Les Ensorcelés ou Jeannot et Jeannette ou la Nouvelle surprise de l'amour

Auteurs : Favart (Marie-Justine-Benoîte)
Guérin de Frémicourt (Jean-Nicolas)
Harny de Guerville
Parodie de : Les Surprises de l'amour de Bernard/Paradis de Moncrif et Rameau
Date: 1er septembre 1757
Représentation : 1er septembre 1757 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Théâtre de M. Favart, Paris, Duchesne, 1763, t. IV
Remarques :
Parodie thématique.
Marie-Justine-Benoîte Favart, Jean-Nicolas Guérin de Frémicourt et Monsieur Harni de Guerville

Les Ensorcelés


Jeannot et Jeannette
Parodie
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi
le jeudi 1 Septembre 1757
Théâtre de Monsieur Favart, t.5, Paris, Duchesne, 1763
definitacteur, Madame d’Orville orville
À Madame la Princesse de Galitzin
avertissement, Madame,

Vous avez autant de droits sur les talents que sur les cœurs ; vous êtes née pour encourager les uns et pour gagner les autres : voilà l’impression que vous avez produite en France ; vous nous y avez fait connaître le plaisir si rare d’aimer ce qu’on est obligé de respecter. Je profite pour le publier de la permission que vous m’avez donnée de vous offrir l’hommage de cette petite Pièce : ce n’est qu’un rien ; mais ce rien devient quelque chose pour une âme aussi belle que la vôtre, quand c’est le cœur qui le présente.


avertissement, Je suis avec le plus profond respect,

Madame,


Votre très humble et très obéissante servante,


Favart


Acteurs


Jeannot : Mademoiselle Catinon
Jeannette : Madame Favart
Madame d’Orville : Mademoiselle Desglands
Guillaume : Monsieur Chanville
La scène se passe au château de Madame d’Orville.

Les Ensorcelés


Scène i

Guillaume

guillaume
Épouse jolie
Me plaît fort,
Quand il faut en faire la folie ;
Épouse jolie
Me plaît fort ;
Mais fou qui s’oublie
Sur le coffre fort.

J’ai le cœur en joie, et stapendant, ma boutique n’en va pas mieux.


Air : Ah ! Si t’en tât’, si t’en goût’, si t’en as


Morgué, l’Amour est un chien de sorcier
Qui m’f’ra bientôt oublier mon métier :
Moi qu’on nommait la fleur des marichaux,
Pour un’ fillette, j’néglige mes ch’vaux,
Et je n’fais plus qu’m’occuper de mes maux.

Même air


Pauvre Guillaume, en dépit de ton soin,
L’Amour te donne à son tour du tintouin :
Tous tes efforts, tout ton art, tout ton temps
T’obtiendront-ils un tendron de quinze ans,
Qui n’entends rien aux tourments que tu r’sens !

Même air


Ah ! Ma poitrine est un’ forge d’l’Amour,
Dont mes soupirs soufflent l’feu nuit et jour ;
D’un’ flamme ardente j’m’sens embrasser ;
Pour l’apaiser, j’m’efforçons d’l’arroser ;
Mais j’ons beau boire, ça n’fait qu’l’attiser.

Madame d’Orville, de qui j’ai l’honneur d’être le marichal, est la marraine de Jeannette ; c’est elle qui baille la dot ; il faut que je li fasse ma cour : alle vient de m’envoyer charcher ; c’est apparemment pour me proposer de lui vendre ma petite jument dont elle a envie. Voilà une bonne occasion pour li parler de Jeannette.


Scène ii

Madame d’Orville, Guillaume

orville

Ah ! Vous voilà, maître Guillaume.


guillaume

Prêt à vous obéir, Madame. Drès que j’ons su que vous aviez besoin de mes services, j’ons quitté la grande cavale de Colas, le meunier, qui a les avives, pour me rendre au service de Madame.


orville

Je vous suis obligée de la préférence.


guillaume

Madame sait que depuis quatre ans en ça que j’ai l’honneur de ferrer ses chevaux, je me suis toujours fait un plaisir de mettre les fers au feu pour elle.


orville

Maître Guillaume, on dirait que je suis de votre district.


guillaume

Oh, Madame ! On sait bien que vous ne vous déferrez pas si aisément. Tant y a que me v’là pour savoir en quoi mon petit ministère peut vous être agriable.


orville

Oh, ça, Maître Guillaume : on dit que vous avez de la conscience.


guillaume

Je m’en pique autant que d’habileté dans ma profession, et sans vanité, je ne fais pas mal mes affaires.


Air : Grimaudin

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Informations sur cet air

Guillaume dans le voisinage
N’a point d’égal,
Je suis de tout notte village
Le marichal ;
Mais ma science et mes travaux,
Ne s’bornont pas à des chevaux.
orville

Je le crois.


guillaume

Même air


Du baume unique de Simone,
J’ai le secret ;
Chacun en veut, et l’on s’étonne
De son effet.
Avec quatre mots de latin,
Je pourrions être médecin.
orville

Oui, vous êtes un homme merveilleux ; mais il ne s’agit point ici de votre science. J’ai un marché à vous proposer.


guillaume

Et moi itou, Madame.


orville

Vous avez une petite jument...


guillaume

Vous avez une petite filleule...


orville

Qui me plaît beaucoup.


guillaume

Et moi itou, Madame.


orville

Il faut avouer que c’est la plus jolie pette bête...


guillaume

Oh ! Madame, alle n’est pas si bête, elle n’a que d’l’innocence ; mais que je l’aurons dressée, avec votre bon plaisir, il n’y aura pas de femme ni de fille dans le village qui la vaudra, je m’en vante.


orville

Est-ce que la tête vous tourne ! De qui parlez-vous ?


guillaume

Eh ! Pargué, de Jeannette.


orville

Je vous parle, moi, de votre petite jument qu’il faut me vendre.


guillaume

Air : Belle Iris, vous avez deux pommes


Hé ! bian, c’est une affaire faite,
Et j’allons terminer en bloc :
Alle est à vous, j’demande en troc,
Que vous m’baillez la p’tit’ Jeannette.
J’entends Jeannette avec sa dot.
orville
Vous n’auriez pas un mauvais lot.
guillaume

Dame, Madame, quoique Jeannette soit bien gentille, une bonne dot embellit encore bien un visage.


orville

Vous êtes un parti très convenable pour elle ; mais je ne veux point gêner l’inclination de Jeannette, et je me suis aperçue qu’elle en avait pour Jeannot, le fils de mon fermier.


guillaume

Bon, Madame ! Ce sont des enfants qui ne savent pas encore ce qu’ils ressentont l’un pour l’autre. Ils sont venus séparément pour me consulter là-dessus.


