La Veuve Nulcifrote

Auteurs : Coursiaux
Parodie de : Didon de Marmontel et Piccinni
Représentation : Inconnu
Source : s. l. 1785
Monsieur Coursiaux

La Veuve de Nulsifrote


Parodie de Didon


1785

Acteurs


Dodon, blanchisseuse, veuve de Nulsifrote : Mademoiselle Desplaces
Lise, sœur de Dodon : Mademoiselle Savary
René, amoureux de Dodon : Monsieur Duquesnol
Fierabras, vieux grenadier : Monsieur Paillardelle
La Tulipe, recruteur : Monsieur Gabriel
Sans souci, recruteur : Monsieur Le Telier
Blaise, pêcheur : Monsieur Derneval
Une troupe de recrue
Une troupe de pêcheurs
La scène est à Paris.

La Veuve de Nulsifrote

Le théâtre représente une partie du Pont Royal et du Quai du Louvre.

Scène i

Dodon, Lise

dodon

Air : Dans les bois d’alentour


Hélas ! que devenir ?
Ma foi, je n’y peux plus tenir ;
Mon cœur ne suffit pas
À tant d’assauts et de combats.
J’ai peur, je frémis, je ne sais pourquoi...
Il me semble encor... Lise soutiens moi...
lise
Qu’avez-vous donc ma sœur,
D’où vient cet accès de langueur ?
Je vous trouve aujourd’hui
Un peu disposé à l’ennui.
dodon

Air : Permettez qu’avec franchise


Oui, je veux avec franchise,
Chère Lise,
Que mon cœur te soit ouvert.
Un songe affreux me ballotte.
Nulsifrote
À mon esprit s’est offert.
Il avait tout, l’allure,
L’encolure,
D’un rébarbatif époux,
Qui jusques au manoir sombre,
De son ombre
Paraissait encor jaloux.
D’une légitime crainte
L’âme atteinte,
Je m’enfonçais dans mon lit.
Lors, d’une voix sépulcrale,
Il s’exhale
En reproches et me dit :

Air : Vous m’entendez bien

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Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

\og Perfide, vous deviez toujours
Être fidèle à nos amours.
Je sais tout le contraire\fg.
lise
Eh bien !
dodon
\og Car vous brûlez de faire...
Vous m’entendez bien.
De faire un époux d’un amant
Que vous lorgnez complaisamment.
Mais vous irez, parjure\fg.
lise
Eh bien ?
dodon
\og Loin avant de conclure...
Vous m’entendez bien.
Les dieux protecteurs de mon front,
Oui, les dieux bientôt vous feront,
De quelque tragédie\fg.
lise
Eh bien ?
dodon
\og Jouer la parodie...
Vous m’entendez bien\fg.

Air : Vous l’ordonnez


Vaine terreur ! Ô déités suprêmes !
C’est en aimant qu’on marche sur vos pas.
Non, justes dieux ! vous ne condamnez pas
Un passe-temps que vous prenez vous-mêmes.

Air : Je vais te voir


Je vais revoir l’épais feuillage
Où René, la première fois,
Me fit... ma sœur, me fit l’hommage
De sa tendresse... ah ! je le vois.

Scène ii

Dodon, Lise, René

rené

Air : Il était une fille


Un enfant de Bellone Déesse de la guerre \JC,
Un moustache au poil noir
Demande un instant à vous voir.
Mais, dites-moi, mignonne,
Ce grenadier brutal,
N’est-il pas mon riva-al ?
dodon

Air : Va-t-en voir s’ils viennent

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Informations sur cet air

Ce soupçon injurieux
Chiffonne ma gloire
Un cœur ne peut être à deux !
Ce fait est notoire.
À part.
Va-t’en voir s’il viennent, Jean,
Va-t-en voir s’ils viennent.
On ne sais plus se pourvoir
D’intrigue suspecte.
On rougirait d’en avoir,
Tant on se respecte.
À part.
Va-t-en voir, etc.
rené

Air : Sur un sofa


S’il est ainsi,
Laissons ceci.
Mais le voici,
Notre amant transi,
Je vais me planter ici.

