Thomas Laffichard
Nanette
Parodie de Naïs en prose et en vaudevilles
BnF ms. fr. 9321
definitacteur, chœur de poissardes chœurdepoissardes
Acteurs
Nanette, blanchisseuse
Polichinelle, fils d’un fameux marchand de marée déguisé en porteur d’eau
Charlot, ami de Polichinelle
Tourangeau, laquais, amant de Nanette
Poitevin, autre laquais et amant de Nanette
Barnaba, vieux pêcheur, père de Nanette
Troupe de bachoteurs
Troupe de poissardes
Le théâtre représente les rives de la Seine.
Nanette
Scène i
Polichinelle, Charlot
polichinelle
Air : Au bord d’un clair ruisseau
Au bord de ce ruisseau
Je cherche ma bergère,
Dans sa course légère
Regardons couler l’eau.
Ainsi passent les jours
Du printemps de mon âge,
Mais, pour en faire usage,
Je les donne aux amours.
Il faut avouer que Nanette, quoique simple blanchisseuse, est une beauté parfaite : ce sont des traits, des yeux, une bouche... ah ! Quelle bouche ! L’as-tu vue ?
charlot
Pas encore, mais vous m’en avez souvent parlé. Je suis surpris, entre nous, que le fils unique d’un gros marchand de marée, bon
bourgeois de Paris, et quasiment marguillion, se soit affolé d’une pauvre blanchisseuse.
polichinelle
Tais-toi, la beauté surpasse tous les rangs.
Air : Jus d’octobre
Je ne suis plus ce cœur volage,
Aussi léger que les Zéphyrs :
Je trouve dans mon esclavage
Ma gloire ensemble et mes plaisirs.
charlot
Air : De tous les capucins du monde
Autrefois, empressé de plaire,
Vous fuyiez l’ombre et le mystère,
Sans égards vous étiez amant,
Et vous en faisiez votre affaire ;
Pourquoi, sous ce déguisement,
Cacher une flamme sincère ?
polichinelle
J’en rougis ; mais, que veux-tu ? Je crains,
en me faisant connaître, de déplaire à la souveraine de mon cœur ; et ce n’est encore qu’en tremblant que j’emploie une ruse usée pour découvrir si je suis aimé. Sous cet habit de porteur d’eau, je me flatte que ma bonne mine décidera Nanette en ma faveur... Je l’entends qui vient ici laver son linge ; tu vas être enchanté.
Scène ii
Nanette, Polichinelle, Charlot
nanette, sans paraître
Air : Ils sont chus dans la rivière
La chaleur m’excède.
Pour me rafraîchir
Je sais un remède
Sûr pour me guérir :
Je m’en vais à la rivière,
Laire, lon lan la,
Je m’en vais à la rivière,
Ah ! qu’il fait frais là.
polichinelle
Ah ! Quel gosier ! Qu’elle chante légèrement ! Il faut qu’elle ait appris la musique.
nanette, paraissant
Air : Je ne sais point le rire
Des Cieux j’admire les couleurs,
Ce sont eux qui forment les fleurs,
Quand ils sont sans nuage :
Plaisirs, ris et jeux enchanteurs
Et vous Zéphyrs doux et flatteurs,
Volez sur ce rivage.
Elle se retire.
Scène iii
Polichinelle, Charlot
polichinelle
Tu l’as vue, tu viens de l’entendre, qu’en penses-tu ?
charlot
Ma foi, c’est une jolie fille, qui doit savoir savonner bien proprement.
polichinelle
La première fois que je la vis, elle chantait dans ces beaux lieux : je me présentai, le trouble que ma vue lui causa accru encore l’éclat de sa beauté.
charlot
Cela va sans dire ; une belle qui rougit tient son fard de la nature.
polichinelle
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Elle me fuit, sans me connaître ;
Mais un regard victorieux,
Dans mon cœur aussitôt fait naître
De l’amour les plus tendres feux.
charlot
Mais têtebleu, je me rappelle que je la connais ! Elle est la fille d’un vieux pêcheur nommé Barnabas, qui en sait plus d’une nichée et qui dit la bonne aventure tout aussi bien que feu Calchas.
polichinelle
Paix, paix, je la vois qui revient ici, retirons-nous pour faire durer l’acte un peu plus longtemps.