Air : L’autre jour, en me promenant

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Informations sur cet air

Tous les deux, fort désolés,
M’avont conté leur souffrance ;
Ces pauvres cerveaux troublés
Se croyons ensorcelés.
Ils vont r’venir à l’instant
Pour me d’mander queuque allégeance,
Et j’en profit’rons d’autant.
madame d’orville et guillaume, ensemble
Ah ! ah ! ah ! rien n’est si plaisant.
orville

Que leur direz-vous ?


guillaume

Que leur maladie deviendra mortelle, s’ils ne s’abstiennent de se voir.


orville

Pour ces sortes de maux-là, M. Guillaume, je crois que les remèdes sont plus efficaces que le régime.


guillaume

Quoiqu’il en soit, si Madame le permet, j’entreprendrai Jeannette.


orville

Volontiers, et moi, je me charge du soin de guérir Jeannot.


guillaume

C’est bian dit, il est juste qu’une Dame de Paroisse fasse du bian dans son village.


orville

Mon cœur s’intéresse à ce jeune homme, et s’il répond à mes intentions, je ferai son établissement.


Air : Je n’ai su jamais ben chanter,


J’ai de le voir un désir pressant ;
C’est un sujet fort intéressant,
Lorsqu’à son âge un cœur innocent
Sent
Un amour naissant.
On est d’un feu si pur
Sûr.
Ces étourdis actifs,
Vifs,
Sont souvent des galants
Lents,
Qui n’ont aucun talent.

Monsieur Guillaume, voyez Jeannot, vous me rendrez compte de ce qu’il vous aura dit, je vous attends chez moi.


Elle sort.
guillaume

Oui, Madame.


Scène iii

Guillaume

guillaume

Madame d’Orville et moi nous voilà donc médecins d’Amour. Je pense à dire vrai, que ses ordonnances seront plus fortes que les miennes ; c’est pas que je ne sache ce qui convient aux femelles.


Air : V’là l’plaisir des dames


Toujours danser,
Se trémousser,
V’là l’plaisir des filles.
Des violons,
Et des chansons,
Propos joyeux,
Et petits jeux,
Bouquets, ribans, et des garçons bons drilles,
V’là l’désir
Des Filles,
V’là l’plaisir.

J’aperçois Jeannot, voyons en quel état est son cœur.


Scène iv

Jeannot, Guillaume

jeannot

Air : Romance,

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Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

Hélas, nuit et jour j’soupire,
Dans mon cœur y a d’l’embarras ;
Il brûle, il bat, et c’qu’est de pire,
Qu’en j’m’en plains on s’met à rire.
Est-c’donc un mal qu’on n’dit pas ?

Ah ! C’est vous que je charche, maître Guillaume


guillaume

Hé bian, mon pauv’Jeannot, comment va la santé ?


jeannot

Hem ! Fort mal, Monsieur Guillaume. Je n’mange plus, je n’dors plus.


La nuit quand j’pense à Jeannette,
On dirait qu’j’ai des cousins ;
J’fons des sauts dans ma couchette
À réveiller les voisins ;
Comme battant d’une horloge,
Mon pouls va toujours trottant ;
Comme un chevreau hors sa loge,
Mon cœur va toujours sautant.
guillaume

Que je te plains !


jeannot

Même air


Je sens, quand j’voyons Jeannette,
Du plaisir et du chagrin ;
Je n’sais pas ce que j’souhaite,
Et le désir va son train :
Quand al’me r’garde, je grille,
C’a m’fait pardre la raison.
Les yeux tant doux d’une fille,
Avont-ils queuque poison ?
guillaume

Pauv’ malheureux !


jeannot

Même air


J’buvons de la belle iau claire,
Pour apaiser ce grand feu ;
J’nous jetons dans la rivière,
Et j’n’y restons pas pour peu :
Je mettons dans not’salade
Des herb’s de toutes façons ;
Et j’n’en suis pas moins malade ;
Ces r’med’-là sont pourtant bons.
guillaume

Voilà un tarrible sort qu’on t’a jeté là, mon enfant.


jeannot

Et vous croyez qu’ça vient de Jeannette ?


guillaume

Sans doute.


jeannot

Mais alle est bien jeune pour savoir jeter des sorts.


guillaume

Ne sais-tu pas que la science viant d’bonne heure aux filles ?


jeannot

Mais alle a l’air si simple.


guillaume

Ne sais-tu pas que les filles cachont leur science ?


jeannot

Mais je n’y ai rien fait à Jeannette.


guillaume

C’est à cause de ça.


jeannot

Pourquoi donc m’aurait-elle jeté un sort ?


guillaume

Pour son plaisir.


jeannot

Qu’est-ce qui lui en reviendra ?


guillaume

Pas grand’chose, du caractère dont je te connais.


jeannot

Voyez ! Qu’est-ce qui dirait ça de Jeannette ?


guillaume

Toutes les filles font d’même : ces petites sorcières-là ne cherchont qu’à faire enrager les garçons.


jeannot

Alles avont pourtant l’air si doux, si avenant.


guillaume

Tu n’as qu’à t’y fier.


jeannot

Alles avont tant de charmes !


guillaume

C’est avec des charmes qu’on baille des sorts.


jeannot

Comment, Monsieur Guillaume, toutes ces petites gentillesses qui sont venues à Jeannette depuis queuque temps...


guillaume

Sont des charmes diaboliques.


jeannot

Ah ! Vous avez raison ; car quand je regarde ça, je suis tout partroublé.


guillaume

Air : Adieu, ma chère Maîtresse

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Informations sur cet air

Tian, si tu la r’garde encore,
Te v’là perdu sans espoir.
Pour guarir l’mal qui t’dévore,
J’t’avions défendu d’la voir.
jeannot

