
Sois sûr, colin-Maillard, de ma sincérité.
ColinMaillard
Cher...
oragif, l’interrompant
Ne m’interromps pas... écoute, le temps presse :
C’est le cruel Rata qui ravit la maîtresse
À son Tirebécasse il confia ce soin.
ColinMaillard
Quoi, Rata, mon seigneur, serait mon assassin Le manuscrit porte biffé : \guill Oragif : Ne babille pas tant ou je prendrai la fuite / Colin-Maillard : Oh, si tu t’enfuyais, j’irais à ta poursuite !. PB ?
oragif
Tais-toi de grâce, apprends qu’ici pour ton amante
Il se donne ce soir une fête galante.
ColinMaillard
Eh bien ?
oragif
Encor...
ColinMaillard
Non, dis...
oragif, mystérieusement
[...] Dandin
Pourra dans ce moment entrer dans le jardin
On n’y souffrira point aucune autre personne.
ColinMaillard
Si...
oragif
Peut-on violer l’ordre que Rata donne ?
Non... Mais de le tromper je trouve le moyen
Écoute mon projet, surtout saisis le bien :
Quoiqu’on soit en hiver, traverse à la nage
Les fossés du château...
ColinMaillard
Comment ?
oragif
Que ton courage
Ose de cette route affronter le danger.
Une corde tendue à l’angle du verger...
On entend du bruit.
On vient, adieu...
Il fuit.
ColinMaillard
Je sens renaître l’espérance,
Oragif soit certain de la reconnaissance.
Ah, ma chère Almantine !

Scène x

rata, colin-maillard, dandin, samsonnet, sacra d’aguelle, troupe de paysans armés les uns de fourches, les autres de pioches

La scène s’ouvre par une marche, deux paysans portent une table qu’ils posent dans l’enfoncement du théâtre devant Sacra d’aguelle lorsque la marche est finie :
SacraDaguelle
Amis, dans ma vieillesse
Vous consultez encor ma profonde sagesse
Comme vous, l’univers encense mes consœurs
Les cartes font fortunes où l’on voit des docteurs.
dandin
Tirez-les promptement, respectable D’aguelle.
SacraDaguelle
Sans balancer Dandin, ma main docte et fidèle
Va découvrir mes jeux.
Elle tire de sa poche plusieurs jeux de carte qu’elle arrange sur la table.
samsonnet, à Dandin
Ah ! Si j’étais heureux !
Mon père, le destin protègera mes vœux
Je serai commandant.
SacraDaguelle
Le destin, votre maître,
M’apprendra, Samsonnet, qui d’entre vous doit l’être,
Je commence Dandin...
dandin
Silence, chapeau bas !
SacraDaguelle, présentant un jeu de carte à Rata
Coupez, Seigneur, coupez.
rata
Je ne couperais pas
À Dandin.
Dandin me représente.
SacraDaguelle, à Dandin
À vous.
Dandin coupe.
SacraDaguelle, en examinant les cartes
Un roi de pique,
Une reine de cœur... ce choix est magnifique.
samsonnet
Pour moi...
SacraDaguelle
Non... Taisez-vous... un valet de carreau
Qui se trouve partout.
samsonnet
C’est donc un Figaro.
SacraDaguelle
Le bavard... je me chauffe... un instant, je prononce.
Pour major, paysans, le destin vous annonce :
Examinant la carte.
Co... Co... Colin-Maillard
les paysans
Colin-Maillard !
samsonnet
D’aguelle
Vous portez dans mon sein, une frayeur mortelle.
À Dandin.
Je ne le ferai point...
dandin
Oui, c’est un accident,
Console-toi mon fils...
rata
Le peuple est-il content ?
Le peuple par un signe de tête assure qu’oui.
dandin
Oui...
rata, à Colin-Maillard
Pars Colin-Maillard, et dans tout le village
Sur les loups enragés fait pleuvoir le carnage.
Mais surtout ne revient qu’en m’apportant les corps
De ceux qui sous les coups de tes bras seront morts.
La marche recommence.