Scène iii

Dodon, Lise, René, Fierabras

fierabras

Air : L’on dit partout


Si vous pensez à convoler\definition Convoler Se marier pour la seconde ou troisième fois \acad 1694, Madame,
Sur vos appas je jette un dévolu.
Pour Fierabras ma valeur vous réclame
Contre un blanc-bec
René fait un mouvement de réplique et porte la main sur son espadon.
Qui, dit-on, vous a plu.
dodon

Air : Aussitôt que la lumière


Monsieur, pour un militaire,
Vous n’êtes pas fort galant.
Rengainez votre rapière\definition Rapière Vieille et longue épée \acad 1762
Et votre sot compliment.
Pensez-vous à quelque sotte
Offrir vos tons déplacés ?
Je suis Dodon Nulsifrote...
Et... s’est vous en dire assez.
[Elle] sort.

Scène iv

René, Fierabras

fierabras

Air : Jamais je ne m’étonne


Arrête, arrête, arrête,
Je roule dans ma tête,
Un duo qui doit faire effet.
rené
Voyons quel en est le sujet.
fierabras
Récitatif
Je veux que notre haine forge
Un démêlé de crocheteurs\definition Crocheteur Portefaix, qui porte des crochets \acad 1694.
Que des hales imitateurs,
Nous nous mettions poings sur la gorge
Pour égayer les spectateurs.
rené
Pour singer votre manie
Je ferai ce que je puis.
fierabras
Commençons avec furie :
Partons ensemble.
rené
J’y suis.
Duo

Air : Est-il un dessein plus doux


deuxcol,
rené

Ne crois pas me faire peur.par


Va, je n’ai point de frayeur.par


Je brave ton audace,par


Et je reste en place.par


Je ne réponds à tes crispar


Que par un profond mépris.par


Ce n’est qu’une grimace,par


Et je m’en... ris.par



fierabras

Fuis, perfide séducteur,par


Fuis, ou ce bras destructeurpar


Va punir ton audace.par


Cède-moi la place.par


Je veux à tes yeux surprispar


Que l’objet que je chérispar


Du cœur qui le pourchassepar


Devienne le prix.par



Scène v

Fierabras

fierabras

Air : Tire li tan plan


Mil’ bombes, c’est Fierabras,
À qui l’on conteste le pas !
Ah ! faraud\definition Faraud Celui qui porte de beaux habits et en est fier Littré, tu recevras
Le prix de cet outrage,
Le prix de cet outrage !
Je veux sur ton visage
Aiguiser ce coutelas\definition Coutelas Sorte d’épée courte et large, qui ne tranche que d’un côté \acad 1694,
Sur ton dos prendre mes ébats\definition Prendre ses ébats Passe-temps, divertissement. Il n’est plus que du style familier, et ne se dit guère qu’au pluriel \acad 1762
Et du haut jusques en bas
Éparpiller ma rage.

Air : Madelon, de tous les fruits


Mars, en cet évènement,
Soutient mon courage.
S’il mollissait un moment
Ce serait dommage.
Je vais sonder le terrain,
Et reviens faire soudain
Tapage, tapage, tapage.

Scène vi

Lise, René

Cette scène est précédée de la ritournelle de l’ariette Au noir chagrin.
rené

Air : Ah ! laissez-moi


À ma douleur, jugez de mes alarmes.
Un sort cruel empoisonne mes jours.
Pour moi la vie a perdu tous ses charmes.
Je vais pl[e]urer l’objet de mes amours,
Je vais pl[e]urer l’objet de mes amours.
lise

Air : Votre patronne


Quelque sottise
Vous fait ruminer un projet.
De ce discours je suis surprise.
Je gage que vous avez fait
Quelque sottise.
rené
nouvelle
Ah ! plaignez un amant sensible,
N’ajoutez point à ses douleurs.
Et consolez, s’il est possible
L’objet pour qui coulent mes pleurs.
Amour ! des tourments que j’éprouve,
Garde-toi de la déchirer.
À Lise.
Que dans votre sein elle trouve
À se distraire, à s’égarer.
Dites-lui que si je succombe
Aux maux que je vais endurer,
Si l’on aime encor dans la tombe,
J’y descendrai pour l’adorer.
lise, à part

Air : Ne v’la-t-il pas que j’aime


Autant que j’pouvons l’entrevoir
Ma sœur en a dans l’aile.
Al a donné dans le pot au noir,
Ma foi tant pus pour elle.
[Elle] sort.