Même air


Ah ! Guillaum’ votre recette,
Ne m’est pas d’un grand secours :
J’ons biau n’pas r’garder Jeannette,
Hélas ! J’la voyons toujours.
guillaume
Hé bian, pauvre fou,
Vois-là tout ton saoul,
Sois comme un matou
Qui court le guildou,
Ou comme un hibou,
Gémis dans ton trou.
jeannot
Ah ! Je frissonne.
guillaume
Je t’abandonne :
Tu prendras la forme d’un loup-garou,
Et le diable après te tordra le cou.
jeannot

Miséricorde ! Je ne veux plus voir Jeannette.


guillaume

C’est la bon parti.


jeannot

Mais ses charmes m’attireront encore maugré moi ; vous savez qu’un sorcilège est pus fort que nous ; si j’mettions du sel sur moi, Monsieur Guillaume ?


guillaume

Tu ne ferais pas mal.


jeannot

À propos de ça : j’ai entendu dire qu’on pouvait renvoyer un sort sur celui qui l’a jeté.


guillaume

Cela se peut.


jeannot

Apprenez-moi donc à renvoyer un sort, Monsieur Guillaume.


guillaume

Voilà ce qu’il faut faire : tu t’enfermeras chez toi pendant quinze jours.


jeannot

Tout seul ?


guillaume

Tout seul.


jeannot

Sans voir Jeannette ?


guillaume

Sans voir Jeannette.


jeannot

Oh ! Je n’irai pas jusqu’à la quinzaine, Monsieur Guillaume, je mourrai.


guillaume

Oh ! Que non. Ensuite tu mettras sous ta cheminée un cœur de tourterelle que tu larderas d’éguilles.


jeannot

Oh ! Je ne veux point. Ca f’rait mourir Jeannette. Donnez-moi d’autres secrets.


guillaume

Hé bien, si all’ t’attire encore par ses charmes, tu n’as qu’à lui tourner le dos en disant : Hé bien, si all’ t’attire encore par ses charmes, tu n’as qu’à lui tourner le dos en disant : \emph Abracadabra..


jeannot
\emph Abracadabra ? ?
guillaume

Oui, et tu t’enfuiras.


jeannot

Et je serai guéri ?


guillaume

Pas tout-à-fait ; mais tu iras trouver Madame d’Orville qui achèvera ta guérison.


jeannot

Air : Quand le péril est agréable

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Informations sur cet air

Que me f’ra Madame d’Orville ?
guillaume
Al’ te baillera des leçons ;
Pour ôter le sort aux garçons,
C’est une femme habile.
jeannette, dans la coulisse

Petit, petit, petit.


jeannot

Ah ! M. Guillaume, v’là Jeannette qui donne à manger à ses petits poulets.


guillaume

Va-t’en.


jeannette, dans la coulisse

Petit, petit, petit.


jeannot

Ah ! Monsieur Guillaume, que ne suis-je un poulet !


guillaume

Tu fais de biaux souhaits ! C’est pour leux couper le cou, que Jeannette les engraisse et les caresse. Prends la fuite avant qu’elle te voie.


jeannot

Mais, Monsieur Guillaume.


guillaume

Veux-tu t’en aller. Te voilà tout pâle.


jeannot

Oui ! Monsieur Guillaume. Oui ! Monsieur Guillaume. \emph Abracadabra..


Scène v

Guillaume, Jeannette

guillaume

Ah, ah, ah, le pauvre innocent ! V’là qui tourne bien pour moi.


jeannette

Monsieur Guillaume, n’ai-je pas vu Jeannot avec vous ? Ce garçon-là me fait une peur terrible.


guillaume

Eh ! C’est à cause de ça que vous venez le chercher ?


jeannette

Dam’ c’est pus fort que moi. J’ai toujours envie d’être avec lui. Mes compagnes disont que c’est l’tourment d’amour.


guillaume

Oui, c’est une maladie bien dangereuse pour les filles.


Jeannette, hélas ! N’fait plus qu’languir,
Si cela dure, il faut mourir.
Jeannette, hélas ! N’fait plus qu’languir,
Jeannette, hélas ! N’fait plus qu’languir,
Si cela dure, il faut mourir.
Si cela dure, il faut mourir.
À chaque instant mon trouble augmente.
guillaume
Je n’avais pas tort,
C’est un sort.
jeannette
C’est un sort.
guillaume
C’est un sort.
jeannette
C’est un sort.
guillaume
C’est un sort.
jeannette
C’est un sort !
C’est un sort.
guillaume
Je n’avais pas tort,
C’est un sort.
jeannette
C’est un sort !
guillaume
C’est un sort,
C’est un sort,
jeannette
Oui, c’est un sort qui me tourmente.
Jeannette, hélas ! N’fait plus qu’languir,
Si cela dure, il faut mourir,
Si cela dure, il faut mourir.
guillaume

Tatigué, que ce s’rait bian dommage ! Ca me fait peine de vous voir comme ça. Baillez-moi votre pouls.


jeannette
Ah ! Queu martyre !
guillaume
C’est un délire.
Vous n’dormez pas ?
jeannette
La nuit, hélas !
Mon mal empire.
guillaume
Où vous tiant ç’bobo là ?
jeannette
Là, la.
guillaume
Et ce mal comment-ça ?
jeannette
Là, là.
Daignez me dire
Un r’mède à ça.
guillaume
Jeunette Jeannette,
Petite brunette,
J’trouvons aisément,
Votr’ soulagement.
Jeunette Jeannette,
Petite brunette,
La bonne recette,
C’est un bon amant.
jeannette

Un amant ! Queuqu’ c’est qu’ça, Monsieur Guillaume ?


guillaume

Un amant, c’est comme qui dirait un amoureux. Moi, par exemple.


jeannette

Oh ! Vous n’êtes pas amoureux, vous.


guillaume

Pourquoi non ?


jeannette

C’est qu’on dit que ce sont les amoureux qui baillent des sorts, et vous n’êtes pas assez méchant pour être sorcier.


guillaume

Il y a des amoureux qui baillent des sorts, et d’autres qui les guérissent ; les uns rendont les filles tristes, et les autres les rendent gaillardes. Moi, je suis de ceux qui les font rire.


jeannette

Ah ! Monsieur Guillaume, vous ne pourrez jamais me faire rire, tant que j’penserons à Jeannot.


guillaume

Pour vous en déshabituer, il faudra toujours être avec moi.


jeannette

Ca n’y f’rait rian, Monsieur Guillaume.


guillaume

Est-ce que vous ennuyez avec moi ?


jeannette

Non, pas à présent, nous parlons de Jeannot.


guillaume

Eh ! Morgué, laissez-là vot’ Jeannot ; parlons de moi, ça vaut mieux.


