Authors: | Biancolelli (Pierre-François) dit Dominique Legrand (Marc-Antoine) |
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Parody of: | Les Eléments de Roy et Lalande/Destouches |
Date: | 1725 july 1st |
Performance: | 1725 july 1st Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne |
Source: | Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien, t. II, Paris, Briasson, 1731 |
Avant la naissance du Monde...
Eh ! morbleu, Monsieur l’avocat, passons au déluge ; je vous assure que je ne comprends rien à tout ce que vous me dites, et que j’ai bien peur que cet ambigu de scènes et de chansons que vous avez composées pour la fête que je donne demain à toute notre petite ville, ne soit trouvé bien pitoyable.
Que voulez-vous, Monsieur ? Je l’ai composé d’après l’opéra nouveau que l’on joue à Paris, et j’ai cru que l’on ne pouvait guère s’égarer sur de si parfaits modèles.
Mais quoi, n’auriez-vous pas pu distinguer autrement vos quatre éléments ?
Eh ! Monsieur, les changements de décoration les distinguent assez ; il ne faut que cela pour ces sortes de spectacles, et pourvu que l’on parle de l’Air, de l’Eau, du Feu et de la Terre en temps et lieu, voilà les quatre éléments, et de plus nous mettrons une préface.
Une préface ! Je vous conseille de la faire mettre en musique, aussi bien que le privilège. Est-ce qu’on ne pourrait pas entendre votre sujet sans préface ?
Non, Monsieur, c’est à présent la règle des opéras nouveaux.
Allons, recommencez moi, s’il vous plaît tout ce que vous venez de me dire, pour voir si je pourrai y comprendre davantage.
Je vous ai dit d’abord, Monsieur, que ma pièce commençait avant la naissance du monde : mon prologue est le chaos d’où sortent tous les quatre éléments par ordre du destin.
Fort bien, et vous nous faites voir les romains tous chauffés et tous vêtus une demi-heure après : vous voyez bien que votre pièce n’est pas dans les règles des vingt-quatre heures.
Monsieur, ce n’est point un divertissement régulier ; et l’opéra sur lequel je me suis réglé, prend ordinairement beaucoup de licence, c’est ce qui en fait la beauté.
D’accord ; mais on n’a jamais vu mettre quatre mille ans dans l’intervalle d’un acte à l’autre : commencez par me retrancher votre prologue.
Mon prologue, Monsieur ! vous n’y songez pas, c’est la meilleure pièce du sac.
Je n’en veux point.
Je suis bien fou d’avoir si mal employé mon temps en m’amusant à de pareilles bagatelles, j’aurais bien mieux fait de continuer mon poème épique.
Quoi, vous travaillez aussi à ces sortes d’ouvrages ? parbleu, c’est une fureur, tout le monde s’en mêle : est-ce que vous avez fait le poème des Géants ?
Non, Monsieur... grâce pour mon prologue.
Votre prière est inutile.
Il faut vous obéir : vous aurez quatre petits actes différents qui ne serviront qu’à nous amener des divertissements assez jolis. Ne vous attendez point surtout à trouver de l’excellent dans ces quatre petites pièces ; la musique et la danse en font tout le mérite, et je m’estimerai trop heureux si mon ouvrage a le sort de bien des opéras nouveaux, qui ne se soutiennent que par les agréments.
Quatre actes ? Cela sera trop long, un seul suffit.
Cela ne vaudra pas le diable, et ce sera une confusion.
Hé bien, tant mieux, ce seront les éléments qui seront rentrés dans le chaos.
Ma foi, vous ne pensez pas si mal : il me vient une idée...
Quelle est-elle ?
C’est d’intituler ma pièce le Chaos : le titre en fera peut-être excuser l’irrégularité, et cela vaudra bien une préface.
Cela ira à merveille ; tout ce qui me reste à appréhender, c’est qu’on ne trouve que vous ayez trop suivi l’opéra.
Il est vrai que mes sujets sont assez semblables : mais les personnages sont différents.
Point de dieux surtout.
Non, non, vous ne verrez que des aventures bourgeoises : mes gens sont tous prêts et vous allez dans un moment en voir une répétition.
