Turelure ou le Chaos perpétuel

Auteurs : Braban (Jean-Nicolas) dit Destival de Braban
Mayeur de St-Paul (François-Marie)
Parodie de : Tarare de Beaumarchais et Salieri
Date: 4 juillet 1787
Représentation : 4 juillet 1787 Théâtre des Grands-Danseurs du roi (théâtre de Nicolet)
Source : ms. BnF, NAF 3006
Jean-Nicolas Braban et François-Marie Mayeur de Saint-Paul

Turelure


Le Chaos perpétuel
Parade avec un prologue. Parodie de l’opéra de Tarare


BnF ms. naf. 3006
definitacteur, madame de l’imaginative MadameDeLImaginative
definitacteur, de l’imaginative DeLImaginative
definitacteur, l’enfant Lenfant
definitacteur, p. Pz
definitacteur, f. Fz
definitacteur, l’hébété Hebete

Acteurs


L’imaginative : Branchu
Monsieur Tout feu : Branchu
Picard, capitaine des housards : Destival
Turelure, brandevinier de la compagnie : Durmoy
Tout Àmort, fils du bailli L’Hébété : François
L’Hébété, bailli et magister du lieu : Guiraumont
Margot mamie, femme de Turelure : Lacroix
\persliste[Forêt l’aînée] Friponnettefemme de Fifi
Fifi, confident de Picard : Mayeur
Ourson, jocquet Il s’agit d’une ancienne orthographe de jockey. \PB de Picard : Maignon
un enfant, pour les suffrages : Thorigny
Paysans
Suite

Turelure

La scène est dans un vieux château sur les frontières d’Allemagne appartenant à Picard.


Scène 1


Le théâtre représente une place dans le fond de la maison de monsieur Tout Feu. En demande de L’imaginative, des enfants paraissent aux fenêtres et y sont occupés à faire des bulles de savon, que d’autres en face qui sont dans la rue, font voltiger avec le vent de soufflets qu’ils tiennent [.. ...] continuellement ; on joue l’air Hanneton, vole, vole.

Scène ii

[madame de l’imaginative, des enfants]

MadameDeLImaginative, une verge à la main

À quoi donc s’amusent ces petits morveux-là ? Voulez-vous bien aller jouer plus loin et nous laisser en repos.


un enfant

Où voulez-vous donc que nous allions ?


MadameDeLImaginative

Où vous voudrez pourvu que ce soit loin d’ici. Toi, Zéphyr, monte au grenier et restes-y, vous autres, décampez et vite ou ces verges vous serviront !


Elle chasse les enfants qui se sauvent.
les enfants

Allons-nous-en chacun chez nous.


Ils sortent.

Scène iii

madame de l’imaginative, monsieur tout feu à une fenêtre

monsieur tout feu

Hé ! Que faites-vous donc là-bas, Madame de L’imaginative ?


DeLImaginative

Ah ! C’est vous monsieur Tout Feu ?


monsieur tout feu

Moi-même, ma commère.


DeLImaginative

Descendez un moment, voisin, nous causerons ensemble, j’ai beaucoup de choses à vous communiquer.


tout feu

Volontiers, je suis d’ailleurs trop éloigné pour bien entendre ce que vous me dites, plus près de vous je pourrai comprendre plus à mon aise.


DeLImaginative

Je suis contente de l’avoir vu, il pourra m’être très utile dans le projet que j’ai médité.


tout feu

Me voici qu’exigez-vous ?


DeLImaginative

L’idée m’est venue de composer plusieurs dessins d’imagination. Vous savez que je sais m’en escrimer. Bientôt animée par mon génie créateur, j’ai vu naître sous mon crayon un nombre infini de figures de toute espèce  ; mais ces figures, formées d’un simple trait, sont encore sans expression et sans couleur, comme qui dirait des ombres.


tout feu

J’entends, vous avez besoin du charme puissant de mon pinceau pour donner à ces simples dessins cette enlumineure dont je possède si bien l’art par excellence ?


DeLImaginative

Justement.


tout feu

Faites-moi voir vos dessins et en deux fortes touches appliquées là à ma manière, vous leur verrez prendre une certaine tournure.


DeLImaginative

Vous allez être satisfait. Je les ai faits découper pour leur donner plus de grâce. Sujets soumis à mes ordres, apprentifs de mes talents, accourez chacun muni d’une de mes froides découpures.


On les apporte.
tout feu

Ces dessins là sont fort bien faits, Madame, mais il faut comme vous le disiez que mon talent y mette la dernière main. Leur donne la vie.


DeLImaginative

Voyons, qu’allez-vous faire de tous ces cartons blancs ?


tout feu

Celui-ci me semble représenter une femme, il la faut faire jolie  ; une femme sans attraits est bijou qui a peu de cours dans la société.


DeLImaginative

Et celle là ?


tout feu

Son air dégagé me plait  ; sa taille élégante et svelte me prévient en sa faveur  ; elle me parait faite pour réussir dans le monde. J’en veux faire une intrigante.


DeLImaginative

Une intrigante, soit. Elle s’appellera Friponnette\fg .


tout feu

J’adhère.


airvide

Nous la reconnaitrons, la voilà étiquetée.


DeLImaginative

Et cette femme dont l’air est si langoureux et qui tient un mouchoir à la main ?


tout feu

Nous en ferons une Héraclite femelle.


DeLImaginative

À la bonne heure  : elle se nommera Margot mamie\fg .


tout feu

Bon pour Margot mamie.


Air : Dites la pleureuse


DeLImaginative

Et ces deux découpures dont les contours doivent vous paraître mâles ?


tout feu

À vous le dé, Madame, ce genre est parfaitement placé dans vos mains.


DeLImaginative

Faites de celui-ci un housard à longues moustaches, un brutal, un sot, un lâche, un imbécile, un méchant sans savoir pourquoi, amoureux sans savoir comment, voulant le mal pour le plaisir d’en faire, le faisant toujours à contre sens  ; sans caractère, sans mœurs, sans idées, en un mot un tyran couronné et s’appellera Picard\fg .


tout feu

Vous me donnez une idée !


DeLImaginative

Quelle est-elle ?


tout feu

Il faut toujours l’ombre au tableau, pour contraster avec votre Picard, je ferai de cet autre carton un pauvre diable de brandevinier, bon, humain, valeureux et brave et qui se nommera Turelure\fg .