Air : Je n’irai plus à l’école


Viens, Jeannette,
Sur l’herbette,
Nous jouerons à mille petits jeux ;
Tian, Guillaume
Est un homme
Qui rendra tous tes moments heureux.
À ton âge
Quel dommege
De céder aux soucis ennuyeux !
Bannis la mélancolie,
Le plaisir rend plus jolie,
Essaye un peu de folie,
Et tu t’en trouveras beaucoup mieux.
jeannette

Oh ! Laissez-moi, je n’ai pas l’cœur à la danse.


Scène vi

Madame d’Orville, Guillaume, Jeannette

orville

Maître Guillaume, avez-vous parlé à Jeannot ?


guillaume

Oui, Madame ; il est toujours occupé de sa sorcellerie, ainsi que Jeannette.


orville

Hé ! Bien, ma petite, qu’est-ce que c’est ? On dit qu’il t’a ensorcelée, ce méchant Jeannot.


jeannette

Oui, ma maraine.


orville

Comment cela est-il donc arrivé ?


jeannette

Ce fut tout dretement depis la Fête du Village. Jeannot m’apportit une petite corbeille garnie de ribans avec un bouquet.


guillaume

Un bouquet !... Justement.


jeannette

Ma marraine, il voulit me l’attacher li même à mon côté ; je l’laissai faire sans penser à mal.


Air : Les Fleurettes

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Informations sur cet air

Dans mon corset i’l’place ;
Mais drès qui m’touche, hélas !
Je sens eun’flamme, eun’glace,
Un trouble, un embarras.
orville
Ainsi on prend les fillettes.
jeannette
J’en perds la tête à l’instant.
guillaume
On ensorcèle souvent
Par les fleurettes.
jeannette

J’ons encore ce bouquet-là, ma marraine, j’vous le ferai voir. Je crois que le sort est toujours dedans ; car quand je le vois, je soupire.


orville

Défaite-vous de cela bien vite, petite fille.


guillaume

Je l’condamnons au feu.


jeannette

Ce n’est pas tut : en m’donnant un bouquet, pour achever de m’ensorceler, il m’a donné encore un baiser.


orville

Un baiser !


jeannette

Oui, ma marraine, je n’me défiais de rian, moi.


guillaume

Ce Jeannot est un petit drôle bien dangereux.


jeannette

Depuis ce temps-là...


orville

Depuis ce temps-là...


jeannette
Drès que je vois passer Jeannot,
Tout aussitôt j’m’arrête ;
Quoique Jeannot ne dise mot,
Près d’lui chacun m’paraît bête.
Quand il me r’garde, il m’interdit,
J’deviens rouge comme eun’ fraise :
Apparemment que l’on rougit,
Lorsque l’on est bien aise.
orville

Air : C’est la fille à ma Tante

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Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

Eh, comment donc, bien aise !
guillaume
Mais, vous n’y pensez pas.
jeannette
Dam’, ne vous en déplaise,
Quand Jeannot suis mes pas...
orville
Vous en êtes contente ?
jeannette
Ça n’m’empêche pas d’souffrir ;
Mais quoique ç’mal tourmente,
Ça fait toujours plaisir.
orville

Air : C’est bien la faute du Guet


Plaisir !
guillaume
Plaisir !
jeannette
En un mot,
D’où viant qu’mon cœur faute ?
guillaume
C’est un charme de Jeannot.
jeannette
Ce n’est pas ma faute.
guillaume
Pour li vot’ cœur va le trot.
orville
Vous brûlez pour ce marmot.
jeannette
C’est d’la faute de Jeannot,
Ce n’est pas ma faute.
orville

Il faut vous venger de lui, ma filleule.


jeannette

Je n’saurions, ma marraine ; plus il m’fait de peine, moins j’ons de rancune ; tout ce que je crains, c’est qu’il ne me fasse encore queuque sorcellerie.


orville

Pour éviter ce malheur, il faut rompre tout commerce avec lui.


guillaume

C’est mon avis.


orville

Il faut lui renvoyer tous les présents qu’il vous a faits.


guillaume

Oui, tout ce qu’il baille est ensorcelé.


jeannette

Air : Baise-moi donc, me disait Blaise

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Informations sur cet air

Je ferai ce qu’on me conseille :
Je lui rendrai ses ribans, sa corbeille,
Et son bouquet, quoique fané.
guillaume
Fort bien.
orville
Je vous le recommande.
jeannette
Mais le baiser qu’il m’a donné,
Faudra-t’il aussi que j’l’lui rende ?
guillaume

Non, non, c’est à moi à qui vous le rendrez.


jeannette

Oh ! Monsieur Guillaume, il appartient à Jeannot, faut d’la conscience.


orville

Monsieur le Maréchal, voilà un sort que me paraît difficile à lever.


guillaume

C’est vrai, Madame ; mais j’n’faut désespérer de rian.


orville

Allez donc chercher Jeannot et me l’envoyez, afin qu’il me consulte à mon tour.


guillaume

Oui, Madame.


Il sort.

Scène vii

Madame d’Orvile, Jeannette

orville

Et vous, Jeannette, je vous défends de songer à lui, et d’écouter ce qu’il vous dira.


Écouter, c’est se rendre,
Et vous en auriez après
Des regrets ;
L’Amour peut vous surprendre,
N’éprouvez jamais
Ses traits.
Hélas ! Par innocence,
Vous pourriez sans y songer,
Vous engager :
Par mon expérience,
J’en connais le danger.

Adieu, mon enfant, allez vous divertir avec vos petites compagnes, et n’ayez plus aucun souci.