De Madame des Airs tout m’annonce la gloire ; ce superbe appartement, ces meubles magnifiques, ces riches buffets, ces lits brochés à crépines d’or, tout irrite ici mes désirs. Désirs ambitieux, encore une fois dois-je vous croire, ou vous étouffer ? Malheureux Bourguignon, quel espoir autorise tes soupirs ? ... Et parbleu, je suis curieux de voir comment une femme si fière, et aussi orgueilleuse se livre à l’amour dans le tête à tête ; allons, courage, mon cher Bourguignon, la fortune et l’amour servent souvent les téméraires. Je fus jadis chevalier de l’Arc-en-ciel, c’est ce que le vulgaire appelle laquais ; depuis que mon maître a fait une fortune brillante, il m’a fait son premier commis ; n’en demeurons pas là, aspirons à devenir son rival auprès de sa femme ; en cas que l’affaire ne réussisse pas, je lui ai volé ce matin deux mille louis qui faciliteront mon évasion... mais chut, voici son coureur, ou plutôt son Mercure : j’enrage, je crains d’avoir parlé trop haut, et de m’être trahi moi-même.
Bon ! nous voila déjà sur du vol, tâchons de nous éclaircir du reste. Haut Qu’est-ce, Monsieur Bourguignon ? depuis que le partisan notre maître vous a fait son premier commis, qu’il vous a fait l’honneur de vous admettre à sa table, vous ne regardez plus vos anciens camarades, vous n’avez pas même encore daigné employer mon savoir-faire ; avez-vous oublié mes talents officieux, et verriez-vous avec indifférence tant de jeunes beautés dont j’ai l’honneur d’être le Courrier ?
Non, cher l’Éveillé, tout occupé de mon nouvel emploi, nul autre soin ne m’embarrasse.
Cependant quand on est parvenu à une certaine fortune, rien n’est plus agréable que de se livrer aux plaisirs de l’Amour, il faut du moins avoir une maîtresse sur son compte.
Mon cher l’Éveillé, toi qui est si bon pour le conseil, donne-moi tes avis ; qui penses-tu qui me convienne, à qui dois-je m’attacher ?
Consolez la jeune Aminte de l’ennui du vieux président son mari ; disputez à ce cadet de Gascogne la conquête de cette veuve auditrice des comptes.
Non, non, à ces beautés je ne rends point les armes.
Morbleu, la fierté de Madame des Airs serait belle à dompter.
De Madame des Airs ?
Je sais votre respect pour elle, il se découvre tous les jours par vos empressements.
Pour la femme de mon maître, peut-on blâmer mon zèle ?
Non sans doute, et vous faites bien de vous retrancher là-dessus ; il ne faut point aimer pour la gloire, il ne faut aimer que pour le plaisir, et c’est ce que j’ai résolu de faire, je ne veux point m’élever plus haut que la grisette.
J’ai envie de vous imiter.
Je connais une petite marchande du Palais qui est jolie comme l’amour : voulez-vous que je vous présente ? nous irons de ce pas, si le cœur vous en dit.
Non, j’ai quelques affaires : jusqu’au revoir.
Je me doute de ce qui t’arrête... je vais te servir de la bonne manière, et avertir mon maître de tout ce qui se passe.
Soupçonnerait-il quelque chose de mes intentions ! non, je ne le crois pas ; quoiqu’il en soit ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Mais j’entends une symphonie qui m’annonce l’arrivée de Madame des Airs ; elle est toujours suivie de nombre de poètes et musiciens, tous illustres nécessiteux, qui pour son argent chantent incessamment ses louanges, et élèvent son nom jusqu’aux nues. Laissons achever le petit divertissement qu’ils vont lui donner, et attendons le moment favorable, et qu’elle soit seule pour exécuter mon dessein téméraire.
Allez mes enfants, allez boire à ma santé, et répandez mes bienfaits dans tous les cabarets de la ville.
Me trompais-je Bourguignon ? votre nouvelle faveur m’assure-t-elle en vous un serviteur fidèle, sur qui je puisse compter ? n’ai-je rien à craindre, et m’est-il permis de vous ouvrir mon cœur ?
En pouvez-vous douter Madame ? Ah, dès ce moment même je m’estime le plus heureux des mortels.
Écoutez, vous savez que quoique j’aime mon mari, c’est un petit dissipé, qui me fait tous les jours de nouvelles trahisons.