Acte ii


\scene[Le théâtre représente un jardin très obscur. À gauche, on aperçoit une échelle de soie flottante, un peu plus bas un soupirail de cave, plusieurs réverbères sont ça et là suspendus.] oragifseul
oragif, seul, allumant les réverbères
Quelle vile besogne ici-bas l’on me confie,
Pour éclairer ces lieux, j’allume la bougie.
Après un moment de réflexion.
Quand je joue à ravir le rôle d’intrigant,
À quoi bon me donner celui de confident ?
J’aurais dû me tenir dans le conservatoire,
Ou du moins demeurer chanteur à l’oratoire.
J’aurais passé mes jours dans les bras du repos
Et j’aurais existé sans éprouver de maux.
[...] individu, cherchant la nonchalance,
Eût vacillé sans peine au gré de l’indolence
Et séduit par les sons, la fraîcheur de ma voix
À mon char, j’aurais vu plus d’un joli minois.
Dans ce cas, il est vrai, le bruit de la gloire
N’eût pas gravé mon nom au temple de mémoire,
Le public n’eût pas su ce qu’Oragif valait
Et d’un laid Figaro dédaignant le caquet
Je n’eus pas à sa mort dérobé son intrigue
Mon corps ne serait pas écrasé de fatigue
Et mon âme paisible en mon obscurité
N’aurait pas à rougir d’un vol prémédité !
Enfin je me repens de m’être fait connaître
Souvent l’être ignoré gagne à ne point paraître.
Après voir allumé les réverbères, entendant du bruit.
Qui va là ?

Scène i

dandin, oragif

dandin
Dandin.
oragif
Bon, approchez.
dandin, poussant un long soupir
Oragif !
oragif
Quel est donc le sujet de ce soupir plaintif ?
Lors que dans ce séjour on respire la joie,
Votre paupière est triste et dans les pleurs se noie.
dandin
Ah, mon fils !
oragif
Samsonnet ? Quel accident fâcheux ?
dandin
Tu sais, cher Oragif, qu’il était courageux !
Sensible plus qu’un autre, et surtout magnanime,
Lui qui pour me chanter n’employait que la rime
Jaloux d’être major et n’étant pas nommé
Cédant à son chagrin, de regret consumé,
Mon fils, acteur déjà, poète sans grimace,
Lui que l’on invitait à dîner au Parnasse
En rentrant au logis dans mon puits s’est jeté.
oragif
Est-il mort Dandin ?
dandin
Non... après lui j’ai sauté
Et je l’ai retenu par une de ses manches.
Par bonheur, il avait son habit des dimanches.
À l’instant la frayeur a saisi son esprit,
Il repose, Oragif, il s’est mis dans son lit
oragif, surpris
A-t-il du mal ?
dandin
Aucun.
oragif
Grâce à votre prudence.
dandin
Mais, dis-moi... les bergers sont-ils prêt pour la danse ?
Mon seigneur va venir.
oragif
Tout de suite ?
dandin
À l’instant.
Se promenant.
De ton zèle, Oragif, comme il sera content !
oragif
Tant mieux, Monsieur Dandin, s’il peut le satisfaire.