Scène viii

Jeannette

jeannette

Oh ! Divertissez-vous, c’est bien aise à dire.


Étant jeunette,
J’m’amusais à de petits jeux,
La climusette,
M’rendait l’cœur joyeux.
Mon esprit charche et travaille,
Et je baille,
Oh ! Dam’ moi,
Je n’sais pourquoi.
Queuqu’part qu’j’aille,
L’ennui
Me suit aujourd’hui.
Quand on est grande,
Si les p’tis jeux,
Sont ennuyeux,
Je me demande
C’qu’il faut fair’ de mieux ;
Je me demande
C’qu’il faut fair’ de mieux.

Air : Autre


L’alouette
Guillerette,
Chante tout le jour :
L’moineau qui vous la guette,
Voltige à l’entour ;
Le coq, près d’sa poulette,
Va s’ragaillardir,
Elle fait co, codette,
Et c’est de plaisir ;
Nos pigeons, s’ébattons,
Roucoulons,
Et s’bectons ;
Not’ troupeau sur l’herbette,
Toujours jouant, sautant,
A l’air content,
A l’air content,
Et n’y’a qu’la pauvre Jeannette
Qui, bien loin d’en faire autant,
N’a qu’du tourment,
N’a qu’du tourment,
Et n’y’a qu’la pauvre Jeannette
Qui, bien loin d’en faire autant,
N’a qu’du tourment,
N’a qu’du tourment.

J’aperçois Jeannot, v’là l’émotion qui me r’prend. Obéissons à ma marraine : il faut rompre tout commerce avec lui, et pour commencer, j’alons charcher les présents qu’il m’a faits, pour les lui rendre.


Scène ix

Jeannot

jeannot

Morgué ! Tatigué ! Je n’saurais durer davantage com’ça, il faut qu’ça finisse. J’voulons voir Jeannette pour la dernière fois, et si alle ne veut pas m’rendre ma liberté, à présent que je sais repousser un sort, nous varrons beau je. La voilà, je suis déjà tout tremblant. Allons, Jeannot, de la fermeté.


Scène x

Jeannot, Jeannette avec un panier où il y a des rubans et un bouquet

jeannette

Ah ! Je suis bien aise de vous trouver, Monsieur Jeannot.


jeannot

Hé bien... et moi itou, Mademoiselle Jeannette. Courage.


jeannette

J’voudrais bien savoir, Monsieur Jeannot pourquoi vous me traitez de la manière que vous faites ?


jeannot

J’voudrais bien savoir, Mademoiselle Jeannette, d’où viant qu’vous me choisissiez pour le sujet d’vot’malice ?


jeannette

Moi, d’la malice ?


jeannot

Pargué ! Qui de nous deux a jeté un sort à l’autre ?


jeannette

Tu le sais bian, méchant, c’est toi.


jeannot

C’est bian toi-même.


Air : Dans le fond d’une écurie

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Informations sur cet air

Tout les jours tu m’ensorcelles,
Par tes charmes, par tes soins.
jeannette
Oh ! J’ai plus de cent témoins
Que c’est toi...
jeannot
C’est toi, cruelle.
jeannette
Ça, Jeannot, en bonne foi...
jeannot
Qu’est-ç’qui m’trouble la çarvelle ?
Ça, Jeannette, en bonne foi,
Diras-tu que ç’n’est pas toi ?
jeannette

Air : Je m’en vais à la rivière


Souvians-tou d’un jour de fête,
Que tu m’donnis un bouquet ;
M’l’attachant d’un air honnête,
M’embrassant quand ça fut fait.
Ça, Jeannot, en bonne foi,
Qu’est ç’qui m’fait tourner la tête ?
Ça, Jeannot, en bonne foi,
Diras-tu que ç’n’est pas toi ?
jeannot

Air : Dans le fond d’une écurie

Voir la partition
Informations sur cet air

Dis-moi quel pouvoir m’attire
Dès l’Aurore sur tes pas ?
Je m’déplais où tu n’es pas,
Je languis et je soupire.
Ça, Jeannette, en bone foi,
Qu’est-ç’qui cause mon martyre ?
Ça, Jeannette, etc.
jeannette

Air : Je m’en vais à la rivière


La nuit pour peu que j’sommeille,
Dans mes rêves je te vois ;
En sursaut j’prête l’oreille,
Croyant entendre ta voix.
Ça, Jeannot, en bonne foi,
Si matin qu’est-ç’qui m’éveille ?
Ça, Jeannot, etc.
jeannot

Air : Dans le fond d’une écurie

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Informations sur cet air

D’ma volonté tu disposes,
Je n’suis pus maître de moi ;
Tout c’que tu m’dis est un’loi,
tout c’que tu fais m’en impose.
Ça, Jeannette, en bonne foi,
De tout ça qu’est-ç’qu’est la cause ?
Ça, Jeannette, etc.
jeannette

Air : Je m’en vais à la rivière


Ce n’est qu’avec moi qu’tu cause,
Et tu m’bailles des présents,
À moi seul’tu donnes queuqu’chose :
Tian, ne v’là-t-il pas tes ribans ?
Ça, Jeannot, en bonne foi,
D’mon tourment quelle est la cause ?
Ça, Jeannot, en bonne foi,
Diras-tu que ç’n’est pas toi ?
jeannot
Au moment que j’t’écoute,
Je m’sens encor troubler.
jeannette
Moi, j’te troublons ?
jeannot
Sans doute,
Et je n’veux plus t’parler.
jeannette
C’est moi que l’mal oppresse ;
Tu t’plais à m’voir souffrir.
jeannot
Me feras-tu languir sans cesse ?
jeannette
Me feras-tu mourir ?
jeannot

Tu n’veux donc pas avoir pitié de Jeannot ?


jeannette

Tu n’veux donc pas avoir pitié de Jeannette ?