Que me dites-vous là ! Quoi, Monsieur des Airs vous trahit, et vous l’aimez toujours ? vous êtes bien bonne en vérité ! il y a bien des femmes à Paris qui ne vous ressemblent pas.
Quoiqu’il en soit, mon cher Bourguignon, ne perdez pas un moment, montez dans ma berline, mes chevaux, et mes gens n’obéiront qu’à vous ; parcourez tous les quartiers de Paris, et surtout celui de l’Opéra, c’est peut-être de ce côté-là que sa perfidie l’entraîne ; informez-vous chez les tapissiers quelle fille ils ont meublée depuis peu ; chez les marchands, quelles étoffes ils ont vendues et à qui ; chez les traiteurs, quels repas ils ont porté en ville ; enfin ne négligez rien pour découvrir ma rivale, je veux absolument la faire enfermer.
Eh ! Madame, pourquoi vous inquiéter tant, et vous donner tous ces soins ? n’avez-vous point d’autres moyens pour vous venger ? vous êtes jeune, riche, et belle ; j’en connais qui seraient trop heureux s’ils pouvaient espérer...
Que dites-vous Bourguignon ? quelque gros seigneur vous aurait-il chargé de me parler en sa faveur ?
Fi donc, Madame, vous me prenez sans doute pour un autre ? il y a longtemps que je ne me mêle plus de ce métier-là.
Et pour qui donc me parlez-vous ?
Quoi Madame, vous ne devinez pas que c’est pour moi !
Comment, que voulez-vous dire ?
Oui Madame, c’est moi qui vous adore.
Qu’entends-je ! quel outrage à ma pudeur ! insolent, éloignez-vous pour jamais de ma vue.
Vous êtes la maîtresse absolue de mon sort, faites-moi jeter par les fenêtres, si vous voulez, j’aime mieux faire ce saut-là, que de cesser de vous aimer.
Quoi malheureux ! ma vertu ne t’en impose pas, et tu me déclares ton amour ? un misérable laquais revêtu est assez téméraire pour s’adresser à l’épouse de son maître ? encore si c’était quelqu’homme de qualité, il n’y aurait pas tant de mal : va, tu me fais horreur.
Vous avez beau dire, charmante personne, je n’écoute ni respect, ni raison, et je ne me connais plus moi-même.
Ah quelle pétulance ! au secours, au secours, au meurtre.
Criez tant que vous voudrez, je ne puis me repentir de mon crime.
Ah, traître ! je t’y surprends à la fin, après m’avoir volé tu oses attenter à l’honneur de ma femme ! Monsieur le commissaire, voilà de l’argent, et je vous livre le criminel, faites le dû de votre charge.
Je ferai mon devoir, et son procès sera bientôt fait.
Ah ! voilà mon horoscope prêt d’être accompli : on me l’avait bien prédit que je mourrais en l’air ; mais ce qui me console, c’est que je sais toutes tes voleries, et que tu pourras bien périr dans le même élément ; adieu, si cela arrive, je pourrai dire avec justice que je meurs du moins ton rival.
Enfin, belle Lolotte, enfin avez-vous fait un choix ? Maître Nicolas à qui tous les autres bateliers obéissent, et qui est votre parrain, et votre tuteur, attend que vous vous déterminiez, et que vous choisissiez un époux ; Robert qui fait remonter les bateaux qui passent sous les ponts, aspire depuis longtemps à ce bonheur.
Qui, ce gros boursouflé, qui dès le matin trouble le repos de tout le voisinage, et dont la voix, quoiqu’enrouée, se fait entendre d’un côté de la rivière à l’autre ; non, je veux un époux plus paisible.
Le jeune Colin, qui a eu tout l’honneur de la fête qu’on a donnée aujourd’hui sur l’eau, se flatte que vous lui donnerez la préférence.
Non, ma chère Marinette, il l’espère en vain : mon cœur n’est pas pour lui si aisé à remporter que le prix de l’oie.
Craignez-vous l’Amour et sa flamme, vous qui chantez depuis le matin jusques au soir, son pouvoir et ses plaisirs ?