DeLImaginative

Maître votre idée est excellente !


tout feu

Elle n’est pas neuve, toujours le nom du personnage n’est guère noble, mais on y prend pas garde d’espérer aujourd’hui que le français s’amuse de tout, soit donc Picard\fg , l’effroi de toute la terre, et toi soit mon ami \og Turelure\fg .


airvide
DeLImaginative

Et celui-ci qui tient un guitare !


tout feu

Il en faut faire un Figaro nous lui donnerons seulement une autre dénomination pour avoir l’air d’offrir au public un personnage neuf mais bas, flatteur par intérêt, bon ami par tempérament, intriguant par nécessité, spirituel par caractère  : ce sera toujours Figaro\fg sous le nom de Fifi ! Et en offrant sur la scène le langage de ce personnage trivial mêlé au tragique larmoyant, nous dirons hardiment au public que nous voulons lui donner une idée du théâtre grec.


airvide
DeLImaginative

L’intrigante Friponette sera sa femme, [ce] sera d’autant mieux que j’ai le projet d’une pièce monstrueuse d’une parade, du grand [... – dans laquelle tous les personnages bizarres joueront un rôle.


tout feu

Ah ! vous faites des pièces ? vous êtes donc au poil et à la plume.


DeLImaginative

Oui compère, j’attendais votre secours pour nommer mes acteurs. Mon plan est inconcevable, ma conduite extraordinaire et mes rimes seront extravagantes, cela fera un bel effet. Laissons en un clin d’œil écouler quarante ans et voyons-les agir sur la scène du monde\fg .


tout feu

Si vous prenez une durée de quarante ans, tous vos acteurs seront du même âge, plus de vraisemblance pour les caractères, ils seront presque tous à contre sens  ; vous conviendrez qu’une jeune fille de quarante ans est une rose furieusement épanouie.


DeLImaginative

Je n’y avais pas pensé, vous m’ouvrez les yeux, mais il est trop tard ! Il faut tout vous avouer, ma pièce va être jouée publiquement dans deux minutes, vous concevez bien qu’on ne peut pas dire au public  : Messieurs reprenez votre argent au bureau\fg , ça ne ferait pas le compte du directeur.


tout feu

Non, mais ça sauverait la bévue de l’auteur !


DeLImaginative

Au bonheur ! Peut-être ne s’en apercevra-t-on pas, non pas que je doute des connaissances des spectateurs mais du bruit, du fracas, des allées, des venues, toute la rocambole théâtrale cela étourdit, et l’éclat de la broderie cache les défauts de l’étoffe. Allons, suivez-moi, si ma pièce réussie, je m’en attribuerai tout l’honneur  ; si elle tombe je la ferai imprimer avec une préface et je rejetterai tout le blâme sur les comédiens. Il n’y a que moyen de s’arranger pour avoir toujours de la célébrité en dépits des événements.


Ils sortent.
finprologue

Acte i


Scène i

picard, fifi

picard

Non, laisse-moi Fifi.


fifi

Oh, mon maître ! oh, capitaine des housards ! oh, seigneur d’un village allemand ! faites grâce à Turelure.


picard

Turelure, toujours Turelure ! Ce nom me chagrine les oreilles, m’irrite le genre nerveux. Il faut être bien bizarre pour faire un nom de famille d’une interjection.


fifi

Je chantais à l’entrée du village, ce héros (je ne l’appellerai plus que comme ça) m’écoutait attentivement  ; une bande de paysans tombe sur moi, casse mon violon, déchire mes nouvelles ariettes de vieux opéra, veut enlever ma femme Friponnette  ; mon héros joue du bâton à deux bouts, fend le gros crâne rustique, me délivre et me place auprès de vous ! Je n’oublierai jamais un pareil service et je serai reconnaissant comme un [...]atien.


picard

Un jour... une nuit... une fois, je venais de faire un grand repas, je tombai dans un fossé rempli d’un pied d’eau, j’allais me noyer, cet original-là me sauva, me mit à califourchon sur son âne. Pour l’en récompenser, je l’ai fait brandevinier de ma compagnie, mais depuis je m’en suis repenti. Tu verras aujourd’hui par ma façon d’agir que j’aurai encore plus d’une fois occasion de m’en repentir.


fifi

C’est arrivé à de plus grands personnages que vous.


picard

Tu connais Margot Mamie ?


fifi

La femme de Turelure.


picard

Hem ?


fifi

La femme de mon héros ?


picard

Je l’adore, je l’ai fait enlever.


fifi
\emph Il en mourra.
picard
\emph Tant mieux.
fifi

La réponse n’est pas noble.


picard

Je parle pourtant comme un roi asiatique.


fifi

Mais quel est le crime de chose.


picard

D’être fort content quand son capitaine ne l’est pas !


fifi

Tant pis pour vous, le soleil luit pour tout le monde.


picard

Tu verras bien du grabuge !


fifi

Eh ! pourquoi ? Mon héros est une bonne pâte d’homme, on pourrait faire un proverbe sur son nom. Un bas breton parle-t-il de sa politesse, un gascon de sa valeur, un marchand de sa bonne foi ? Turelure s’écrie tout aussitôt, comme un si voulait dire à [...] laisse donc ! laissez donc ! laissez donc !


picard

Quoi monstre ! tu viens de prononcer son nom en toutes lettres ? Il faut que ta mort...


fifi

La mort ! La mort ! vous parlez toujours de tuer. Eh ! bien tuez-moi, on ne meurt qu’une fois, mais quand vous m’aurez occis, vous chercherez qui vous amusera. Les bouffons sont aussi rares que le bon sens.


picard

Je punirai cet excès d’arrogance. [...] ici.


fifi

Pas sitôt.


picard

Non je ne te ferai rien, j’ai encore besoin de toi.


Scène ii

les précédents, ourson

ourson

Seigneur, l’affaire est dans le sac.


picard

Margot mamie.


ourson

Nous la tenons, Tout Àmort, le fils de votre bailli L’Hébété nous a bravement secondé, Margot était seule, nous l’avons enlevée sans trembler.


picard

Vive les gens de cœur pour réussir en tout. Amenez ma maîtresse avec beaucoup de pompe, ça fera un beau coup d’œil.


ourson

La voilà.


Scène iii

les précédents, margot mamie

picard
\emph Que tout s’abaisse devant elle, moi seul je veux rester droit., moi seul je veux rester droit.
margot

Où suis-je ? Je frémis ! La nuit, la clarté, l’horreur... ah ! tout mon corps chancelle.


picard

Vous êtes chez l’illustre Picard.


margot

Ah ! Quelle indignité ! M’enlever, me traîner, me porter, me séparer ! Est-ce ainsi que vous payez la foi d’un brandevinier qui conserve vos jours ? Juste ciel, Soleil, toi qui vois tout, ne souffre pas, tiens monstre pour ne plus te voir je me trouve mal.


Elle tombe évanouie.
picard

Hola ! hé ! volez à son secours. Quelqu’un a-t-il un flacon ?


fifi

Non, je croyais qu’il n’y avait qu’en France que les dames eussent des vapeurs.


un paysan
\emph Le voile de la mort a couvert sa paupière.
picard, l’étranglant

Meurs toi-même pour voir comme on fait. Mes vassaux, mes vassaux, répondez-moi de Margot mamie ou je vous fais tous pendre au grand cime sous lequel vous dansez le dimanche !


margot

Grand dieu ! que fait ce paysan à mes pieds ?


picard

C’est un gueux que j’ai tué pour faire voir combien je vous aime.


margot

Bien obligé seigneur.


picard

Il m’a dit que vous étiez morte, zeste. Je l’ai étranglé par ce que je n’aime pas qu’on me fasse peur.


margot

Oh ! Turelure ! ah ! Dieu, adieu, je vais m’évanouir.