Scène ii

rata, les précédents

rata, couvert d’un habit chamarré d’or
Oragif a trouvé le secret de me plaire,
Partout ces lampions avec goût sont placés  ;
Ils ne sont point confus, ils sont bien disposés,
Ils répandent partout une clarté brillante.
Après un moment de silence.
Je vais donc en repos jouir de mon amante
Moi-même j’ai fermé la grille de la cour,
On n’y pourra demain entrer qu’au point du jour.
J’en ai serré la clef dans mon grand secrétaire
dandin
Ce moyen, Monseigneur, était très nécessaire
Pour vous mettre à l’abri de mille curieux
Qui la nuit sont des chats et cherchent tout des yeux.
rata
Je suis un vieux routier rempli d’expérience.
oragif, à part
Plutôt un vieux cafard digne de la potence.
rata
Oragif conçois-tu de l’excès de mon bonheur ?
Tu me parais maussade et de mauvaise humeur
De ton front sourcilleux, éloigne la tristesse,
Et de ton souvenir célébrer la tendresse.
Vois comme ce jardin invite à la gaité !
Ne te semble-t-il pas un jardin enchanté ?
Je soupçonne Ogarif que tu m’es infidèle
oragif
De la fidélité, je suis le vrai modèle.
rata
Eh bien, ressemble-moi, sois dispos et gaillard.
Ici, il saute lourdement.
Léger comme la plume, et voltigeur sans art ?
On entend dans le lointain le son de quelques instruments.
Déjà j’entends, Dandin, la fête qui commence.
La beauté de ces lieux, l’éclat de ma présence
Mes bijoux, mes brillants, mon teint rosé de lys,
Ma canne à pomme d’or et mon ton de marquis
D’Almantine charmée, éblouissant la vue.
Regardant dans l’enfoncement du théâtre.
Je la vois cher Dandin... mon âme en est émue.
Qu’elle est belle Oragif !
\scene[Des bergers, les uns vêtus grotesquement, les autres galamment, précédent l’entrée d’Almantine suivie de Rapinette, portée par les fils de Tirebécasse dans une niche ornée de guirlandes de fleurs... après qu’Almantine est déposée au milieu du théâtre, des bergers forment à l’entour d’elle quelques danses. Almantine est couverte d’une robe noire et d’un voile rouge, et Rapinette d’un petit juste
Pendant cette scène Oragif est inquiet et a presque toujours les yeux fixés sur l’échelle de soie.
rata, s’approchant d’Almantine
[...] par vos appas
Le plaisir, Almantine, accompagne vos pas
Et de jeunes bergers, la foule enchanteresse
Pour enivrer vos sens autour de vous s’empresse.
La reine de Paphos est moins belle que vous.
Commandez en ces lieux, je deviens votre époux
En amant langoureux, je vis dans votre empire,
Je veux respirer l’air que la beauté respire.
dandin, à Rata
Le compliment est beau.
rata
Mon cœur est mon souffleur.
almantine, à part
Mon cher colin-Maillard
rata
Ce nom me fait horreur.
Almantine, oubliez ce petit personnage,
Homme abject et rampant, homme de bas étage,
Pensez à ma famille, aux honneurs, à mon rang.
Rappelez-vous le père à qui je dois mon sang.
La Rappe, entrepreneur, me donne la naissance,
Je passai ma jeunesse au sein de la finance.
almantine
Que m’importe celui qui te donna le jour !
Cruel ! Tu me ravis l’objet de mon amour.
Monstre ! Je te méprise autant que je t’abhorre
Et puissè-je en mourant te le redire encore !
rata, à Oragif
Tu l’entends, Oragif ?
oragif, à Rata
Preuve de passion !
Le sexe toujours gronde en belle occasion.
rata, à Oragif
Tu me rassures...
À Almantine.
Mais n’êtes-vous pas contente
De voir ces lampions, cette fête galante,
Ce jardin qu’Oragif a si bien préparé ?
almantine