Scène iv
Nanette seule
nanette
Air : Pour voir un peu comment ça f’ra
Tendres oiseaux, éveillez vous,
Chantez au lever de l’aurore ;
D’amour si les transports sont doux,
Votre repos l’est plus encore :
Tendres oiseaux, éveillez vous
Les peines ne sont que pour nous.
Scène v
Tourangeau, Nanette
tourangeau
Belle blanchisseuse de mon cœur, je vole sur vos talons, et c’est l’amour qui me met le feu sous le ventre.
Air :
Oui, je préviens tous mes rivaux,
Je pense à vous, quand tout sommeille
Et c’est pour des tourments nouveaux,
Que l’amour jaloux me réveille.
nanette
Air : Tu croyais, en aimant Colette
D’amour je connais trop les chaînes
Par vos ennuis, par vos soupirs ;
Vous me faites craindre des peines,
Offrez moi plutôt ses plaisirs.
tourangeau
Je vois bien que vous me méprisez, et c’est Poitevin qui en est cause : je m’en vais ; je ne suis point curieux de chanter avec lui.
nanette
Vous avez raison. Quand vous chanterez les charmes de votre maîtresse, ne les chantez
jamais en chœur avec votre rival, mais tête à tête avec elle.
Scène vi
Polichinelle, Poitevin, Charlot, Nanette
nanette
Air : Toujours va qui danse
D’un très beau ballet figuré,
Je veux éviter la dépense ;
Car, ma foi, tout considéré,
Et tout mis dans une balance,
Cela n’est beau qu’à l’opéra,
Où sainement on pense
La, la, la, la, la, la, la, la,
Ce n’est que là qu’on danse.
polichinelle
Qu’on se retire : j’ai quelque chose à communiquer à la belle Nanette. Obéissez, et ne me forcez pas à vous faire voir de quel bois je me chauffe... Partez... Si je prends mon cordon...
Scène vii
Polichinelle, Nanette
nanette
Ah ! Ne me suivez point.
polichinelle
Laissez-moi donc marcher devant.
nanette
Le Divin Barnabas, ou plutôt mon bonhomme de père, demeure dans ce riant séjour, où il jouit, malgré le poids énorme de ses années, des doux loisirs, d’une paisible vie.
polichinelle
Je sais que c’est un vivant qui en sait long. Du sombre avenir le voile ténébreux devant lui tombe ou se déchire, c’est tout un. La nature et le sort s’amusent en badinant à l’instruire des prodiges secrets qu’il cache même aux dieux qui savent tout.
Air : La ceinture
Des dehors les plus séducteurs,
On peut se parer sans rien craindre :
Ah ! si l’on lisait dans les cœurs,
Les mortels seraient trop à plaindre.
polichinelle
Qu’aurais-je à craindre de votre cœur et de vos yeux ? L’un et l’autre ne sont pas méchants.
nanette, bas
Ciel ! Qu’entends-je !
polichinelle
Air : Comme un coucou
L’amour, dont je bravais l’empire,
Enflamme mon cœur pour jamais :
Ah ! Je m’expose à des regrets
Que ma bouche n’ose vous dire.
nanette
Air : Entendez-vous le bruit de armes
Un hommage ou feint, ou sincère
Est un tribut pour nos appas :
D’un éclat qui ne dure guère,
Les fleurs se sément sur nos pas ;
Tous vos vœux se bornent à plaire,
Vos cœurs volages n’aiment pas.
polichinelle
Ah ! Ma flamme...
nanette
Croyez-moi, quittez ces lieux...
polichinelle
Quoi ! Sans savoir...
nanette
Allez vous-en. Que dirait-on d’une honnête blanchisseuse, si on la voyait jaser familièrement avec un porteur d’eau, dont la bonne mine... adieu.