Elle tombe évanouie.
picard

Elle a là une drôle de manie, ça ne rendra [pas] son rôle bien intéressant. Comme j’aurai besoin d’un quiproquo de nom, je veux dorénavant qu’on l’appelle Rosette ; portez la quelque part, nous la retrouverons dans un autre acte.


On l’emporte.

Scène iv

picard, fifi, ourson

ourson

Seigneur, ce brandevinier dont les vertus...


picard

Si je ne t’arrêtais pas, tu dirais son nom. Après ?


ourson

Il gémit, il soupire, il pleure !


picard

Il pleure fort bien... c’est signe qu’il n’est pas gai.


fifi

Il faut convenir, Seigneur, que vous avez une grande pénétration.


picard

Ne sait-il rien ?


ourson

Je ne crois pas.


picard

Cachons-nous toujours.


Scène v

les précédents, turelure

turelure

Où donc est le noble Picard ?


fifi

Pourquoi faire ?


turelure

On m’a pris ma femme, je viens me plaindre à lui.


picard, à part

Il ne sait rien, paraissons.


[À Turelure.]

Eh bien qu’est-ce qu’il y a mon ami ? Qu’est-ce que c’est ?


turelure

Ô mon capitaine, des lâches, des brigands, des je ne sais qui ont enlevé ma femme, ont défoncé mes barils, ont égorgé ma volaille et m’ont pris dix écus, dont j’avais besoin pour aller au marché.


picard

C’est épouvantable, mais il y a bonne justice et la justice est une bonne chose. Viens loger dans mon château, je te donnerai une jolie chambre au grenier garnie d’indienne à grande fleur rouge. [...] Tu seras chéri alors respecté  ; mon portier te saluera quand tu passeras et tu auras tous les jours la soupe, la bouillie, des entrées, des entremets, le rôti, la salade.


ourson, à part

Mais vous n’y pensez pas seigneur.


picard

Tais-toi donc. Je veux le faire mourir d’indigestion.


turelure

Non seigneur, tous ces dons superbes ne touchent pour mon cœur, je veux courir les champs et fendre la cervelle au ravisseur de Margot mamie.


picard, avec un signe d’intelligence

Quelle est cette femme Ourson ?


ourson

Quelque jolie suivante surement.


turelure

Une servante ! une servante ! non c’était ma femme, elle m’avait couté mes quinze francs, elle est d’un sang illustre  : sa mère n’avait jamais fréquenté que des seigneurs et Margot s’en ressent dans toute sa personne.


fifi

Mon ami, tu pleures la perte de ta femme, on voit bien que nous sommes dans un pays étranger.


turelure

C’est fait, voulez-vous me donner quelque paysan pour courir après ces infâmes ravisseurs ?


picard

Bien volontiers, choisis-les purs et si tu te fais tuer, ça te corrigera.


turelure

Je jure sur ce bâton sanglant de punir... Je dis c’est égal, je frapperai toujours, après cela nous verrons qu’est-ce qui aura tort ou raison, adieu.


Scène vi

picard, ourson, fifi

picard

Ourson, allez dans l’antichambre afin d’être prêt à annoncer ceux [qui] ont à me parler.


ourson

Je reviendrai bientôt.


picard

Vous êtes payé pour ça. Allez.


Scène vii

picard, fifi

picard

Avec ça, monsieur ton héros est un peu fait.


fifi

Parbleu, c’est bien étonnant les bons sont toujours la dupe des méchants. Avant qu’ils se doutent de la trame qu’on ourdit contre eux les honnêtes gens sont entortillés dedans.


picard

Comme tu dis.


fifi

Le secret d’un oiseleur est de cacher sa glue, et la glue du pouvoir est la plus tenace de toutes  ; on ne s’en débarrasse plus (ou du moins bien rarement) quand une fois on y est empêtré.


picard

Tu parles comme un livre, comment donc, tu aurais quasiment assez d’esprit pour mettre des épigrammes dans une tragédie lyrique ?


Scène viii

les précédents, ourson, l’hébété

ourson

Jean Gilles L’Hébété, magister et bailly de monseigneur.


picard

Entrez mon cher L’Hébété, plus on est de fous et plus on rit.


Hebete

Il n’est plus temps de plaisanter, j’ai fermé mon école et je viens vous donner une leçon.


fifi

De français ? Il en aurait besoin.


Hebete

Ce n’est pas ça. Il y a un grand malheur qui nous menace. Ma tête se trouble.


picard

À cause de quoi ?


Hebete

On dit qu’une troupe de bohémiens doivent venir vous attaquer, cette nuit, dans l’ombre, quand le soleil sera couché, quel désastre ! Ah monseigneur, ma cervelle en bouillonne !


picard

Allez dormir mon cher bailli, vous avez trop de fatigue.


Hebete

La croix de Pardieu, ba bé bi bo bu. Les travaux de baillage, la politique, l’avenir, c’est trop pour moi, j’en mourrai, j’en mourrai.


picard

Grand bien vous fasse.


Hebete
\emph Juste ciel, crains Picard.
picard
\emph Quoi ! Craindre ? Mes remords ?
Hebete

Non les bohémiens.


picard

Assemblons la milice.


Hebete

Elle demande un chef.


picard

Je nomme ton fils.


Hebete

L’usage est d’assembler le village et puis on s’en rapporte à l’enfant des augures.


picard

Il faut gagner le rapporteur.


Hebete

Il ne faut pas m’apprendre ça, un homme de justice !


picard

Retirons-nous.


Hebete

Pourquoi ?


picard

Je ne sais rien mais Fifi me fait signe.


Hebete

Le drôle machine quelque dessous de carte.


picard

C’est pour faire aller l’action. Donnez-moi la main, la science et la valeur doivent marcher ensemble.


Ils sortent.

Scène ix

[fifi]

fifi, seul

Ce pauvre Turelure, il est dans la bonne foi, il faut le détromper avant l’assemblée, ça fera qu’il trouillera Tout Amort comme un faquin. Bien vu ! Bravo caro Fifi.


Scène x

fifi, turelure

fifi

Turlure, à moi !


turelure

Ah ! mon cher Fifi.


fifi

Écoute-moi, tais-toi et songe à ta superbe Margot mamie que tu vas chercher au hasard  : elle est ici sous le nom de Rosette, Picard l’a fait ravir, elle est dans son château et s’est trouvée mal pour être fidèle.


turelure

Qui l’a ravie ?


Scène xi

[fifi, turelure]

fifi

Tout Amort.


turelure

Je le tuerai.


fifi

J’y compte. Il y a un vieux chêne en face de la petite porte du parc, monte dessus et viens me trouver cette nuit. Nous nous amuserons comme de petits rois, viendras-tu ?