Je préfère, inhumain, ton colombier carré,
À ces jardins brillants, ton château magnifique
Là je ne trouve point de mouche qui me pique.
J’y déplore mes maux, j’y maudis mon malheur,
Et ce réduit obscur suffit à ma douleur
Parfois je m’entretiens avec les tourterelles
Je les vois se prouver leurs ardeurs mutuelles
Mon cœur est soulagé par cet aspect riant
Et je m’écrie  : hélas ! Je n’en puis faire autant !
dandin, à Rata
Seigneur, dans ce moment, son ton est moins sauvage
Pour l’adoucir encor, sur l’air du mariage
Ordonnez que l’on danse.
rata, aux bergers
Allons, marquis, bergers,
De six sols, [...] et de pas étrangers
Formez-nous un ballet.
À l’instant un ballet général et court commence.
Après le ballet.
rata
Bravo pour excellence !
À Almantine.
Comment le trouvez-vous ?
almantine
Je déteste la danse.
Mon cher Colin-Maillard !
rata, furieux et à part
Je ne puis résister
Elle a le diable au corps, j’en la fait emporter
Si ce nom odieux toujours sort de sa bouche.
oragif, à part, en regardant l’échelle de soie
Autant qu’elle je songe à celui qui la touche.
almantine
Mon cher colin-Maillard !
rata
Qu’on l’emporte  ! ... Non... Non...
Si ! ... non...
À Dandin.
Pour l’enchainer, Dandin, changeons de ton.
En chanson plaisamment contez-moi votre vie
À ce récit, joignez le sel de la saillie.
À Oragif et aux danseurs.
Oragif, vous, sauteurs, répétez le refrain.
À Almantine.
Et vous, belle inhumaine, écoutez mon Dandin.
Pendant que Dandin raconte de vie, Oragif est inquiet et a toujours les yeux fixés sur l’échelle de soie, des bergers représentent et dansent le refrain.
dandin
Je suis né natif de champagne
Là, pour ma première campagne\versfaux[Il y a une syllabe de trop.] \SR
Je courus chez un capucin
Aïe ! mi povero Dandin
Je dînai dans le réfectoire
Et de là, fatigué de boire
Je me couchai dans le jardin
Aïe ! caro bravo Dandin ! bis
medskip
Ma tête encore était bouillante
Quand d’un chien la voix glapissante
Vient à me réveiller soudain
Aïe ! mi povero Dandin !
Aussitôt franchissant la grille
Dans la cour je laissais mon drille
Sonner à loisir le tocsin
Aïe caro bravo Dandin. bis
medskip
Ne pouvant rentrer chez mon père
Je pris sur moi dans ma colère
D’exécuter de vieux desseins
Aïe ! mi povero Dandin !
Pour me venger de ma famille
Je vais à Paris, la grand ville
Voulant y montrer le latin
Aïe ! bravo caro Dandin ! bis
medskip
En arrivant, la voix publique
De votre palais magnifique
M’indique le plus court chemin
Aïe ! mi povero Dandin !
J’allais vous montrer ma tournure,
Epris de ma fringante allure
Vous me confiâtes [...]
Aïe ! bravo caro Dandin ! bis
medskip
Un matin qu’avec ma férule
Je raccommodai ma pendule
Que dérangea votre lutin
Aïe ! mi povero Dandin !
Afin d’endormir ma vengeance
Il me força par complaisance
De jouer à Colin-Maillard bis
rata, furieux, arrêtant l’air
Ah ! Dandin, l’infernal bavard ! bis
Tous les danseurs, ensemble
Colin-Maillard.
almantine
Moucher !
rata, à Dandin
Que l’enfer l’engloutisse !
Il faut donc à son tour que ta voix me trahisse !
Aux bergers.
Fuyez de ce séjour, redoutez mon courroux !
Il court après tous les danseurs la canne à la main comme pour les frapper. À l’instant, on aperçoit la tête de colin-Maillard qui sort du soupirail.
Bergerettes, bergers, je vous assomme tous.
Tout le monde fuit et Rata lui-même sort par l’endroit où est sortie Almantine, il laisse tomber son chapeau en fuyant.