Non, Marinette, je ne suis pas si insensible que tu le crois ; ce matin au lever de l’Aurore j’ai entendu sur l’eau une voix touchante accompagnée d’un instrument mélodieux ; il rendait un son harmonieux dont mes oreilles étaient enchantées ; aussitôt j’ai mis la tête à la fenêtre, et j’ai aperçu fort loin sur le bout d’un bateau chargé de vin qui remontait la rivière, un jeune homme beau comme l’Amour qui chantait, et s’accompagnait avec son violon ; que de grâces ! que de justesse et de variétés ! non, Apollon lui-même ne passerait auprès de lui que pour un joueur de vielle ; je t’avouerai que j’ai été charmée de sa personne, et de ses talents. Mais quelle affreuse tempête ! quel bruit épouvantable ! Ah ! voilà le même bateau de ce matin qui va périr.
Ah ! Lolotte voilà le bateau enfoncé.
Ma chère Marinette crie à Maître Nicolas qu’il envoie au secours de ces malheureux ; mais il y va lui-même, et voici ce jeune homme heureusement hors de danger, il a trouvé un tonneau de vin qui va le conduire à bord.
Ah, que je sens de trouble dans mon âme ! il est encore plus charmant de près que de loin.
Où diable suis-je ? daignez m’en instruire.
Vous êtes à la Grenouillère.
Vous en êtes apparemment une des principales nymphes ?
Hélas, je ne suis qu’une simple batelière ; mais vous qui êtes-vous ? d’où venez-vous ?
Je me nomme Rigaudon ; je suis un musicien qui revient de l’Opéra de Rouen : comme ordinairement les gens de notre profession ne sont pas fort pécunieux, et qu’ils aiment assez à boire, j’avais pris la commodité de ce bateau chargé de vin de Bordeaux pour me désaltérer sur la route, et pour remonter à Paris sans qu’il m’en coûta rien ; j’en ai été quitte pour quelques airs de violon dont j’ai régalé nos mariniers en chemin : mais à propos, je vous trouve bien belle, ma foi vous avez dans vos charmes de quoi me consoler de l’accident qui m’est arrivé.
Comment, Monsieur Rigaudon, en sortant de l’eau vous me déclarez d’abord votre amour ? Vous devriez plutôt aller changer de chemise.
J’ai des raisons pour n’en rien faire.
Et quelles raisons ?
C’est que je n’ai que celle-là.
Cependant, vous devez être mouillé.
Pardonnez-moi, les musiciens sont toujours secs ; mais parlons de mon ardeur subite, c’est un miracle de l’Amour, et je ne veux pas l’en dédire.
Il a fait aussi un miracle en moi, et du moment que je vous ai vu, je me suis senti de l’inclination pour vous.
Parbleu, cela part comme un coup de pistolet ! voilà donc le marché conclu ?
Je dépends de Maître Nicolas ; mais le voici avec la compagnie des tireurs d’oie.
C’est par mon secours que vous avez été garanti du naufrage ; mais j’ai plus à vous dire, Maître Nicolas est votre père.
Quelle bête est-ce que Maître Nicolas ?
C’est moi.
Vous êtes mon père ? mais il me semble que vous m’apprenez cette nouvelle-là bien laconiquement.
Elle n’en est pas moins véritable.
Cependant, ma mère qui chantait autrefois dans les chœurs de l’Opéra de Rouen, ne m’en a jamais rien dit : elle devait pourtant le savoir mieux que vous.
Sans doute ; elle vous aura donné à quelque plus gros seigneur que moi, car je travaillais dans ce temps-là aux machines de l’Opéra.
Et apparemment votre mariage s’est fait dans les coulisses.
Il est inutile de vous instruire de tout cela ; il suffit que je suis votre père, et que je vous marie avec ma filleule Lolotte ; elle chante, vous chantez aussi, et vous jouez du violon : je tâcherai de vous faire entrer à l’Opéra. Allons, allons, que nos tireurs d’oie célèbrent à l’impromptu cet heureux mariage.
Oh çà ma fille, nous allons avec vos sœurs chez nos voisines nous déguiser pour le bal que l’on doit donner ce soir dans cette maison, à l’occasion du mariage de votre sœur aînée ; peut-être sera-ce dans la notre que l’on dansera : quoiqu’il en soit, comme nos domestiques viennent avec nous pour nous servir et pour nous habiller, attendez-nous ici avec de la lumière, et à notre retour vous irez vous coucher.
Mais ma mère, ne pourrais-je point allez avec vous ?
Cela serait beau, qu’une fille qui est sortie depuis huit jours du couvent, et qui doit y rentrer demain pour toujours, allât au bal !