Il le gare.
fifi

Tout le monde vient, ayez l’air de ne rien savoir, il faut se faire aux usages du lieu qu’on habite : dissimuler est la vertu des grands.


Scène xii

les précédents, l’hébété, l’enfant, paysans, suite

Hebete

Mes enfants, nous allons nommer un chef, nous nous servirons pour cela Mes enfants, nous allons nommer un chef, nous nous servirons pour cela \emph d’un cœur plein de simplicité. Venez petit. Venez petit.


Lenfant, accourant

Papa.


Hebete

Bonjour mon petit ami, bonjour, vous souvenez-vous bien de votre leçon ?


Lenfant

Oh ! oui, a e i o u.


Hebete

Ce n’est pas ça mon petit ami.


Lenfant, il se met à pleurer

Ahi ! ahi !


Hebete

Ne pleurez pas. Tenez, voilà du bonbon.


Lenfant, très gaiement

Merci papa.


Hebete

Le ciel va vous inspirer de nommer un chef... S’il vous disait Tout Amort, entendez-vous, mon fils Tout Amort, il faudrait le dire tout de suite.


Lenfant

Oui papa. Avez-vous encore nanan ?


Hebete

Vous en aurez si je suis content de vous. Tout bas. Tout Amort.


Scène xiii

les précédents, tout amort, picard monté sur un cheval de bois

Hebete

Housard, paysans, peuple, des bohémiens nous menacent, si nous ne nous opposons point à leurs ravages, ils viendront manger nos poules et nos jambons. Il nous faut un défenseur, un noble chef de milice, écoutez l’enfant va parler. Excusez, je m’excuse, cette harangue m’a mis tout en eau.


picard

Bailli, je suis content de vous. Que l’enfant parle.


Lenfant, d’une voix très glapissante

Messieurs quand je vois, quand je regarde, je regarde, je vois Turelure.


tout àmort

Turelure !


Hebete

Peuple, c’est un[e] erreur. Bas, le pinçant. Petit gueux, est-ce là ce que je t’ai dit ?


Lenfant, pleurant

Je voulais dire Tout Amort.


tous

Turelure, Turelure !


Hebete

Ah ! le vilain enfant !


picard

Qu’on lui donne le fouet.


tous

Turelure, Turelure !


picard

Taisez-vous faquins, je vous fends en deux. Soit, vous aurez Turelure. À part Le plat bailli n’avait pas l’esprit de séduire un enfant.


Hebete

Mon fils, défendez vos droits.


tout àmort

Ah ! ah !


turelure

Prétends-tu me ravir le commandement ?


tout àmort

Ah ! ah !


turelure

Apprends imprudent jeune homme que je suis un savant contre pointeur, un héros, un tueur, que Tout Amort enfant ne savait que jouer aux barres, au cheval fendu et à la marelle.


tout àmort, très furieux, tirant son sabre

Ah ! ah !


turelure

Calme ta fureur  ; un savant nous l’a dit  : Calme ta fureur  ; un savant nous l’a dit  : \emph un guerrier en colère est mort..


picard, descendant de son cheval

On me prend ici pour un roi de carreau, je ferai mieux à m’en aller.


turelure, à Tout Amort

Trouve-toi ce soir sur le petit pont, je te tuerai et je te jetterai à l’eau. À Fifi. À tantôt.


picard

Ah monsieur de chose, tenez voilà ce sabre de commandant de milice. À part Ah, si j’étais brave...


Ils s’en vont.
Hebete

Va te faire tuer mon fils, va.


tout àmort

Ah ! Ah !


fifi

Allons, Messieurs, gagnons chacun notre logis, vous avez vu bien des choses, vous en verrez encore davantage. La féérie est un beau pays, on y marche d’extravagances en extravagances et la réputation vous attend au bout de vos sottises.


finacte

Acte ii


Scène i

fifi, picard, des valets qui allument

fifi

Qu’est-ce que vous faites là marauds ? Qu’est-ce qui vous a dit d’allumer ce jardin ?


picard

Moi.


fifi

C’est différent, Seigneur  : charbonnier est maître chez lui ! Peut-on vous demander quel est votre dessein ?


picard

De m’amuser, de donner à Margot mamie une petite fête européenne.


fifi

Comme vous ne l’avez pas appelée votre sultane, la reine ne vous gène point, parlez comme tout le monde, dites caro [...]


picard

Tu as raison. Mon précepteur n’était pas le moins ignorant de mes maîtres.


fifi

Mais cette fête est bien brusquée !


picard

Qu’importe, du bruit, des panaches et des beaux bras, c’est assez !


fifi

Ferais-je une épigramme sur l’opéra ?


picard

Non, si tu étais à l’endroit même ça sera plus décent. Va voir si les danseuses sont coiffées et si les danseurs ont des bas blancs.


fifi

Pourquoi ?


picard

C’est que mon jocquet qui vient va me faire un petit récit de mort pour me réjouir.


fifi, à part

Ce préliminaire est en effet très favorable pour la gaieté.


Il sort.

Scène ii

picard, ourson

picard

Allons, fais-moi vite le récit de la mort d’un homme que j’ai beaucoup aimé, quand tu l’auras fait je n’y penserai plus.


ourson

Turelure seul arrive au rendez-vous pour quelques coups d’espadon tire contre un arbre, il se mit en haleine... Turelure seul arrive au rendez-vous pour quelques coups d’espadon tire contre un arbre, il se mit en haleine... \emph un long nuage de poussière s’avance du côté du nord. Vous entendez bien.. Vous entendez bien.


picard

Que font là les points cardinaux ? Parlez tout uniment, je ne te demande pas la carte du lieu.


ourson

C’était Tout Amort, suivi de tous les polissons du village, son aspect était farouche C’était Tout Amort, suivi de tous les polissons du village, son aspect était farouche \emph comme le spectre de la nuit.


picard

Tu as de drôles d’expressions. Va continue.


ourson

Ils se regardent entre deux yeux comme des bretteurs qui jouent un lève à la première botte, d’abord, faisons nos conventions dit Tout Amort, ne tirant qu’au bras. \guill point de ça, répond Turelure, il y a du sang partout... aussitôt le combat est engagé pif, paf, tierce, quarte, tout est paré. Les lames raisonnent clic, clac, clic, clac comme dans un combat de pantomime. Zeste, un dégagement, un coulé sur l’âme, Tout Amort reçoit un coup de manchette, alors un noir sang ruisselle. Noir, voyez-vous, le sang du méchant a toujours une couleur particulière. Le vaincu qui ne perd pas la tramontaine dit : \emph je suis blessé. Il veut tirer un grand coup de tête non dévolée, mais [...], \emph le bras tendu Turelure pare et tient le trépas suspendu comme par un fil.


picard

Je vois que Tout Amort est mort.


ourson

À peu près. Turelure serre d’une demi-mesure, lâche la main et donne le coup de [...] patatra, voilà Tout Amort qui roule, qui se débat. Turelure lui dit noblement  : À peu près. Turelure serre d’une demi-mesure, lâche la main et donne le coup de [...] patatra, voilà Tout Amort qui roule, qui se débat. Turelure lui dit noblement  : \emph Je te laisse la vie, pleure longtemps ta perfidie..


picard

La perfidie ? Il sait tout.


ourson

C’est clair mais c’était de la moutarde après dîner, votre ami était déjà mort tandis que cet autre lui pardonnait à contre-sens.


picard

Ce drôle-là a l’avantage partout ; tiens n’en parle plus, ça me mettrait en colère... Retire-toi, on va danser.