Scène vii

René seul

rené
Enrôlé sans savoir comment
Je viens de dévouer mon bras à la patrie.
Il faut quitter une amante chérie
l’honneur m’appelle au régiment.
Mon rival plus heureux... triste réminiscence !
Ah, Dodon ! quel sera mon sort ?...
Il va jouir de mon absence,
Car les absents ont toujours tort.

Scène viii

Dodon, René

dodon
nouvelle
Ah ! que je suis lasse d’attendre !
Cher amant,
Je n’eus jamais l’âme si tendre
Qu’en ce moment.
Mon cœur est un feu sous la cendre
Toujours brûlant.
Mais il attend pour se répandre
Le dénouement.
rené
Récitatif
Hélas !
dodon
Récitatif
Quoi ? tu soupires !
Quelle perplexité !
Ah ! cruel, tu déchires
Ma sensibilité.
rené
Récitatif
Tranquillisez-vous, ma mignonne,
Je suis lesté d’un amour éternel.
J’en jure par le Styx, la Seine, la Garonne
Et par tous les jurons d’un serment solennel.
dodon
Récitatif
Ne puise point à la source
De ces inutiles serments,
Injurieux aux vrais amants.
C’est une petite ressource
Pour les Gascons et les Normands.
mais nous autres, bonnes gens,
Sans timbre, sans formulaire,
Pour contrat et pour notaire
Nous avons nos sentiments.
En dépit des mœurs du temps,
Cette union aussi chère
Te donnera des enfants,
Qui seront ceux de leur père.
vas inviter nos parents,
Et vogue la galère !

Scène ix

Dodon, Fierabras

fierabras

Air : Marchons, avec courage, au service du roi


Que je sois une taupe, un chien, un loup garou,
Si de votre Adonis je ne rase le cou,
C’est un maître filou,
Qui, de je ne sais où,
Est venu tout exprès pour vous river le clou\definition River le clou à quelqu’un Lui répondre fortement, vertement sur quelque chose qu’il dit mal à propos \acad 1694.

Air : Belle brune que j’adore


Pour me venger du caprice
Qui vous porte à me haïr.
L’objet de cette injustice
Se dispose à vous trahir.
dodon
Qui ? René ?
fierabras
Récitatif
Oui, lui-même. Un autre soin l’occupe.
Le poltron en fuyant échappe à mon courroux.
Il sert ma jalousie en s’éloignant de vous,
Et vous laisse en partant l’espoir d’être sa dupe.
dodon

Air : Ah ! le bel oiseau, maman

Voir la partition
Informations sur cet air

Ah ! que vous connaissez mal
Ceux que ce propos outrage !
Ah ! que vous connaissez mal
Le cœur de votre rival !
Grâce au lien conjugal,
Ce soir il me dédommage
Des nuits que je passe mal
Depuis un an de veuvage.
Ah ! Monsieur le caporal,
Que vous êtes déloyal !
fierabras
Récitatif
Ainsi, toujours récalcitrante
À l’ardeur que vous m’inspirez,
René vous rend extravagante,
Et c’est lui que vous préférez !
Je vais dans ma juste colère
À la vengeance qui m’éclaire
Mettre la bride sur le cou.
Je vais disloquer ton ménage
Casser, briser, mettre tout au pillage.
Je vais... Ô ciel ! je crois que je suis fou.

Scène x

Dodon seule

dodon

Air : Non, non, Colette n’est pas trompeuse


René volage, René parjure !
Non, non, non, je n’en crois rien.
À son cœur ce serait faire injure,
Et j’en juge par le mien.

Scène xi

Dodon, Lise

dodon

Air : Déjà, dans la plaine


Ah ! ma chère Lise
Je touche au bonheur.
L’hymen réalise
Les vœux de ta sœur.
Déjà dans mon âme
Les tendres désirs
Ourdissent la trame\definition Ourdir la trame Disposer les fils \acad 1762
De tous les plaisirs.