Air : L’Allemande Suisse


V’là qu’est fini,
Tu s’ras puni
Du sortilège
Qui m’tendait un piège.
jeannot
Allons au fait :
Je n’t’ai rien fait.
jeannette
Va, va, je sais de bout en bout,
Tout.
jeannot
Tu m’perçais le cœur
En douceur,
Queu noirceur !
À part.
Une couleuvre est moins cruelle.
À Jeannette.
Moi qui t’aimais,
T’estimais,
Plus qu’jamais...
Hélas ! Je m’croyais près de toi,
Roi.
jeannette
Quand j’te voyais,
J’te croyais
Avec moi
D’si bonne foi !
J’étais du soin qui t’occupe
Dupe.
Rompons tous deux.
jeannot
Je le veux ;
Tiens, Jeannot,
Sans dir’mot,
S’enfuira s’il t’aperçoit.
jeannette
Soit.
J’n’écout’rons plus ton caquet.
Elle jette à Jeannot le bouquet, les rubans et le panier.
V’là ton bouquet,
Ton paquet,
D’ribans ;
J’envoi’ tout au barniquet,
V’là tes présents
Que j’te rends,
Prends.
jeannot, s’éloignant tout épouvanté
Je s’rais niais
Si j’y touchais ;
L’y a d’l’artifice,
Du maléfice,
Et tu fais
Ça tout exprès ;
Sur d’autres jette tes sorts,
Sors.
jeannette

Sors toi-même, je suis chez ma marraine.


jeannot

Hé bian, c’est ta marraine qui m’a envoyé chercher pour me guérir.


jeannette

Pour te guérir ?


jeannot

Ça te fâche ? Oui, pour me guérir, et pour m’empêcher de t’aimer encore.


jeannette

Eh ! Si tu m’aimes, mn cher Jeannot...


jeannot

Mon cher Jeannot ! Ah ! la traîtresse ! V’là ma fièvre qui augmente.


jeannette

Qu’est-ce que tu y gagneras quand j’serons morte ?


jeannot

Air : Mam’selle Javot’


Mam’sel’ Jeannett’ finissez donc ;
Car ça m’trouble,
Car ça r’double.
jeannot et jeannette, ensemble
Mam’sel’ Jeannett’, finissez donc ;
Monsieur Jeannot, finissez donc ;
Car ça m’trouble la raison. \indicreprmus fin
jeannette

Eh ! Qu’t’a fait c’te pauv’ Jeannette ?


jeannot

Eh ! Qu’t’a fait ce pauv’ garçon ?


jeannette

Moi qui t’caressais.


jeannot

Moi qui t’chérissais.


jeannette
Agit-on
De cette façon ?
jeannot et jeannette, ensemble
Mam’sel’ Jeannett’, finissez donc ;
Monsieur Jeannot, finissez donc ;
Car ça m’trouble la raison. \indicreprmus fin
jeannot

Je n’en puis plus.


jeannette

J’étouffe.


jeannot

Tiens, Jeannette, prends garde à toi : tu ne sais pas que j’avons itou le pouvoir de la sorcellerie.


jeannette

Je ne le sais que trop.


jeannot

Hé ! Bien, rends-moi mon repos de bonne grâce.


jeannette

Rends-moi le mien.


jeannot

Ah ! Tu veux donc toujours te gobarger de moi ? Morgué, c’en est trop : r’poussons l’sort, tourons lui l’dos. Ah ! Tu veux donc toujours te gobarger de moi ? Morgué, c’en est trop : r’poussons l’sort, tourons lui l’dos. \emph Abracadabra..


jeannette

Ah ! le voilà qui dit des paroles.


jeannot

Oh ! C’n’est pas l’tout : j’avons un cœur de tourterelle.


jeannette

Ah ! le malheureux !


jeannot

Avec des éguilles.


jeannette

Au secours, ma marraine, au secours.


jeannot
\emph Abracadabra..
jeannette

Écoute, Jeannot.


jeannot

Ne m’approche pas.


jeannette

J’allons nous plaindre au Procureur Fiscal de tes méchancetés.


jeannot

J’frons itou not’ plainte.


Scène xi

Madame d’Orville, Jeannot, Jeannette

orville

Qu’est-ce qu’il y a donc, mes enfants ? Vous êtes en querelle !


jeannette

Ma maraine, c’est Jeannot qui n’cesse de m’tourmenter avec sa sorcellerie. Je vians d’lui rendre tous ses présents et l’sort ne se passe pas ; j’ai toujours du plaisir à voir Jeannot.


orville

Et vous, Jeannot ?


jeannot

Et moi aussi, Madame ; car c’est elle qui est une enchanteuse.


jeannette

Tais-toi méchant, je suis dans une colère... Dans une agitation... Oh ! J’te battrais de bon cœur, si j’n’avais pas peur de t’faire du mal.


orville

Modérez-vous, Jeannette ; vous, Jeannot, dites-moi...


jeannot

Ah ! Madame, je ne peux rian dire, je n’peux pas parler...


orville

Pourquoi ?


jeannot

C’est que Jeannette est toujours là. Fi, n’est-elle pas honteuse d’être jolie com’ça pour le tourment du pauvre monde.


orville

Retirez-vous, Jeannette.


jeannette

Je n’saurais, ma marraine, Jeannot m’en empêche ; dites lui qu’il s’en aille le premier.


orville

Que de raisons ! Obéissez.


jeannette

Oh ! le vilain Jeannot !


orville

Encore !


Scène xii

Madame d’Orville, Jeannot

jeannot

Ne la grondez pas, Madame.


orville

Tu es bien bon de me parler pour elle. À part, en regardant Jeannot. La jolie taille !


jeannot

Oui, je n’le devrais pas après ce qu’elle m’a fait, car c’est bien vrai qu’elle m’a jeté un sort.


orville

Air : Attendez-moi sous l’orme

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Informations sur cet air

Oui, oui, j’en sais l’histoire,
Ce fut par un baiser.
jeannot
Quelle malice noire !
M’y devais-je exposer ?
Mais est-c’que ça s’devine !
Ce baiser plein d’douceur,
Hélas ! fut une épine.
Qui me perça le cœur.
orville, à part

Les beaux cheveux.


jeannot

Air : Ma mère a du pouvoir beaucoup


Pour à ç’al fin d’chasser mon mal,
J’ai consulté Guillaume l’Maréchal.
orville
Il faut qu’un autre y remédie,
Il n’entend pas ta maladie.
jeannot

Guillaume est pourtant bien savant, Madame ; car vous vous souvenez bian que l’an passé tous les animaux de not’ farme crevions d’un maléfice qu’un envieux leur avait jeté. Guillaume les a sauvés, et m’est avis que puisqu’il a bien guéri not’ bête, il me guérira bien itou.


orville

Va, j’en sais là-dessus plus que Maître Guillaume.