Scène iii

picard, fifi, margot mamie, friponnette

picard

Belle Margot mamie, je vais vous donner une petite fête bien gentille, asseyez-vous là, pleurez, gémissez et parlez peu.


fifi, à part

Turelure n’est point prévenu, s’il arrivait quelque rabat joie !


picard

Qu’est-ce que c’est que ton ballet ?


fifi

Un petit salmi de jeunes gens, de vieillards, de paysans, de gens de cour qui produiront à la rigueur une antithèse dansante.


Ballet
margot mamie, à part

Ah Turelure mon époux ! Le voilà. Elle [...] son mouchoir sur ses yeux. Assez pour cette fois.


picard

Apporte de quoi boire un coup. Madame veut-elle se rafraîchir ?


margot

Bien obligé, je n’ai pas soif.


fifi

Comment trouvez-vous ma fête ?


picard

Pas trop bonne.


fifi

Écoutez donc, c’est mon coup d’essai, une autre fois je ferai mieux.


picard

Je le souhaite. Tu devrais me raconter ton histoire. Depuis que tu es à moi cette curiosité ne m’a point encore pris parce qu’il fallait qu’elle me prit aujourd’hui. D’ailleurs, l’occurrence est favorable, ça égaiera Margot mamie  : commence ton récit.


fifi

J’y veux mêler un nom qui nous rendra la nuit.


Air : Histoire de Fifi


Les couplets se parlent et l’orchestre joue l’air des pendus.

Je suis né natif de Saint-Flour.


picard

Ah ! tu es auvergnat. C’est à mon tour à présent, tu m’as repris tantôt, j’ai ma revanche ! Ah ! tu es auvergnat. C’est à mon tour à présent, tu m’as repris tantôt, j’ai ma revanche ! \emph Je suis né natif ! tu fais là un pléonasme assez plat. tu fais là un pléonasme assez plat.


fifi

Ce n’est pas ma faute, mon parrain parlait comme ça.


picard

C’est différent j’ai tort [...].


fifi
Je suis né natif de Saint-Flour
Car c’est là que je vis le jour
A peine étais-je à la jaquette
Que je chantais la chansonnette,
Et j’étais orgueilleux déjà
Comme un chanteur de l’Opéra.


Un jour poussé par le démon
J’abandonnai notre maison
Et me trouvait sans une obole.
Je chantai mainte faribole,
Je pris femme et je m’aperçu
Chaque jour que j’étais... perdu.


Un jour que dans les environs
Je débitais de mes chansons
D’une très mauvaise aventure
Je fus sauvé par... Turelure...
tous, ensemble

Turelure !


picard

Que le diable emporte celui qu’il l’a prononcé. Rentrez, Madame, que je vous suive.


Tout le monde sort.

Scène iv

fifi, turelure

turelure

Si nous avions un bon machiniste, il ferait sombre sans savoir pourquoi, je ne te reconnaitrais pas et je voudrais te poignarder, mais sauvons cette invraisemblance, nous en faisons assez.


fifi

Oh mon héros, tes vêtements sont mouillés.


turelure

Oui, c’est que je me suis battu avec le passeur d’eau de vie, il y a eu quelques barils de brisés et je m’en suis ressenti.


fifi

Voilà une bonne occasion pour changer d’habits.


turelure

Qu’est-ce que c’est que ce paquet ?


fifi

C’est la siguenille, le chapeau et les sabots de Pierre, notre garçon d’écurie.


turelure

Après ?


fifi

Déguisé de la sorte, je t’introduirai dans la chambre de Margot mamie  : au milieu de tous ces obstacles, ta femme acquerra à tes yeux un mérite nouveau et l’hymen, cette fois envahissant le domaine de l’amour, couvrira vos plaisirs des actes d’[...].


turelure

C’est penser à ravir.


fifi

Pierre est fort basané, il faut mettre aussi ce masque de pain d’épice.


turelure

Tu songes à tout.


fifi

Souviens-toi que Pierre eut la langue coupée par accident, qu’il est muet et qu’un muet ne parle pas.


turelure

Je ne dirai pas un mot.


fifi

Allons chez la belle. Ô Malheur ! Picard est chez elle, voilà son manteau.


turelure, criant

Chez elle ! Ô malheureux Turelure !


fifi

Tais-toi donc bourreau, tu nous feras découvrir.


turelure

Je veux mourir moi.


fifi

Mais non pas moi.


turelure

Ah ! Dieu, ah ! Dieu.


fifi

Ah, je m’en doutais. Voilà l’autre.


Scène v

les précédents, picard

picard

Quel est ce drôle qui crie ?


fifi

C’est votre valet d’écurie. Il a une colique affreuse, voyez comme il se roule à terre.


picard

Qu’il crève s’il veut, c’est un roturier. Je suis dans une fureur ! Je ne me connais plus ! J’ai voulu lui parler de mon amour, de ma fidélité, de ma naissance, de mon bien, la cruelle ! elle m’a repoussé avec dédain ! Elle m’a parlé de sa vertu, de son honneur, que sais-je moi de tous ces lieux communs auxquels on ne croit plus, ce dont les femmes ont toujours la fureur de vouloir se servir.


fifi

Oubliez-la.


picard

Sot. Est-elle ma femme pour l’oublier ? Raccommode ma boucle.


fifi

Vous êtes trop grand.


picard

Me voilà à la portée. La rage m’étouffe, Fifi.


fifi

Seigneur.


picard

Il me prend une envie : coupe la tête de Pierre, défigure-la, porte-la à Margot mamie et dis-lui... dis-lui que c’est la tête de son époux.


fifi

Elle ne me croira pas, la peau est d’une teinte différente.


picard

C’est juste, je déraisonne ! Je n’en reviens point moi  : dédaigner un capitaine de housard, un gentil homme allemand, un seigneur suzerain, corsembleu !


fifi

Seigneur.


picard

Introduis Pierre dans la chambre de Margot mamie  ; qu’on les surprenne ensemble, qu’il ait l’air d’être en bonne fortune, je serai vengé.


fifi

Comment ?


picard

Le ridicule de son prétendu choix la couvrira de honte. On la montrera du doigt. Surtout amène des jeunes filles pour la chose soit plus tôt sue. Tu sais comme les femmes aiment à se déchirer entr’elles !


fifi

Vous serez obéi.


picard

Je ris d’avance de mon projet de vengeance ! Ah, ce sera délicieux ! Je vais me coucher là-dessus, je dormirai d’un bon sommeil.