Scène xii

Dodon, Lise, René, les recruteurs avec une troupe de recrues, au fond du théâtre

dodon, à Lise

Air : Avez-vous vu la girandole


C’est au sentiment que je cède
Un cœur à l’amour destiné.
Ma main et ce que je possède,
Je vais tout offrir... à René.
À René qui vient de s’avancer.
Le ciel à propos vous envoie
Pour être témoin de ma joie.
rené
Belle Dodon, en vérité,
Vous avez bien de la bonté.
Duo
la tulipe et sans souci ensemble, ensemble

Air : Me seras-tu toujours fidèle


deuxcol,
la tulipe

L’honneur t’attend, sois-lui fidèle,par


Laisse gémir ta tourterelle.par


Du dieu Marspar


Suis les étendards,par


Vole à la gloire qui t’appelle.par


dodon, à sa sœur

Quel trouble l’agite ?par


Ma sœur, il m’évite !par


À René, amoureusement.

René mes amours !par


M’aimes-tu toujours ?par




sans souci

L’honneur t’attend, sois-lui fidèle,par


Laisse gémir ta tourterelle.par


Du dieu Marspar


Suis les étendards,par


Vole à la gloire qui t’appelle.par


rené

Moi ! que je la quitte !par


Quel trouble m’agite ?par


À Dodon, gracieusement.

Dodon mes amours !par


Viens à mon secours.par



Dodon s’approche de René avec une tendre inquiétude, cherche dans ses yeux ce qu’elle doit penser de son cœur, et chantent ensemble :
deuxcol,
dodon

Viens, viens charmant dieu des amours,par


Nous unir pour toujours.par




rené

Viens, viens dieu de tendres amours,par


Viens, vole à mon secours.par



dodon, d’un air satisfait
Récitatif
Comme dans nos regards la gaité se déploie,
Ce coup d’œil amoureux a détruit mes soupçons.
rené
Récitatif
Puisque le jeu vous plait, mamour recommençons.
À part.
Mais vous allez avoir bientôt du rabat-joie.
Dodon retourne à sa place, et le duo recommence.
deuxcol,
la tulipe

L’honneur t’attend, etc, \par


dodon, à sa sœur

Quel trouble l’agite ?par


Ma sœur, il m’évite !par


À René.

René mes amours !par


M’aimes-tu toujours ?par


la tulipe

Oui, oui partons sans différer,par


Il faut vous séparer.par




sans souci

L’honneur t’attend, etc, \par


rené

Quel trouble m’agite ?par


Moi ! que je la quitte !par


Je vais donc toujourspar


Pleurer mes amours.par


sans souci

Oui, oui partons sans différer,par


Il faut vous séparer.par



dodon, aux recruteurs

Laissez-nous.


Scène xiii

Dodon, Lise, René

dodon, à René
Récitatif chantant
Ô, toi que j’aime
Plus que le jour, plus que moi-même,
Mon cher René, dissipe mon effroi !
D’où naissent les remords où ton âme se livre ?
Qu’as-tu ? réponds ! parle, rassure-moi.
rené
Récitatif chantant
Hélas ! à ma douleur je ne pourrai survivre.
dodon, avec une tendre émotion
Récitatif chantant
Pour l’hymen tout est préparé.
J’ai tout prévu pour cette fête.
L’autel t’attend, ma main est prête.
Des myrtes de l’amour mon lit est décoré.
rené
Récitatif chantant
Votre tendresse me pénètre,
Dodon, je sens tout mon bonheur.
Mais, hélas, je ne puis vous mettre
Que le désespoir dans le cœur.
Je vais suivre d’un pas allègre
Tous ces héros qui vont se réjouir...
dodon
Récitatif chantant
À moi, ma sœur, je vais m’évanouir
Si l’on n’apporte du vinaigre.
rené
Récitatif chantant
Ah ! suspendez un moment
Cet évanouissement,
Et mettez-vous à ma place.
Si le destin fait la loi,
Ce n’est pas ma faute à moi.
Que voulez-vous que j’y fasse.
dodon, avec abattement
Récitatif chantant
Il est donc vrai !... Barbare, tu me fuis.
Je t’idolâtre, et je suis délaissée !
Trop douce illusion, vous êtes éclipsée.
Je n’ai plus d’autre choix que la mort ou des ennuis.
Quel affreux avenir occupe ma pensée !
Et c’est toi qui me mets en l’état où je suis !
rené