De l’amour c’est un charmant délire :
Tôt ou tard, tout ce qui respire,
Doit l’éprouver à son tour.
Ces troupeaux, ces oiseaux, tout soupire,
Tout ressent l’empire
De l’amour.
jeannot

Comment, ces chevreaux, ces moutons ?...


orville

Bondissent d’amour.


jeannot

Ces oiseaux ? ...


orville

Gémissent d’amour. Tout dans l’univers est sujet au tourment d’amour.


jeannot

Et comment se guérissent-ils ?


orville

Tout naturellement.


Air : Sans le savoir


Ce que ton cœur sent pour Jeannette
Est une influence secrète.
jeannot
J’avons peine à vous concevoir.
orville
C’est une pente naturelle,
Rien ne résiste à son pouvoir ;
Enfin l’un et l’autre on s’ensorcelle,
Sans le savoir.

Tu m’as déjà ensorcelée plus d’à moitié, mon cher Jeannot.


jeannot

Moi, Madame !


orville

Toi-même ; mais cela ne m’inquiète pas.


jeannot

Ce n’est donc pas la faute de Jeannette si...


orville

Pas plus que la tienne.


jeannot

Je vais au plus vite lui demander pardon de ce que j’lui ai dit.


orville

Ne t’expose pas davantage à la voir, reste avec moi.


Air : Ah ! Nicolas, sois-moi fidèle

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Informations sur cet air

Tout autant qu’elle j’ai des charmes.
jeannot
Quoi ! Vous avez des charm’ aussi !
I’n’fait pas bon pour nous ici :
Adieu.
orville
D’où naissent tes alarmes.
jeannot
C’est qu’mon tourment d’vindrait plus fort ;
C’est bian assez pour moi d’un sort.
orville

Rassures-toi, nous nous guérirons ensemble.


jeannot

Est-ç’que je n’pourrions me guérir de même avec Jeannette ? Vous li montrerez vos secrets.


orville

Oh ! Non. Écoute moi, Jeannot, je veux faire ta fortune. Quoique tu sois le fils d’un fermier, tu es d’une famille honnête, et quand je t’aurai fait donner une éducation convenable, je t’épouserai. Je ne te guérirai qu’à cette condition ; y consens-tu ?


jeannot

Tout comme il vous plaira, Madame, pourvu que je sois quitte de ce maudit tourment d’amour.


orville

Je vais parler à ton Père à ce sujet. Prends courage, ton sort s’en ira comme il est venu.


Que l’innocence
Doit plaire dans un jeune amant !
Mais s’il trahit encore notre espérance,
C’est un grand défaut en aimant,
Que l’innocence.

Scène xiii

Jeannot, Jeannette

jeannot

Ah ! Te voilà, Jeannette ; il y a bien des nouvelles, va.


jeannette

J’ons tout acouté. Ma marraine est donc aussi ensorcelée ?


jeannot

Dam’ ce’ n’est pas ma faute ; elle dit qu’on s’ensorcelle sans le savoir ; par ainsi je n’te voulons plus de mal.


jeannette

Ni moi non plus.


jeannot

Tu n’avais pas dessein de m’tourmenter.


jeannette

Le mal que j’te veux m’arrive. Tout ce qui me fâche, c’est de t’voir souffrir.


jeannot

Madame d’Orville et moi j’nous guérirons de compagnie.


jeannette

Et, qu’est-ce qui me guérira moi ?


jeannot

Hé ! Bien, essayons de nous guérir ensemble, il en arrivera tout ce qu’il pourra.


jeannette

C’est bien dit ; mais comment faut-il s’y prendre.


jeannot

Air : Frappons fort


Regardons ces troupeaux,
C’est d’amour qu’ils bondissent ;
Écoutons ces oiseaux,
C’est d’amour qu’ils gémissent.
Comme eux chantons,
Et sautons,
Pour qu’nos peines finissent.
ensemble, ensemble
Comme eux chantons et dansons,
Profitons d’leux l’çons.
jeannot

Sais-tu quelques chansons, Jeannette ?


jeannette

Oui, écoute, j’vais commencer.


Près d’un ruisseau dans le vallon,
La verdrillon, la verdrille ;
Il était une jeune fille,
Verdrillon, verdrilette, verdrille.
Qui voulait prendre un papillon,
La verdrillette, la verdrillon.
Qui voulait prendre un papillon,
La verdrillon, etc.
La v’la qui court et qui sautille,
Verdrillon, etc.
Faisant voler son cotillon,
La verdrillette, etc.
Faisant voler son cotillon,
La verdrillon, etc.
Dans le jonc son pied s’entortille,
Verdrillon, etc.
Et la v’là dans l’eau tout d’son long,
La verdrillette, etc.
Et la v’là dans l’eau tout d’son long,
La verdrillon, etc.
À son secours vient un bon drille,
Verdrillon, etc.
Qui la r’pêchit comme un poisson,
La verdrillette, etc.
Qui la r’pêchit comme un poisson,
La verdrillon, etc.
Reconnaissante autant qu’gentille,
Verdrillon, etc.
El’ l’en r’mercie à la maison.
La verdrillette, etc.

Ça t’guérit-il Jeannot ?


jeannot

Non, Jeannette.


jeannette

Ni moi non plus.


jeannot

Hé ! Bien ; sautons comme nos chèvres, et courons l’un après l’autre.