Ma mère...
Hé bien quoi ? ma mère. Il est trop tard pour vous en dédire : vous avez promis de passer le reste de vos jours hort du monde, j’ai fait tous les frais nécessaires pour achever ce louable dessein, et c’est à vous maintenant à vous y porter de bonne grâce.
Hélas ! lorsque je fis cette promesse je n’avais pas vu Valère.
Valère est trop riche pour vous, et son père ne consentira jamais à lui laisser épouser une fille qui n’a rien ; car enfin le peu qu’il y a de bien dans notre maison, doit servir pour marier votre sœur aînée.
J’ai bien affaire qu’on la marie à mes dépends.
Voyez la petite impertinente ! on prendra bien vos avis là-dessus ; songez seulement à ce que je vous ai dit, et que je trouve de la lumière à mon retour.
Amour, inspire-moi ce que je dois faire, et efface s’il se peut de mon cœur l’image du songe importun que j’ai fait cette nuit ; mais je tremble, j’entends du bruit, qui pourrait venir ici à l’heure qu’il est ?
Ah ! Valère c’est vous ! quel temps prenez-vous pour me venir voir ? quoi donc au milieu de la nuit...
J’ai attendu que votre mère, et vos sœurs fussent sorties pour profiter de cet heureux moment, et pour venir vous annoncer que j’ai le consentement de mon père pour vous épouser.
C’est beaucoup ; mais si ma mère veut que je rentre pour toujours dans le couvent, et si la bienséance veut que j’exécute la promesse que j’ai faite de quitter le monde...
Bon, bon, l’Amour doit vous relever de toutes vos promesses : vous ne seriez pas la première vestale qui aurait manqué de parole.
Qu’est-ce que c’est qu’une vestale ?
Quoi, tout de bon, vous ne savez pas ce que c’est qu’une vestale ?
Non vraiment.
Vous n’avez donc jamais été à l’Opéra.
Hélas non, on m’a toujours éloignée de tous les plaisirs.
Oh ! j’y ai été moi, et c’est là que j’ai appris que les vestales étaient des jeunes filles qui chantaient et dansaient dès le commencement du monde, et qui vivaient dans le feu comme les poissons dans l’eau... après le débrouillement du chaos... vous comprenez bien cela ?
Non en vérité.
Ni moi non plus.
C’est un fou qui ne sait ce qu’il dit, et qui est à moitié ivre ; tais-toi, et prends garde que personne ne vienne nous surprendre.
Pendant que mon maître veillera auprès de sa maîtresse, allons tâcher de dormir un petit somme dans quelque coin de cette chambre. Bon, voici une table, qui fera bien mon affaire.
Eh bien, charmante Agnès, voulez-vous que je vous perde pour jamais ? je vous adore, et je sens bien que je ne pourrai vivre un moment sans vous.
Mais Valère, que voulez-vous que je fasse ?
Que vous déclariez à votre mère que vous ne voulez pas absolument retourner au couvent, et que vous n’avez point de goût pour la clôture.
Elle dit que mon bien n’est pas assez considérable...
Que m’importe ? j’en ai assez pour vous et pour moi, et mon père consent que je vous prenne sans dot ; j’en ferai demain la proposition à votre mère, et si elle me refuse, je ne veux que votre aveu pour vous retirer de ses mains.
Ah ! Valère, j’ai fait cette nuit un songe qui me fait tout craindre ; j’ai rêvé que nous étions tous deux seuls, je vous parlais... jamais mon cœur ne fut plus tendre.
Ah ! où étais-je dans ce moment-là !
Écoutez donc le reste du rêve : on a crié au feu, au feu ; j’ai vu ma mère, sa voix m’a glacée, mon lit en a tremblé ; j’ai vu un nuage de feu étincelant ; enfin mon songe était si embrouillé, que je n’y comprends rien moi-même en vous le racontant, mais il ne laisse pas que de m’effrayer.
Il ne faut pas s’arrêter aux songes... mais quel bruit entends-je ?
Ah ! c’est ma mère qui revient chez nous.
Arlequin.
Monsieur ?
Ah voilà la lumière éteinte, que vais-je devenir ? que dira ma mère si elle me trouve ici seule avec vous ?
Je suis en désespoir ! Arlequin.