Il fait quelques pas.
fifi, bas à Turelure

Il prend bien la chose !


turelure

J’ai fumé une fière pipe.


picard

Non, je ne puis me rassasier de l’idée qui m’est venue. Attache-moi mon manteau, je vais entendre toutes ces cailettes, toutes ces bavardes de profession qui diront : Bonjour madame Pierre, bonjour la belle déjoutée, bonjour la belle palefrenière. C’est charmant ! c’est divin ! oh ! oh ! oh ! j’en rirai plus d’un jour.


Scène vi

fifi, turelure

fifi

Il faut convenir que votre ami Picard est bien pris dans ses propres filets.


turelure

Tous ces tyrans sont si bêtes ! Allons ne perdons pas de temps.


fifi

Tout va bien. Figure s’il nous arrivera encore quelque anicroche, au reste, il faut espérer que nous nous en tirerons par des farces extraordinaires, tant de gens nous prouvent qu’il y a un dieu pour les intrigants.


finacte

Acte iii


Scène i

margot mamie, friponnette

margot

Toutes tes représentations sont inutiles, il faut absolument que je me désespère. Friponnette, j’ai perdu mon cher Turelure.


friponnette

Une femme doit-elle se lamenter pour la perte d’un mari ? Ça serait nouveau.


margot

Ah ! ma chère, c’est que celui-la avait de certaines bonnes qualités qu’on n’est pas sûr de rencontrer dans tous les autres.


friponnette

Il est vrai que cela attache. Pour moi, je ne connais votre Turelure que de réputation.


margot

Tu plaisantes ! Ne l’as-tu pas vu quand il nous a amenés à Picard ?


friponnette

Vous avez raison, il est pourtant dit que je n’avais pu le reconnaître : c’est une invraisemblance de plus.


margot

Si je pouvais faire savoir à Turelure que je suis ici.


friponnette

Ça pourra s’arranger, vous connaissez l’adresse de Friponnette... Mais voici le benjamin du tyran, faites semblant d’être fort affligée et essuyez-vos yeux.


margot

Je n’ai point de mouchoir.


friponnette

Vous avez bien peu de manières ! Comment, vous ne vous rappelez pas qu’étant obligée de nous enfermer très souvent vous l’avez, par précaution, attaché à votre ceinture ?


margot

Tu as raison... Il peut entrer, me voici en posture.


Scène ii

fifi, friponnette, margot mamie

fifi

Madame, réjouissez-vous, je vous apporte une bonne nouvelle : mon maître monsieur Picard vous accorde un second mari.


margot

Un second mari ?


friponnette

Qu’il me déplait ce Fifi, ce n’est pas étonnant, il est mon époux.


margot

Et quel est-il, grands dieux, ce mari qu’on me veut donner quand celui que j’aime le plus au monde est encore vivant ?


fifi

C’est Pierre, ce valet d’écurie, ce muet que vous avez en gros sabots dans la basse cour.


margot

Un valet d’écurie ! Un muet !


friponnette

Ne vous alarmez pas, le mari qui ne dit rien n’agit souvent pas le plus mal !


fifi

L’ordre est que madame reste seule ici.


friponnette

Sans moi ?


fifi

Sans vous.


friponnette

Voilà qui est singulier.


fifi

Et assez désagréable pour une curieuse.


margot

Demeurer seule avec ce marsouin ?


friponnette

Eh ! Que craignez-vous ? Un homme est-il donc si redoutable ?


fifi

Madame ne parait pas encore formée au ton de la bonne société, mais que madame mette toute vergogne de côté et suive les honnêtes conseils de Friponnette, elle sera bientôt au courant.


Il sort.

Scène iii

friponnette, margot mamie

friponnette

Voici l’instant où jamais de vous servir de votre mouchoir.


margot

Si tu voulais je n’en aurais pas besoin.


friponnette

Comment cela ?


margot

Au lieu de me désespérer en pur perte, je me sauverais et tu prendrais ma place.


friponnette

Moi ?


margot

Ne me refuse point. Tiens, voilà ma coiffure de dentelles, mon collier et mes bracelets de grenat  ; je t’offrirais bien de l’argent mais je suis sans le sou.


friponnette

Allons, soit, madame, il n’y a rien que je ne fasse pour vous être utile.


margot

Enveloppe-toi dans cette vieille pelisse, surtout nomme à tout moment Turelure et ne crains rien ; moi, je me sauve, cette scène ne doit pas être plus longue, on viendra me trouver lorsqu’on aura besoin de moi.


Elle sort.

Scène iv

[friponnette]

friponnette, seule

Plaçons-nous dans ce fauteuil. Il va venir, nous verrons ce qu’il a dans l’âme... Il est dangereux, j’en conviens, de se trouver un homme... oui, le pas est un peu glissant ! mais que ne fait-on pas pour plaire à sa maîtresse ? Je crains seulement qu’on donne une m[auvaise] interprétation à cette action généreuse. Il y a tant de mauvaises langues. J’entends quelqu’un, plaçons-nous avantageusement. La femme a beau ne pas aimer, un petit mouvement de coquetterie la porte toujours au défi de plaire... Couvrons-nous d’abord le visage de cet éventail.


Scène v

friponnette, turelure, fifi

fifi

Tiens la voilà, pousse ta pointe.


Scène vi

turelure, friponnette

friponnette

Son maintien est gauche mais il ne m’apparaît pas mal bâti ! on peut essayer d’en faire quelque chose.


friponnette

Il me paraît bien timide pour un jeune homme de son âge... comment il en reste là ? C’est bien respectueux !... Un homme qui ne parle pas devrait agir davantage.


turelure

Ce n’est pas Margot mamie.


friponnette

Que dit-il donc tout bas. Chaque amant a son langage.


turelure

Non.


Ils font un long jeu de théâtre en regardant de droite et de gauche.
friponnette

Ôtons notre éventail et montrons-lui l’élégance de ma taille, ça l’encouragera peut être. Debout, tenez, admirez-moi, mais d’un peu loin, voilà tout ce que je peux faire pour vous, car je vous averti que j’aime Turelure.


turelure

Turelure...Bas. Vous riez.


friponnette

Comment coquin tu parles ?


turelure

C’est vrai, mais ne le dites pas, c’est un petit proverbe que je joue à l’insu de Picard.


friponnette

Hé ! pourquoi et comment es-tu venu ici ?


turelure

Dispensez-moi de vous broder une histoire qui ne servirait qu’à vous faire voir que je mens sans savoir pourquoi, car rien ne m’autorise à vous cacher que je suis Turelure, puisque vous m’avez témoigné être portée pour moi. Mais la chose doit être comme ça.


friponnette

Elle n’en est pas mieux. Mais qui que vous soyez, vous ne me paraissez pas mal, je m’y connais.


turelure

Vous êtes bien honnête.


friponnette

Je vais vous dire à présent (quoique je ne vous reconnaisse pas et que je devrais vous reconnaître) que puisque Turelure ne s’expose pas à me venir trouver, je vous choisis à sa place. Asseyez-vous à côté de moi, nous serons plus à notre aise... bon ! baisez ma main... mais n’en demandez pas davantage Il lui baise la main. Fort bien, je sens que je pourrai m’accoutumer à ses manières. Baisez-vous aussi ma joue... mais n’en demandez pas davantage \did Il la lui baise., allons, il se formera.


turelure

Pour un mari, le rôle que je joue ici n’est pas sans agrément.


friponnette

Je vous devine. Ces hommes ne sont jamais contents, tenez, mais la pudeur me retient... Allons baisez-la... mais n’en demandez pas davantage. Des soldats entrent. Hé bien ! nigaud, que faites-vous donc ? Avez-vous oublié que votre entrée n’est qu’à la fin de notre scène ?


turelure

Où diable est mon masque de pain d’épice ?