Air : Quel désespoir


Ce désespoir
Que vous accompagnez des larmes,
Ce désespoir
De vos yeux fait un arrosoir.
Si je prends le parti des armes,
Prenez, vous, celui de vos charmes.
Et de surmonter vos alarmes
Faites-vous un devoir.
Sur ce mouchoir,
Respirez un peu d’eau des carmes.
Ayez espoir,
Adieu, Dodon, jusqu’au revoir.
dodon

Air : Reste encor un moment


Donne encor un moment
À ta maîtresse expirante.
Laisse encor un moment,
Mes yeux jouir de mon amant.
ensemble, ensemble
deuxcol,
lise

Vois les pleurs d’une amante,par


Sois sensible à sa douleur.par


Que sa voix gémissantepar


Trouve un accès à ton cœur.par




dodon

Vois les pleurs d’une amante,par


Sois sensible à sa douleur.par


Que ma voix gémissantepar


Trouve un accès à ton cœur.par



dodon
Donne encor un moment
À ta maîtresse expirante.
Laisse encor un moment,
Mes yeux jouir de mon amant.
rené

Air : Malbroug

Voir la partition
Informations sur cet air

D’aucune jouissance,
Rengainez, rengainez l’espérance
Sur cette jouissance,
Dodon, ne comptez pas.
Dodon, ne comptez pas.
Car je vais de ce pas
Sur la Seine profonde
Voyager et parcourir le monde,
Sur la terre et sur l’onde
De Paris à Saint-Cloud,
De Paris à Saint-Cloud.
dodon
Puisses-tu dans un trou,
La tête la première,
Voyager au fond de la rivière,
Et mort noyé te faire
Pêcher au gros caillou.
Récitatif
Qu’au fond des gouffres de la Seine,
Des monstres altérés de sang,
Que le requin, que la baleine
Puissent te déchirer le flanc.
Que la mégère Tisiphone,
Que les lions de Babylone
Puissent se réunir pour venger mon amour.
Tigre, c’est une femme à qui tu dois le jour !
Non, tu naquis chez les sauvages,
Chez les arabes du Japon,
Ou de cruels anthropophages
Dans les déserts de l’Aragon.
Va, malheureux, dans tes champs de Bellone.
Va triompher de mes douleurs...
Lise... ma force m’abandonne...
Ingrat... c’est pour toi que je meurs.
Elle tombe dans les bras de sa sœur.
lise

Air : Elle l’aimait si tendrement


S’désespérer pour un ingrat,
Morgué, c’est grand dommage.
Pisque son amiquié s’dégage,
Laisse aller ce p’tit scélérat.
Dam, y’a bin d’la r’source à ton âge.
Y allons, ma sœur, fais t’un effort.
dodon
Hélas ! pour toi vivrais-je encor !
À René.
]
Regarde-moi, vois ton ouvrage.
lise
Regarde-la, vois ton ouvrage.
rené
Vivez Dodon, prenez courage.
]
lise
Cruel, peux-tu la voir mourir ?bis
Y n’tient qu’à toi de la guérir.bis
rené
D’amour il ne faut pas mourir.bis
Un autre pourra vous guérir.bis
dodon
Viens, cruel, viens me voir mourir.bis
Et reçois mon dernier soupir.bis
lise
Récitatif
Ô ciel ! est-il possible !
Viens donc m’aider, cœur insensible.
Veux-tu la voir expirer dans mes bras ?
rené
Moi ! la voir expirer ? mon dieu non, je m’en va !

Scène xiv

Dodon, Lise

dodon, après un long évanouissement
Récitatif
Hélas ! que t’ai-je fait ?... où suis-je ?...
René... ma sœur...
lise
Il est parti, vous dis-je.
Dodon promène ses yeux de tous les côtés et après un morne silence, elle s’écrie douloureusement :
dodon
Récitatif chantant
Il est parti !... je ne le verrai plus !...
Il faut mourir. Ô regrets superflus !
De tant d’amour quelle est la récompense ?
À Lise.
J’ai besoin de repos et de ton assistance...
Lise tu reviendras me voir...
Embrassons-nous... adieu, ma sœur.
lise
Bon soir.