Scène viii
Nanette seule
nanette
Air : Non, je ne ferai pas
Dois-je le croire ah ! Dieux... Fuyez tristes alarmes !
D’un poison trop flatteur je veux goûter les charmes.
Je ne le reverrai peut-être de longtemps
Ah ! Mon cœur, ouvrez-vous aux transports que je sens.
Les rapides traits de flamme qui triomphent malgré nous, Amour, sont de fort belles choses.
Scène ix
Tourangeau, Nanette
tourangeau
Je suis jaloux c’est un fait, et ma jalousie doit vous inquiéter.
Air : Menuet d’Hésione
Voyez moi d’un œil favorable
Des soins plus doux vont m’animer ;
Il faut savoir se rendre aimable
Lorsque l’on veut se faire aimer.
nanette
Air : Menuet de Grandval
La jalousie a des fureurs,
Qui peuvent nous paraître à craindre,
Mais ses tourments et ses erreurs
Sont des maux qu’on ne saurait plaindre.
Croyez-moi, cessez d’être jaloux, vous ferez bien, car je m’aperçois que cela vous enrhume et consultez Barnabas, avec Poitevin et Tourangeau ; l’heureuse le sera.
Scène 10
Barnabas, Nanettes, Tourangeau, Poitevin
barnabas, s’appuyant sur Nanette
Soutenez ma vieillesse ma fille.
Air : Que faites-vous, Marguerite
La voix des plaisirs m’appelle,
Cessez donc de m’arrêter ;
On ne doit écouter qu’elle,
Eh ! Pourquoi lui résister ?
Je sais expliquer le chant des moineaux ; c’est un beau talent que celui-là. Messieurs vous aimez ma fille Nanette, vous faites bien, elle est faite pour cela, mais, par malheur
pour vous, elle est aimée d’un fort gros monsieur, puisqu’il a plus de moyen qu’il ne lui en faut pour avoir carrosse.
nanette, joyeuse
Ah ! Que dites-vous là, mon père ?
barnabas
De grandes vérités. Petits oiseaux, qui dormez sous ce vert feuillage, éveillez-vous, chantez mélodieusement... Chant d’oiseaux. Dites-nous en langage inintelligible que Nanette est aimée de Polichinelle. Bonsoir.
Il rentre dans le four à chaux.
Scène xi
Nanette, Tourangeau, Poitevin
Trio
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Ici que l’on fasse tapage
Aux armes ; qu’une grande rage
Fasse éclater notre couroux ;
Chantons tous à perte d’haleine,
Et disons : Vengeons, vengeons nous.
Cela fait une belle scène.
\scene[Le théâtre représente une île.] Polichinelle
seul
polichinelle
Air : Tu croyais, en aimant Colette
La Blanchisseuse que j’adore,
Ici se rend au point du jour,
Elle semble embellir l’aurore
Dont elle chante le retour.
Doux moments, hâtez vous de venir, je suis impatient de lui découvrir l’amour que je sens pour elle. Si ma voix était plus brillante, je ferais un plus beau monologue. Mais, parbleu, que je suis aise, sans savoir pourquoi ! Je n’entends point encore sa belle voix. Ah ! Mon cœur me l’annonce ; elle vient, je la vois.
Scène xii
Nanette, Polichinelle
polichinelle
D’où vient, avez-vous le teint si blême ?
nanette
Air : Je suis un précepteur d’amour
Fuyez, jeune homme malheureux,
Croyez en mes vives alarmes ;
Vos chants ont prophané des jeux ;
On vous menace, on vole aux armes.
polichinelle
Que tous les polissons me déclarent la guerre, je ne crains que votre tiédeur. Vainement le grand turc viendrait ici, armé de son redoutable cimeterre, pour me disputer votre cœur.
nanette
Belle gasconade ! Que pourrez-vous contre des ennemis plus traîtres que courageux ? Partez... éloignez vous, jeune homme, hélas ! Quel fiacre dans ce voisinage, a pu guider vos pas ?
polichinelle
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Le tendre amour me guide, et la flamme m’éclaire,
Mon cœur attend le prix du retour qu’il espère.