Scène vii

les mêmes, ourson, miliciens armés de bâton, fifi, domestiques entrant de l’autre côté.

fifi

N’entrez pas.


ourson

Entrez.


fifi

N’entrez pas.


ourson

Entrez, vous dis-je !


fifi

Non.


ourson

Si.


un valet

Mes amis, en attendant que ces messieurs soient d’accord, reposons-nous.


tous

Bien dit.


une recrue

Et nous, n’en faisons-nous pas autant ?


tous

Si [...].


Ils s’assoient et posent leurs armes à terre.
fifi

Maintenant que ces messieurs sont a leur aise, voyons, expliquez-moi pourquoi vous venez ici quand le grand Picard a défendu qu’on y entrât ?


ourson

Je viens de sa part mais avant tout il faut que Friponnette sorte, elle ne doit plus être là et ne doit pas entendre ce que je vais dire.


fifi

Allons ma seule et respectueuse épouse, sortez.


friponnette

C’est juste, je l’avais oublié.


Elle sort.
ourson

Je vous dirai donc que le seigneur Picard a changé de résolution, il voulait tout à l’heure que ce valet d’écurie fit la cour à sa maîtresse, il veut à présent qu’il soit assommé et jeté dans la puisard de sa basse-cour et je suis chargé de cette exécution.


fifi

Elle est jolie et récréative ! Je m’en charge moi.


ourson

Pas si niais que de me fier à toi  : mon maître a prévu le coup aussi m’a-t-il recommandé d’être témoin de la chose, allons qu’on l’assomme.


Les soldats se lèvent.
fifi

Ne vous dérangez pas de votre place... Ce n’est pas le palefrenier.


ourson

Ce n’est pas Pierre ?


fifi

Oh ! non. Est-ce que vous ne reconnaissez pas Turelure ?


Tous se lèvent et crient Turelure.
ourson

Turelure !


turelure, à part

Pourquoi ai-je perdu mon masque de croquet.


ourson

Allons, Messieurs, nous savons que c’est Turelure, nous devons nous chagriner et cependant le conduire au tyran. Pleurons donc puisqu’il le faut, je vous donne l’exemple, imitez-moi.


Il tire un petit mouchoir de sa poche et le porte à ses yeux. Les soldats en font autant.
les soldats

Allons.


turelure

Un instant, Messieurs, je ne puis vous suivre avant d’avoir fait cette belle réflexion  : Un instant, Messieurs, je ne puis vous suivre avant d’avoir fait cette belle réflexion  : \emph ne plaignez point mon sort, respectez votre maître, puissiez-vous un jour l’estimer..


ourson

C’est très beau.


tous, ensemble

C’est très beau ! allons.


Ils défilent chacun devant lui en lui faisant signe de la tête de le suivre.
ourson

Songe à toi mon Fifi. La foudre est sur deux têtes.


Scène viii

fifi, picard et sa suite

fifi, seul

L’affaire est sur deux têtes. Elle est parbleu bien [...]. Nous sommes ici trois bonnes têtes dans un bonnet. Picard, prends garde à toi. Je prévois ce qui va arriver, j’ai de la judiciaire, retrouve-nous maintenant et disons en sortant pour fuir par un jeu de mots : L’affaire est sur deux têtes. Elle est parbleu bien [...]. Nous sommes ici trois bonnes têtes dans un bonnet. Picard, prends garde à toi. Je prévois ce qui va arriver, j’ai de la judiciaire, retrouve-nous maintenant et disons en sortant pour fuir par un jeu de mots : \emph Le méchant qui fait tout trembler est bien prêt de trembler lui-même.


Il sort.
Le théâtre change et représente une des cours du château. Au milieu est un puits, à côté un grès ; plusieurs cordages, etc.
picard, suite

Ah, c’est donc enfin ici où je vais me défaire de ce trop redoutable Turelure. Bon, le puits est préparé à merveille, nous verrons s’il en reviendra après avoir fait le saut jusqu’au fond. A-t-on trouvé Fifi ?


un laquais

On court après.


picard

À qui l’arrêtera, je donnerai sa place.


Les laquais s’empressent à sortir d’une manière ridicule.

Scène ix

picard, l’hébété

Hebete, pleurant

Que vous plaît-il seigneur ?


picard

Livre-toi au plaisir de la vengeance que je vais te procurer et sèche des larmes superflues.


Hebete

Je ne pleure pas, mon prétendu chagrin n’est qu’une douleur simulée que je couvre adroitement du voile d’une hypocrisie bien entendue.


picard

Je m’en doutais, mais Turelure a tué ton fils, je puis en ce moment le faire périr, prononce sur son genre de mort  : l’étranglerais-je ou le ferais-je jeter dans ce puits ?


Hebete

Je suis ennemi du mal, [Turelure] m’a privé de mon petit Tout Amort  ; malgré cela, si vous voulez m’en croire, afin de le moins faire souffrir, je suis d’avis qu’on l’étrangle avant de la jeter dans ce puits.


picard

La modération m’enchante.


Scène x

les mêmes, turelure enchaîné, suite

picard

Ah, tu vas donc mourir.


turelure

Comme tu prononces ce mot avec joie !


picard

C’est que j’en ressens beaucoup.


turelure

Oh bien pour la troubler, apprends que ta Rosette n’est point Margot mamie.


picard

Que dis-tu ?


Hebete

Imbroglio à la Figaro, ne voyez-vous pas seigneur qu’il dit cela pour revoir encore sa Margot, c’est un petit finot.


turelure

Et toi une grosse buse.


picard

Ce doute sera bientôt éclairci... qu’on amène Rosette. Si tu [dis] vrai, je la tue.


Hebete, à part

Et de deux.


turelure

Que m’importe.


picard

Et toi ensuite.


Hebete

Et de trois.


turelure
\emph Je ne peux mourir qu’une fois.
Hebete

Ah ! que voilà une belle pensée neuve et bien rendue !


picard

Puisqu’il fait des phrases, qu’on l’emmène au puits.


On l’emmène.
Hebete

Et un d’expédié... Amenez l’autre maintenant.