Scène xv

Dodon seule

dodon
Récitatif
Amante infortunée !
Jouet des caprices du sort !
Entre l’existence et la mort,
Me voilà donc abandonnée !
Mais le cruel qui me donne aujourd’hui
Le coup affreux qui me poignarde,
Puisqu’il voulait servir et porter la cocarde\definition Cocarde Nœud de rubans qui se met au retroussis du chapeau, et que les soldats portent ordinairement \acad 1762
Devait du moins m’emmener avec lui.
N’ai-je pas jadis avec zèle
Servi sept ans dans les grassins ?
Blanchisseuse, ouvrière, utile à mes voisins,
Le régiment n’avait pas une bagatelle
Qui ne m’ait passé par les mains.
J’étais alors dans mes prémices.
J’avais quinze ans, heureux destins !
Mon cœur enivré de délices
Ne comptait que des jours sereins.
Et l’aurore, tous les matins
En ouvrant le jour aux humains
M’apportait une jouissance.
Ah ! ce n’est que par le plaisir
Par l’heureux talent de jouir
Qu’on embellit son existence.
Que dis-je ? le plaisir ! il n’en est plus pour moi.
J’ai tout perdu jusques à l’espérance.
Où fuit ? où digérer les tourments de l’absence ?
Ô ciel ! qu’est-ce que j’aperçoi ?
C’est René, c’est la galiote,
Elle m’enlève mon amant...
Elle monte sur le pont.
Récitatif chantant
Ingrat que mes soupirs appellent vainement,
Vois la veuve de Nulsifrote.
Vois ses tourments sans t’émouvoir,
Et jouit de son désespoir.
Elle s’élance dans la Seine.

Scène xvi

Lise, Fierabras

lise

Air : Menuet d’Exaudet


Y au secours !
fierabras
Oui, j’y cours.

Scène xvii

Lise seule

lise
Quer caprice
Vient d’la prendre incognito,
Pour se j’ter subito
Dans l’fond d’un percipice !
Ah, Dodon !
Quer guignon !
Quer sottise !
Car pour ce p’tit argousin\definition Argousin Bas Officier de galère qui veille sur les forçats \acad 1762,
Je n’mouillerais pas un brin
D’ma ch’mise.
Ça n’a pour soi qu’la figure.
Queuqu’ berloque’ et d’la frisure.
V’la pourtant,
C’qui plait tant
À nos belles.
À c’t’écorce d’agréments
Elles sont rarement
Cruelles.
Quand zun’ fois
D’un tel choix
Zon s’occupe,
C’est comme un ordre du ciel,
Il est tout naturel,
Qu’il faut z’en ête la dupe !
Mais allons,
Et voyons
Com’ ça s’passe.
Peut-être, hélas ! que ma sœur,
De mal ou de frayeur
Trépasse.

Scène xviii

Lise, Blaise

blaise, dans la coulisse

Air : Chantons lœtamini


Chantons lœtamini.ter
À Lise.
D’vous consoler j’m’empresse.
J’l’a r’tenons, dieu marci.
Et sans que ça paraisse
J’vous la ram’nons tici.
Chantons lœtamini.ter

Scène xix

Dodon, Lise, Fierabras, Blaise

une troupe de pêcheurs, dans la coulisse
Chantons lœtamini.ter
dodon, en entrant sur la scène, à Lise

Air : Ah, maman ! que je l’échappai belle

Voir la partition
Informations sur cet air

Ah ! ma sœur, que je l’échappe belle !
Sans un prompt secours
J’allais à Pluton sans nacelle.
Ah ! ma sœur, que je l’échappe belle !
oui, sans leur secours
J’allais voir terminer mes jours.