Ils sautent, dansent et courent l’un après l’autre.
jeannette

Ca t’guérit-il Jeannot ?


jeannot

Non, Jeannette.


jeannette

Ni moi non plus.


jeannot

Tiens, v’là des moutons qui dormont là-bas, c’est peut êtr’ comm’ ça qu’ils se guérissent naturellement ; essayons de dormir.


jeannette

Essayons.


jeannot

Allons nous asseoir sur ce gazon ; toi d’un côté, moi d’l’autre.


jeannette

C’est bien dit, bonsoir Jeannot.


jeannot

Bonsoir, Jeannette.


jeannette

Air : L’Amour me fait lon lan la

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Informations sur cet air

Ah ! le maudit ramage
Qui trouble not’ repos !
Mais voyez quel tapage
Font ces petits oiseaux !
Laissez-nous donc dormir,
Nous voulons nous guérir.
jeannot

Même air


Ces moutons dans la plaine
Se battront-ils toujours ?
Vents, r’tenez votre haleine,
Cigales, taisez-vous.
Laissez, etc.
Duo
jeannette
Ah ! Dors-tu, Jeannot ?
jeannot
Paix donc, ne dis mot.
jeannette
Comme est-ce que ton c\o eur va ?
jeannot
C’est même souffrance.
jeannette
Je perds toute espérance.
jeannot
Si j’approchions-là ?
jeannette
Eh bien, qu’est qu’ça f’ra ?
Tiens,
Tout ça n’vaut rien,
Quittons-nous vite.
Mon cœur palpite.
Quittons nous vite.
jeannot
Le mien s’agite.
Hélas ! Jeannette, hélas !
Ne nous rebutons pas :
Mets ta main dans la mienne.
jeannette
Ah ! Qu’à ça n’tienne.
jeannot
Oh ! Tatidienne !
Mon cœur, mon cœur va le trot.
jeannette
C’en est trop, Jeannot ;
J’souffrons davantage.
jeannot
Efforts superflus !
Je n’fais rien de plus :
J’enrage.
Par la mordienne !
R’mets ta main dans la mienne.
Ne t’en déplaise, faut que j’la baise.
jeannette
Tian, bais’ la, si tu veux,
Bais’ les tout’ les deux.
L’tourment s’apaise.
Prenons courage.
jeannot
Ah ! Ça m’soulage.
Oui, quand j’ bais’ ta main,
Je sens soudain
Qu’mon mal s’apaise.
jeannette
Moi ça m’fait plaisir.
jeannot
C’est qu’j’allons guérir.
jeannot et jeannette, ensemble
Je ris, je ris d’aise.
jeannette
Oui, ça m’fait plaisir.
jeannot
C’est qu’ j’allons guérir.
jeannot et jeannette, ensemble
Je ris, je ris d’aise.
jeannette

Écoute, Jeannot ; v’là eun’ drôle de maladie ; au moins.


jeannot

Ca m’fait songer à ç’ que m’a dit ta marraine. Un sort s’en va comme il est venu.


Tu sais que l’sort qui nous dévore
Nous est venu par un baiser.
Il faut, pour l’apaiser,
T’en donner un encore.
Veux-tu, Jeannette ?
jeannette
Eh ! Mais, oui-dà.
jeannot
Voyons, voyons, comment ça f’ra.
Essayons ça.
M’en coutât-il la vie,
Contentons mon envie.
Lorsqu’ils sont prêts à s’embrasser, Guillaume paraît et les en empêche.
guillaume
Halte-là.

Scène xiv

Jeannot, Jeannette, Guillaume, Madame d’Orville

guillaume

Ah ! Ah ! Tatigué, j’arrivons bien à propos.


Air : Eh ! Ne v’là t’il pas que j’aime


Morgué, Jeannot n’est pas si sot.
orville
Comment donc !
jeannette
Ma marraine,
J’voulions, en guérissant Jeannot,
Vous épargner ç’te peine.
orville

Vous êtes trop obligeante ! C’est un soin dont je veux bien me charger en l’épousant. Et vous Jeannette ;


Air : Eh ! Marions-nous donc


Pour chasser votre maladie,
Avec Guillaume on vous marie.
guillaume
Oui, c’est l’antidote qu’il faut,
Marions-nous au plus tôt.
orville
L’acceptez-vous ?
jeannette
Oui, ma marraine,
Pourvu que j’puisse après sans gêne,
Toujours voir Jeannot.
guillaume
En ce cas
Ne nous marions pas.
orville

Air : Accompagné de plusieurs autres


Jeannot, moi qui t’aime si fort !...
jeannot
Je ne me plains plus de mon sort.
guillaume, à Madame d’Orville
J’ons pris mon parti, prenez l’vôtre.
orville, à Jeannot
Moi qui voulais te secourir !
jeannot, montrant Jeannette
J’aim’ mieux avec elle en mourir,
Que d’en guérir avec une autre.
orville

C’en est fait, mes enfants, vous vous aimez de trop bonne foi, pour que je vous sois contraire ; c’est vous deux que je marie.


jeannot

Air : Près du Cours, un fiacre habile


Que ferons-je en mariage ?
orville
Te voilà dans l’embarras ?
guillaume
On n’t’en dit davantage ;
Mais bientôt tu t’instruiras,
Je m’l’imagine :
Ce que l’esprit ne sait pas,
Le cœur le d’vine.
orville

Allons, que tous les garçons et les filles du village se rassemblent pour célébrer ici le mariage de Jeannot et de Jeannette.


quatuor, ensemble

Air : Si Margoton avait voulu

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Informations sur cet air

jeannot et jeannette, ensemble
[Tous ensemble]
Ma cher’ Jeannette, d’nos amours
Mon cher Jeannot, d’nos amours
Rien ne pourra troubler le cours ;
Je t’aimerai toujours,
Oui, toujours, toujours, toujours ;
Jamais de nos amours
Rien ne troublera le cours.
guillaume
Mes chers enfants, à vos amours
Guillaume laisse un libre cours.
À part.
Ça n’dur’ra pas toujours.
La, la, la, la, la, la, la,
Ça n’dur’ra pas toujours ;
Les amours ont besoin de secours.
orville
Mes enfants, que de vos amours
Rien ne puisse troubler le cours ;
Il faut s’aimer toujours.
Oui, toujours, toujours, toujours ;
Jamais de nos amours
Rien ne troublera le cours.
divertissement

Air : Chantons les amours de Jeanne


Chantons Jeannot et Jeannette ;
Chantons Jeannette et Jeannot.
On n’est pas dupe, étant jeunette ;
Quand on est jeune on n’est pas sot.
Chantons Jeannette, chantons Jeannot.
Chantons les amours de Jeannot, Jeannette ;
Chantons à l’envi Jeannette et Jeannot.
Fin

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