Scène 3

colin-maillard, oragif
oragif
Ami, Colin-Maillard, c’est moi.
ColinMaillard
Ce cri m’arrête
Si tu n’eusse crié, je te tranchais la tête.
Je me crois découvert.
oragif
Non, non.
ColinMaillard
On m’a nommé.
oragif
Oui, mais chacun a fuit, de peur d’être assomé
Le regardant.
Ton aspect m’a frappé d’une frayeur mortelle
Pourquoi ne t’es-tu pas servi de cette échelle ?
Ton visage meurtri d’araignées est souillé.
Regardant ses cheveux.
Ton ruban est perdu, ton vêtement mouillé.
ColinMaillard
Emporté par l’ardeur, bouillonnant de courage,
Ami, dans le fossé, je me jette à la nage,
Je me vois sur le point de finir mon trajet
Alors, le croiras-tu ? Un énorme brochet,
Prêt à me dévorer, sur moi se précipite.
Je le sens, je m’esquive, il me suit, je l’évite,
Enfin longtemps en but à ces dangers nouveaux
En plongeant je débarque à terre entre les eaux.
J’ignore absolument l’endroit où je me trouve
De tout côté je cherche, enfin mon œil découvre
Un trou profond, étroit, c’était un soupirail.
Pour le rendre plus grand, je me mets au travail
Et bientôt m’y glissant, je tombe dans la cave.
Je la traverse, ami, sans épreuves d’entrave,
Tantôt d’un pied certain marchant sur le carreau,
Et tantôt indécis courant sur le tonneau.
Bref, par un autre trou, j’aperçois la lumière
J’y grimpe et tu m’en vois sortir plein de poussière
Je me porte assez bien.
oragif
Tant mieux, Colin-Maillard.
ColinMaillard
Oui, félicite-moi, c’est un heureux hasard.
oragif
Mais ce n’est pas assez d’avoir sauvé ta vie
Je dois la préserver des coups de la furie,
Que Rata ton rival fait [...] en ces lieux
S’il te reconnaissait, il nous tuerait tous deux.
Il court aussitôt et y prend un habit de pauvre avec un bâton et un violon.
ColinMaillard
Pour tromper les regards, que faut[-il] que je fasse ?
oragif, apportant les habits
D’un pauvre aveugle prend l’habit et la besace.
ColinMaillard
Y penses-tu ?
oragif, l’habillant
Je sais qu’un tel déguisement
Ami, doit affecter l’âme d’un intendant.
ColinMaillard
N’importe : je me prête à la métamorphose.
oragif, tenant à sa main le violon
Avancez, mon ami,
Colin-Maillard suit Oragif.
oragif, apercevant le chapeau de Rata et fuyant
Qu’ai-je vu ? Dieux je n’ose.
Le chapeau de Rata...
Donnant le violon à Colin-Maillard.
Saisis ce violon
Quand il se montre, fais un grand carillon.

Scène iv

les précédents, rata

Colin-Maillard tombe par terre.
oragif
Rata
ColinMaillard, à Oragif
De l’instrument, je ne peux faire usage.
oragif
Au moins, ferme les yeux.
rata
Almantine m’outrage.
ColinMaillard
Ma femme !
oragif, à colin-Maillard
Babillard !
rata, apercevant colin-Maillard
Quel est ce mendiant ?
oragif
C’est Oragif.
rata
Et non.
Allant à colin-Maillard.
Quel est cet impudent ?
oragif, tremblant
C’est un aveugle-né.
rata, furieux et reculant de frayeur
Quel spectre épouvantable !
Et quelle main traîna ici ce misérable ?
oragif
Son bâton... dans le parc il s’était égaré.
Seigneur, il n’y voit goutte.
rata
Et quand est-il entré ?
oragif
Le jour tombait. Couché, sous un puits jeune encore
Il attendant en paix le lever de l’aurore
À la fête, il devait jouer du violon,
C’est le ménestrier des filles du canton.
ColinMaillard, à part
Je tremble sans y voir.
rata
Puisqu’il sait la musique.
Que l’on garde en ces lieux cet aveugle gothique.
Essayons-le.
Il monte sur son dos et s’y tient comme s’il était à cheval.
Oragif va chercher mon chapeau
Oragif court chercher le chapeau de Rata.
Et tandis que je suis monté sur ce rusteau
Couvres-en mes sourcils.
Oragif lui met son chapeau.
ColinMaillard, à part
Comme il me presse !
rata
Si je tenais ainsi l’amant de ma maîtresse
De Rome à Petersbourg, de Londres à Moscou,
De Pékin à Madrid, de Paris au Pérou,
Je voudrais sur son dos que sans reprendre haleine
Ce rival me porta en moins d’une semaine.
Rata laisse Colin-Maillard et va à Oragif.
ColinMaillard, à part
J’irai en train de porte.
rata
Oragif.
oragif
Mon seigneur !
rata, montrant colin-Maillard
Que cet objet hideux présente de laideur !
Il réfléchit.
Almantine me hait ! Dit que je l’importune,
Se rit de mon amour, méprise ma fortune,
Oragif vengeons-nous de son peu de respect,
Coupons le bout du nez à cet aveugle abject,
Porte-lui sur le champ comme le triste reste
D’un époux qui se meurt et que Rata déteste.
Ici, Colin-Maillard frissonne.
oragif
Oh ! cet expédient a trop de cruauté
Cet aveugle est-il fait pour être maltraité ?
Pour la douceur ayez l’âme moins discordante.
rata
Sans éprouver du mal, d’une façon piquante
Il pourra me servir. Je veux qu’il soit conduit
Aux côtés d’Almantine et que toute la nuit
De son vil instrument à son oreille il joue.
S’il arrive, Oragif, qu’elle fasse la moue
Qu’à l’instant sur son lit on jette ce vieillard
Et qu’auprès d’elle il soit son cher colin-Maillard
Oragif, jure-moi d’obéir.
oragif, à part
La plaisante aventure !
À Rata.
Oui, Seigneur.
rata
Cachez-vous sous ces bans de verdure.
Je vais la prévenir.
Il sort en courant.