Air : C’n’est pas mon sabot


De si bas je viens
Que le voyage m’étonne.
De si bas je viens
Qu’à peine je me soutiens.
lise
Eh mais, c’est zun rien,
Pisque j’tenons ta parsonne.
Eh mais, c’est zun rien,
Pisque tu te portes bien.
fierabras, à Dodon

Air : Ne v’la-t-il pas que j’aime


Aux tendres vœux de Fierabras
Ne soyez plus revêche.
De l’eau j’ai tiré vos appas
Pour jouir de ma pêche.
lise

Air : Y allons donc, ma sœur cadette


Y allons donc, ma bonne amie,
Y allons, décide-toi donc !
N’vaut y pas mieux qu’on s’marie,
Que d’rester à l’abandon ?
Y allons donc, ma bonne amie,
Y allons, décide-toi donc !
dodon

Air : Je m’appelle Madon Friquet

Voir la partition
Informations sur cet air

Mais, ma sœur, que dira-t-on
De mon histoire ?
Que va-t-on croire ?
fierabras
Laisse les qu’en dira-t-on,
C’est mon affaire, j’en réponds.
lise

Air : Eh mais, oui-da


C’est parler comme un ange
Nague de c’qu’on dira.
Dès qu’Monsieur s’en arrange,
Et veux bien s’charger d’ça.
Eh, mais, oui-da !
C’est bin heureux de trouver d’ces gens-là.
fierabras, avec gravité
À votre histoire,
La déesse à cent voix,
Dans son grimoire
Ajoute maints exploits.
Or, je veux, à mon tour,
Du flambeau de l’amour,
Éclairer ma victoire,
Et redonner du jour
À votre histoire.
dodon

Air : Allons danser sous ces ormeaux


Allons gai, divertissons-nous.
Je me rends à votre éloquence.
Puissé-je oublier avec vous
L’ingrat qui m’a fait les yeux doux.
chœur, dansant
Allons gai, divertissons-nous,
Que le plaisir ouvre la danse.
Allons gai, divertissons-nous,
Égayons les nouveaux époux.
blaise
Récitatif
Ah ça, puisque l’on s’propose
De s’divartir un p’tit brin,
Pernez-vous tous par la main,
J’m’en vas vous chanter queuqu’chose.
Ronde à danser
Au bon vieux temps, dit ma mère,
On aimait loyalement.
Tant et si bin qu’un’ bergère
Trépassait pour son amant.
[bis]
Ça s’peut bin, mais en ce jour
On sait aimer sans amour.
Tiens, j’t’aime, et c’est pour la vie,
M’disait tendrement Suzon.
Mais pour Lucas elle oublie
Tant d’serments faits su l’gazon.
[bis]
Car les belles en ce jour
Savons aimer sans amour.
Marton, Cécile et Thérèse,
Stella qui font les doux yeux,
Engeolont tout à leur aise
Je n’sais combin d’amoureux.
[bis]
Tant les belles, en ce jour,
Savont aimer sans amour.
Un ballet.
vaudeville
dodon
J’ouvrais mon âme à la tendresse,
J’avais à peine quatorze ans.
Lorsque l’amour et son ivresse
Vinrent s’emparer de mes sens.
Vers le plaisir mon cœur s’élance
Et brûle de s’épanouir,
Car je ne tiens à l’existence
Que par le bonheur d’en jouir.
fierabras
Comme un problème j’envisage
Si je suis vainqueur ou vaincu.
Mon sort du dépit est l’ouvrage
Par lui je vais être reçu.
Sous les lauriers du mariage
Mon front va donc s’épanouir.
Des parents c’est un héritage
Dont tôt ou tard il faut jouir.
lise
L’amour est une étrange chose,
Dam ! où qu’ça prend, ça s’fait sentir.
Quand zun’ fois dans tun cœur y s’oppose,
C’est bin mal aisé d’l’en sortir.
Une fille est comme une rose
Elle tend à s’épanouir.
Eh mais, quand d’la vie on dispose,
M’est avis qu’c’est pour en jouir.
blaise
J’aime à m’divartir, j’aime à rire
Comme à m’rendre utile au prochain.
Car, le bien c’n’est pas tout qu’de l’dire
Il faut queuqu’ fois en faire un brin.
Aux plaisirs que la vartu donne
Le cœur aime à s’épanouir.
Être heureux, sans nuire à parsonne,
V’la cé qui s’appelle jouir.
dodon
Messieurs, sur cette parodie
Portez des regards indulgents.
C’est à vous d’étouffer l’envie
Et d’encourager les talents.
Nous réclamons votre suffrage,
Et nos cœur vont s’épanouir.
Si de l’accueil de cet hommage,
Vous daignez nous faire jouir.
Fin

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