J’aspire au seul bonheur, digne de me charmer,
Nanette, je ne veux enfin que vous aimer.
nanette
Hélas ! Monsieur, les plus douces chaînes coûtent des pleurs et des soupirs ; l’amour n’offre à nos cœurs que de doux moments, mais il est toujours accompagné de chagrins.
chœur, derrière le théâtre
Ah ! Le voilà, le voilà, là !
polichinelle
Que diable signifient ces cris enroués ?
nanette
Eh ! C’est le signal du carnage.
Scène 13
Polichinelle, Nanette, Tourangeau, Poitevin, Charlot
chœur
Air : Ô reguingué, ô lon lan la
Alarmez-vous, rapides feux,
Que dans les flots impétueux,
Périssent ces audacieux :
Volez, secondez notre rage
Quelle vengeance ! quel outrage !
Ils veulent brûler le bateau de Polichinelle avec des chandelles allumées, alors la rivière s’enfle, et les bachots coulent à fond.
Scène xiv
Polichinelle, Nanette
polichinelle
Avouez que j’ai bien du bonheur de ce que le machiniste a bien fait.
nanette
La rivière en fureur vient de m’annoncer tous les malheurs ensemble.
polichinelle
Tout cela n’est qu’un jeu.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Des pleurs que je vous vois répandre
Que mon amour est alarmé !
Donnez-vous cette pitié tendre
Au malheur d’un rival aimé ?
nanette
Allez vous-en, séparons nous pour ne nous voir jamais.
polichinelle
Armez-vous de rigueur, ôtez moi jusqu’au moindre espoir, mais laissez moi la douceur de vous voir.
nanette
Air : Dans un bois solitaire et sombre
Chaque instant accroît mes alarmes ;
Oubliez mes chétifs attraits :
Que le ciel touché de me larmes
Fasse couler vos jours en paix.
polichinelle
Dieux ! Quel mélange de tendresse, de vigueur et d’effroi !
nanette
Je ne dois plus vous le cacher, craignez Polichinelle, c’est le redoutable fils d’un marchand de marée, un des plus cossus qui soit à Paris.
polichinelle
Vous craignez Polichinelle et c’est lui qui vous aime : pouvez-vous trembler encore ?
nanette
Quoi ! Monsieur, à mon cœur vous pourriez aspirer ?
polichinelle
Brouetteur, avancez et conduisez nous en triomphe dans la maison de mon papa.
nanette, entrant dans la brouette
Ah ! Quel honneur pour moi !
Scène 15
Toutes les Poisardes, Polichinelle et Nanette dans le fonds.
chœur
Air : Mirliton
Qu’ici le plaisir enchante
Que l’on braille à qui mieux, mieux ;
Lorsque l’amour nous tourmente
Nous cédons à ses doux feux ;
L’âme dans cet endroit joyeux
Est contente
Et nous égalons les dieux.
nanette, polichinelle, ensemble
Air : À la baronne
Que je vous aime !
De l’amour vous avez la voix,
Quels transports, et quel bien suprême
Redisons mille et mille fois
Que je vous aime !
polichinelle
airopera
Une harengère nouvelle
Embellit ce séjour
Sous mille traits riants, que les jeux et l’amour
Sans cesse volent autour d’elle.
nanette
Air : On n’aime point dans nos forêts
Amours, plaisirs, lancez vos traits
Triomphez des plus dures peines ;
On jouit des plus doux attraits
Dans leur empire et dans leurs chaînes
Vivons toujours amours parfaits,
Que nos nœuds durent à jamais.
chœurdepoissardes
Dansons le nouveau cotillon etc.
Fin