Scène v

colin-maillard, oragif

oragif
Quel heureux dénouement.
ColinMaillard
Je t’en réponds, s’il n’eut changé de sentiment
Je n’avais plus de nez.
oragif
C’eut été grand dommage.
Un né coupé de près déshonore un visage.
ColinMaillard
Mais un dieu tutélaire a veillé sur mes jours !
oragif
Le caprice des grands nous délivre toujours.
ColinMaillard
Je vais voir Almantine.
On entend du bruit.
On vient.
Ils sortent.

Scène vi

almantine, rapinette

almantine
Ma Rapinette !
Adoucis de mon cœur l’amertume secrète
Un vieillard maudit va me faire danser,
S’approcher de mon lit, me donner un baiser,
C’est là le dernier coup que Rata me prépare.
rapinette
Au fait, ce vilain trait paraît un peu bizarre
Pour éteindre ses feux il livre vos appas
À ce vil étranger que l’on ne connaît pas.
almantine
Aimable Rapinette, ah ma fidèle amie,
Sauve-moi des horreurs d’une telle infamie !
rapinette
Comment ?
almantine, lui donnant ses bijoux
Ces bijoux sont à toi.
Prends mes plumes, mes gants et représente-moi.
Elle lui donne ses gants.
rapinette
Et si c’est Oragif qui près de moi l’amène,
À ma taille, il pourra me connaitre sans peine.
almantine, ôtant son voile en lui donnant
Couvre-toi de mon voile, il te garantira.
Pendant qu’Almantine le lui met, en s’en allant.
Imite ma personne autant qu’il se pourra.
Nomme Colin Maillard, et nomme le sans cesse.
Elle sort.

Scène vii

rapinette

rapinette, seule, se quarrant
Je deviens aujourd’hui, de suivante, maîtresse,
Ayant un ton piquant, j’ai [...] un air de qualité.
Affectant la grandeur, la somptuosité,
De la femme du jour, empruntons la tournure
J’en reconnais déjà les grâces, la parure,
Et sur le malheureux, du sort disgracié,
Laissons tomber par grâce un regard de pitié
Perdant pour cette fois ma gaieté, ma folie,
Respirons la fadeur de la minauderie.
Et du sexe prenons le ton et les couleurs ;
Ici, elle prend un pot de rouge et s’en frotte toute la figure.
Connaissons un instant le règne des vapeurs.

Scène viii

[oragif, colin-maillard, rapinette]

Oragif poussent Colin-Maillard vers Rapinette.
oragif
Court sur cette princesse, aveugle, elle est ta femme.
Il sort.