Monsieur ?
Qu’as-tu fait malheureux ? tu as éteint la lumière.
Il n’y a qu’à appeler l’Amour pour la rallumer... abaissez la lanterne.
Le diable t’emporte maraud, on heurte à la porte, et tu cries comme tous les diables.
On heurte à la porte ?
Et ne l’entends-tu pas ?
Hé bien, tant mieux, je vais prier ces gens-là de nous rallumer notre chandelle.
Eh non Arlequin, c’est ma mère, et je suis perdue si elle me trouve sans lumière avec deux hommes.
Ah morbleu, si nous avions ici quelque vestale qui eut bonne haleine !
Ne badine point, et tire-nous d’embarras.
Attendez, attendez, nous sommes plus heureux que sages ; je ne me souvenais plus que Violette, dans l’excès de son amour, m’avait fait l’autre jour présent d’un briquet : quoique l’Amour n’agisse ici que par bricole, cela vaudra bien le miracle qu’il fait à l’Opéra, et cette allumette fera autant d’effet que son flambeau.
Ah je respire, la bougie est allumée ; mais Valère, qu’allez-vous devenir ?
Ne craignez rien, belle Agnès, ouvrez seulement la porte, et laissez-moi soutenir l’abord de votre mère.
D’où vient donc que vous êtes si longtemps à ouvrir cette porte ?... Ah ! ah ! je ne m’en étonne plus, vous étiez en bonne compagnie ; À Valère. Que venez-vous chercher ici à l’heure qu’il est ?
Monsieur vient demander votre fille en mariage, et moi, je suis venu pour allumer le flambeau nuptial.
Qu’est-ce que cela signifie ? voilà une belle heure pour demander une fille en mariage !
J’ai appris que vous la mettiez demain dans un couvent, et je suis accouru ici au plus vite pour vous dire que mon père consent que je l’épouse sans dot.
Sans dot ! ah, c’est une autre chose, et sur ce pied-là, ma fille est à vous.
Quel bonheur pour moi ! venez peuples, venez célébrer ce beau jour.
Comment donc ce beau jour ! avez-vous oublié que nous sommes dans la nuit ?
Tu as raison ; il nous faut un divertissement.
Que cela ne vous embarrasse pas, les violons sont ici : nous avons inventé la plus jolie mascarade du monde, nos hommes sont déguisés en romains, et nos femmes en vestales.
Des femmes déguisées en vestales ! il y en a bien aujourd’hui qui prennent cette mascarade-là.
Commençons notre petite fête, entrez Messieurs et Mesdames.
Attendez, je vais servir de compère. Messieurs, vous allez voir une entrée de quatre gentilshommes romains, admirez-en, s’il vous plaît, la cadence.
Cette jolie jardinière a rebuté jusqu’ici tous ses soupirants ; je ne suis pas plus heureux que les autres, mais je suis plus fidèle ; et je vais voir, si sous la figure de Jacqueline sa servante, je ne pourrais pas découvrir les véritables sentiments de son cœur. Ah Florestan, que tu serais heureux si tu pouvais réussir dans cette entreprise !
Belle Pouponne enfin, je vous revois : vous fuyez tout le monde, il n’y a que moi qui ai la liberté de vous entretenir.
Je passe mon temps à rêver : j’admire les beautés de mon jardin.
Vous avez raison, cette terre que vous avez vous-même cultivée, ces fruits que vous voyez mûrir de jour en jour, sont autant de triomphes pour vous.
Mon jardin m’amuse beaucoup.
Un amant vous amuserait davantage, et vous ferait trouver ce séjour plus agréable ; tous vos galants jardiniers ne cessent de se plaindre de vos rigueurs : quoi ! serez-vous toujours brouillée avec l’amour ?
Ah Jacqueline ! peut-être signerai-je la paix dans ce jour.
Ouais, aurais-je quelque nouveau rival à craindre ?
Quel bruit vient nous étourdir les oreilles ?... comment ? ce sont des chasseurs qui entrent ici : ils vont ravager tout mon jardin. Mais que vois-je ? c’est le seigneur du hameau prochain, le baron Patapan. Peste soit du gentillâtre !
Le monstre est tombé sous mes coups, et je vous en apporte la dépouille, c’est un présent que vous fait mon amour.