Scène xi

margot mamie, picard, l’hébété, friponnette, soldats

picard

Ah, ah, mademoiselle la péronnelle, c’est donc vous qui prétendiez m’en donner à garder en passant pour Margot mamie ?


friponnette

Une femme adroite mise à sa place a causé la méprise et fait naître votre erreur.


Hebete

Encore un accident à l’espagnol.


Marche des Blancs et des Noirs

Allons Seigneur, il n’y a pas [à] réfléchir, il les faut punir. Vous êtes joué, cette friponne n’est pas Margot mamie.


picard

Ordonnez de leur sort.


Hebete

Au puits.


Pantomime.
margot

Oh çà, allons au fait s’il vous plait, votre cérémonie commence à me lasser et vous, mon compagnon d’eau, courage, nous serons deux.


turelure, la reconnaissant

Margot mamie !


margot, tombant dans ses bras

Turelure !


Hebete

Encore une reconnaissance renouvelée des grecs.


picard

Qu’on les tue d’un seul coup... non... si... non, ils seraient peut-être contents de mourir. Qu’on les tue d’un seul coup... non... si... non, ils seraient peut-être contents de mourir. \emph Ah je me sens altéré de leurs peines et j’ai faim... Non, j’ai soif de les voir souffrir.


Hebete

L’un n’est pas meilleur que l’autre, il valait mieux vous taire.


picard

Je veux la frapper.


margot

Je ne crains rien. Je te dirais que je suis jolie et tu n’oseras pas pour te faire encore souffrir davantage, je vais devant toi embrasser mon Turelure, si ce n’est pas assez pour te désespérer, je vais devant toi...


Hebete

Arrêtez-vous madame, le désir de le faire enrager pourrait vous porter trop loin.


picard

J’imagine un autre moyen : jetez-le dans ce puits devant sa Margot.


margot

Si quelqu’un avance je me frappe de ces [...].


picard

Et pourquoi ne vous êtes-vous pas tuée tantôt ?


margot

Je me réservais pour le dénouement.


picard, aux soldats

Arrêtez donc encore un petit moment que j’aie le temps de réfléchir à ce que je veux faire.


Scène xii

[une troupe, fifi, turelure, picard, hébété, madame de l’imaginative]

Une troupe, venant au secours de Turelure, s’écrie  :

Turelure, Turelure !


Fifi est à leur tête.
turelure

Pour ajouter à l’intérêt de mon rôle, faisons ici une action gigantesque...


Arrêtez soldats ! En me voulant sauver, vous flétrissez les lauriers qui couvrent mon front, Arrêtez soldats ! En me voulant sauver, vous flétrissez les lauriers qui couvrent mon front, \emph est-ce à vous de juger votre maître est- ce un tyran ou un sot ? Armes bas, furieux, votre empereur vous casse..


fifi

Comme un verre.


turelure

Mettez-vous à genoux que je demande votre grâce... bon... voilà du sublime, j’espère ?


picard

J’enrage ! comment ce Turelure l’emportera toujours sur moi ? Suis-je donc un zéro ? çà !


les deux partis, ensemble

Oui, non, oui, non.


fifi

Voilà notre roi !


turelure

Non pas...


tous, ensemble

Si fait.


picard

Allons, il faut finir par un coup d’éclat, voici le moment... Tiens-mois bien le sabre que je me le passe à travers de mon corps.


fifi

Non pas s’il vous plait ! vous finirez comme un opéra... Qu’on apporte la prison... Donnez-vous la peine d’entrer là dedans et restez-là maintenant. Il est grand, nous le ferons voir à la Foire. Vla tyran, vla le tyran !


turelure

Je vous vois venir, Messieurs, vous allez maintenant me proclamer votre roi, j’accepterai, je vous l’avoue  ; mais je vous préviens qu’avant je ferai furieusement de façon  ; je veux me parer de cette dépouille de tournebroche. Je vous vois venir, Messieurs, vous allez maintenant me proclamer votre roi, j’accepterai, je vous l’avoue  ; mais je vous préviens qu’avant je ferai furieusement de façon  ; je veux me parer de cette dépouille de tournebroche. \emph Je veux qu’elle serve à m’enchaîner au bonheur. Peste soit de l’exemple, j’allais encore dire une platitude.. Peste soit de l’exemple, j’allais encore dire une platitude.


fifi

Allons nouveau barde, le voilà en place pour lui [...].


Hebete

C’est mon dessein, je sais trop bien [...] pour agir autrement et pour commencer, oh mon maître recevez les ballets de Picard.


fifi

Ah, l’homme vil.


Hebete

Je suis courtisan, l’homme en [...] est toujours mon héros.


DeLImaginative

Un moment, Messieurs, que je parle à mon compère qui est dans cette loge. Eh bien monsieur Tout Feu que dites-vous de ça ?


tout feu

Mais ma commère, c’est un chaos que votre pièce.


DeLImaginative

Oui, vraiment, c’était mon dessein. Le titre est Oui, vraiment, c’était mon dessein. Le titre est \emph Le Chaos perpétuel  : chaos par ci, chaos par là, tout est chaos, et l’on sort de là la tête toute cahotée.  : chaos par ci, chaos par là, tout est chaos, et l’on sort de là la tête toute cahotée.


tout feu

Vous n’avez pas manqué votre coup et quelle induction voulez-vous en tirer ?


DeLImaginative

Que la grandeur de l’homme n’est que dans son caractère.


tout feu

Il y a mille ans qu’on sait ça.


DeLImaginative

Oui, mais ma façon de l’apprendre sera toute neuve. Ces messieurs vont surprendre [...], de mon côté un transparent non, sur lequel on lira en lettre d’or : Homme, ta grandeur\fg .


tout feu

Fi donc, cela ressemble aux anciens écriteaux de la Foire, [... ...] notre on se [... – dans l’enfance de l’opéra-comique.


DeLImaginative, très en colère

Ah ! vous êtes un vieux fou, rien ne vous plait, allez-vous promener.


Messieurs, tirez-vous de là comme vous voudrez, j’abandonne tout, bonsoir.


Scène xiii

tous les acteurs \emph hors tout feu et l’imaginative

fifi

C’était bien la peine de nous interrompre pour cela ! Ce que nous avons de mieux à faire est d’aller souper. Heureusement pour nous que notre spectacle n’a pas duré trois heures et demie comme chez notre frère aîné.


Messieurs,
Le public éclairé de sifflets est avare,
À la charge toujours il pardonne en riant ;
Un trait malin ne nuit point au talent,
Un acteur quelque fois s’égare
Mais le spectateur indulgent
Dans la gaieté souvent s’empare
Sait tout le sort d’un canevas plaisant
Lorsqu’il ne nous dit point Tarare
C’est l’ouvrage léger d’un instant de loisir
Ce grotesque tableau des scènes de la vie
Qu’à vos yeux nous venons d’offrir,
Quoiqu’ébauché par la folie
Si vous applaudissez, c’est fait pour réussir.
Fin

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