Scène ix

rapinette, colin maillard

rapinette, le voyant
Ciel ! Je me trouve mal.
ColinMaillard
Excusez-moi, Madame Le manuscrit porte biffé : \guill Rapinette, à part  : Voilà donc le mari que Rata me destine ! / Que ton sort est à plaindre, ah, pauvre Almantine. PB.
Colin-Maillard, tombant à genoux
Sans vous apercevoir, je tombe à vos genoux.
rapinette, allant à lui
[... – de terre, allons relevez-vous !
Ensuite un peu plus vite.
Ta laideur m’a saisi d’une frayeur mortelle,
Pour la calmer, fredonne une danse nouvelle.
Colin-Maillard prend son violon et commence une chanson qu’il ne peut achever.
ColinMaillard
Sur l’instrument l’archer s’arrête de plaisir,
Et mon cœur palpitant se gonfle de soupirs.
rapinette, à part
Qu’entends-je, cette voix est bien mélodieuse,
Celle d’un mendiant n’est pas harmonieuse,
Aveugle... qu’il est laid... comme il me fait horreur.
ColinMaillard
Vous souffririez mes traits, si vous sentiez mon cœur.
rapinette
Qu’il est pressant... Aveugle, en cette circonstance
Je n’éprouve pour vous que de l’indifférence.
Un marquis, un baron, un bourgeois, un sultan,
Le plus parfait milord, comme le plus puissant,
Pas plus que vous sur moi, ne pourraient rien prétendre.
Mon époux est le seul à qui je dois me rendre
En soupirant.
Mon cher Colin-Maillard !
ColinMaillard
Aveu surnaturel !
rapinette
Vous parlez bas, je crois ?
ColinMaillard
Je dis qu’il est cruel
De n’être pas aimé de l’objet que l’on aime.
rapinette
Vous me touchez, pour vous, je m’oublierai moi-même.
Découvrant son voile et allant à Colin-Maillard.
Tenez, regardez-moi. Contemplez mes appas.
ColinMaillard
Madame, par malheur, l’aveugle n’y voit pas.
rapinette
Contemplez, je le veux.
ColinMaillard, ouvrant les yeux
Qu’elle étrange figure
Ce n’est pas Almantine.
rapinette
Et non, traitre, parjure,
Tu viens de recouvrer l’usage de tes yeux,
Comment as-tu donc fait pour venir en ces lieux.
On entend alors un grand bruit.
ColinMaillard
Sans ce vil attirail... je n’ai plus d’espérance
On vient, je suis perdu.
rapinette
Compte sur ma prudence.
Il referme ses yeux.

Scène x

les précédents, tirebécasse et ses fils armés de verges [, oragif]

tirebécasse, en entrant et montrant le mendiant
Mes dignes héritiers... voilà ce mendiant.
Vite environnez-le... saisissez-le à l’instant
Volez mes chers enfants !
oragif
Qu’elle raison t’engage.
tirebécasse
Monseigneur, écoutant une trop juste rage,
Veut que pendant deux jours par nous il soit fessé
Et qu’ensuite d’ici, par suite, il soit chassé.
oragif, à Tirebécasse et aux fils qui approchent de Maillard
Ne t’en empare pas, Monsieur Tirebécasse,
Vole dans tes forêts, ordonnes-y la chasse,
Mais de ce jardin-ci je suis le gouverneur
Et c’est moi qui de lui répond à Monseigneur.
Je m’en saisis.
tirebécasse
Mes fils, j’ordonne qu’on le prenne
Et qu’auprès de Rata sur le champ on l’entraine.
oragif
Ce n’est point un aveugle.
tirebécasse
Oragif, quel qu’il soit...
oragif
C’est sieur Colin-Maillard.
tirebécasse, surpris
Attendons notre maitre.
oragif, à Colin-Maillard
En suspendant leurs coups, je te sauve peut-être.
Plus bas, à l’oreille.
À mon tour, je pourrais recevoir le fouet,
Ami, pour l’éviter, je conçois un projet
Fuyons.
Il sort.