Que voulez-vous que j’en fasse ? ce présent-là ne convient guère à une femme.
Et à qui voulez-vous que je l’offre ? tous mes amis ont déjà une bonne provision.
Vous le pouvez garder pour vous.
Eh, Mademoiselle, acceptez le présent de Monsieur, vous lui en ferez un autre.
Si j’avais quelque chose à lui offrir, ce ne serait pas du moins avec un si grand bruit.
J’ai cru devoir vous annoncer mon amour à son de trompe, cet éclat ne peut que vous faire honneur.
Cela est glorieux pour moi.
Je voulais entrer ici avec toute ma meute, mais j’ai appréhendé que mes chiens ne gâtassent votre jardin ; quoique je sois chasseur à grand bruit, je ne laisse pas que d’avoir de la considération.
C’est ce qui me paraît ; mais enfin que venez-vous faire ici ?
Vous dire seulement en passant que je vous aime, et faire danser mes gens dans votre jardin pour les délasser des fatigues de la chasse.
Mais à quoi servira tout cela ?
Cela servira à amener un divertissement à propos : c’est quelque chose de galant qu’un divertissement bien amené.
Le votre ne pouvait venir plus à contretemps, je vous assure, puisque j’avais choisi ce séjour solitaire pour fuir l’empressement des amants importuns. Vous m’avez fait une frayeur terrible, je suis prête de tomber en faiblesse.
Est-ce pour moi ?
Non en vérité.
N’êtes-vous pas rassurée quand je vous dis que je vous aime ?
Cet amour est bien inutile, puisque je ne suis pas d’une condition égale à la votre, et que d’ailleurs, je ne veux pas me marier.
Et parbleu, ni moi non plus, je ne prétends faire l’amour qu’en courant ; mais venez vous asseoir auprès de moi pour voir le divertissement.
Monsieur Patapan, je vous suis bien obligée ; mais à vous dire le vrai, ce concert éclatant m’a un peu étourdie ; faites-moi le plaisir de vous retirer, vous et toute votre bruyante suite.
Oh, vous n’avez qu’à dire, je suis l’homme du monde le plus obéissant : allons enfants, retirons-nous, et ne nous amusons point à tirer ici notre poudre aux moineaux.
Où allez-vous donc, belle Pouponne ?
Que me demandez-vous ? je n’en sais rien moi-même... suis moi, Jacqueline, non, demeure... viens... reste... va-t’en... ma foi, je ne sais ce que je dis !
Je ne vous quitterai point.
Tu n’ignores pas, Jacqueline, combien tu m’es chère ; je sais que tu as aussi une grande affection pour moi.
Il y a plus que de l’affection, et je vous aime au-delà de ce que vous pouvez vous imaginer.
Ma chère Jacqueline, contente un peu ma curiosité, je ne cherche qu’à m’instruire ; dis-moi franchement, l’amour est-il aussi joli qu’on le sait ? tu dois en savoir des nouvelles, à ton âge, on a de l’expérience.
Vous me faites-là une plaisante question ! Vous me demandez si l’amour est une jolie chose ? oui, ma chère Pouponne, il n’y a rien de plus amusant, on n’est heureux que quand on aime ; l’amour est un certain je ne sais quoi, que l’on sent beaucoup mieux que l’on ne peut exprimer.
Je n’entends rien à tout cela.
Eh quoi ! tout ce qui se présente ici à votre vue ne vous inspire-t-il pas de l’amour ?
Hélas !
Vous soupirez.
Hélas oui !
Expliquez-vous.
N’y a-t-il personne qui puisse nous entendre ?
Non, parlez en toute sûreté.
Puisqu’il faut t’avouer ma faiblesse... Jacqueline, je suis prise.
Qu’entends-je ! vous aimez, et qui est l’heureux mortel ? ...
C’est...
Achevez...
Eh bien, c’est Florestan que j’aime.
Ah ! charmante Pouponne, je meurs d’amour à vos genoux.
Quoi ! Florestan, c’est vous ! à quoi bon ce déguisement ? pourquoi vous cacher à mes yeux ? que ne restiez-vous dans votre état naturel ? je n’aurais pas tardé si longtemps à vous dire que je vous aime. Amour, jouis de ta gloire, et fais-moi bien réparer tous les moments perdus : venez mes chères compagnes, venez prendre part à ma joie.