Scène xi

almantine, rata, dandin, colin-maillard, rapinette, tirebécasse, ses fils

Rata et Dandin tiennent Almantine par les bras.
Prenez garde Dandin qu’elle ne vous échappe.
À Tirebécasse.
As-tu saisi l’aveugle ?
tirebécasse
Avant que je l’attrape.
Je veux vous prévenir.
rata
À quoi bon ce retard ?
tirebécasse
Oragif l’a nommé... C’est sieur Colin Maillard.
ColinMaillard
Ma femme !
almantine
Mon époux !
rata
Le désespoir m’égare !
Approchant de Colin-Maillard.
Il voit clair. C’est bien lui. Gardes, qu’on s’en empare !
On le saisit. Voyant Rapinette.
Rapinette, comment, tu me trompes aussi ?
rapinette
Vous vous trompez vous-même en m’accusant ainsi
Sans mon déguisement, Seigneur, votre conquête
Avec son cher mari se trouvait tête à tête.
rata
Elle a raison.
À Colin-Maillard.
Et toi, mon plus cruel ennemi,
Qui t’a donc découvert ?
ColinMaillard, l’interrompant
Oragif, mon ami.
rata
Le coquin, le fripon, le traitre, le perfide
Est d’un autre fripon le détestable guide.
À Dandin.
Je réclame, Dandin, de la loi les rigueurs.
dandin, réfléchissant
Ah ! la scène est de nuit... ce sont tous des voleurs.
rata
Oragif a donc fuit, dis-moi Tirebécasse ?
tirebécasse
Oui, mon maitre.
dandin
Il le faut juger par contumace.
Il prend un air magistral.
Nous, Nicolas Dandin, Bailli seigneurial,
Oui, les conclusions du procureur fiscal.
rata
Il ne s’en trouve point.
dandin
N’importe, c’est l’usage.
C’est la forme, Seigneur.
rata, furieux
Finis ton bavardage.
Lambin insupportable, avec eux tu t’entends.
dandin
Non.
rata
Tu n’as pas encor rendu ton jugement.
Aux gardes.
Gardes, sans différer, par dessus la muraille
Jetez, en un clin d’œil, toute cette canaille.

Scène xii

les acteurs précédents, oragif une troupe de paysans armés de fourches ayant à leur tête Oragif

Deux paysans passent dans leurs fourches, l’un la tête de Rata, l’autre celle de Dandin.
un paysan, à Rata
Rendez notre major, infâme corrupteur !
Oragif montre Colin-Maillard et Almantine à plusieurs paysans qui s’en saisissent et font retirer Tirebécasse.
oragif
Les voyez-vous ? Courez...
rata
Dandin ! Quelle rumeur !
Quels sont les insolents ?
un paysan
C’est la paroisse entière
Qui pour vos cruautés vient vous jeter la pierre.
dandin
Oragif à leur tête !
rata
Il est leur conducteur.
oragif
Oui, je n’en rougis pas...
ColinMaillard, montrant Oragif à Almantine
C’est mon libérateur.
rata
Où suis-je ?
un paysan
Dans ma fourche !
rata, à Dandin
Et vous ?
dandin
Et moi de même !
rata, aux paysans
Je suis votre seigneur, de mon pouvoir suprême,
À Dandin.
Que faire ?... Dites-moi... Je ne respire plus.
dandin
Ils me tordent le col... hem !...
un paysan
Efforts superflus ! !
rata
De grâce laissez-moi répandre mon haleine.
un paysan
Seigneur, nous avons tous à craindre votre haine
Promettez-vous avant que notre commandant
Toujours de ce château restera l’intendant.
rata
J’y consens...
dandin
Moi de même.
Les paysans laissent allez Rata et Dandin.
un paysan
Allons, chantons victoire !
dandin, à l’oreille de Rata
Par un bienfait du rapt effacez la mémoire
Faites le généreux... Surtout modérez-vous
rata, à Colin-Maillard et à Almantine après avoir fait un grand mouvement
Dans le sein du repos vivez tendres époux,
De vos esprits craintifs bannissez les alarmes !
Si mon funeste amour vous à causé des larmes
Par un remord secret je me sens combattu
Quoique votre tyran, j’admire la vertu
Dès ce jour, je deviens de mes vassaux le père
À Colin-Maillard et Almantine.
Pour vous dédommager, je vous donne ma terre,
Et je veux qu’Oragif en soit le régisseur.
oragif
Un moment d’infortune a fait notre bonheur.
almantine, colin-maillard, oragif tous trois, ensemble
Ah ! Comment vous prouver notre reconnaissance ?
rata
Entre vous, mes amis, vivez d’intelligence.
almantine
Puisse votre amitié, Seigneur, combler vos vœux !
rata
Je suis récompensé si vous êtes heureux.
Fin

Theaville » Les pièces » Afficher