Les Danaïdes

Auteurs : Beffroy de Reigny (Louis-Abel) dit le Cousin Jacques
Parodie de : Les Danaïdes de du Roullet et Salieri
Représentation : Non représentée
Source : Les Lunes du Cousin Jacques, Paris, Lesclapart, second numéro, lune de juillet 1785.
Louis-Abel Beffroy de Reigny

Les Danaïdes


Parodie


dans Les lunes du cousin Jacques, second numéro, Paris, Lesclapart, 1785
definitacteur, la vingt-cinquième fille lavingtcinquiemefille
definitacteur, les vingt-cinq filles aînées lesvingtcinqfillesainees

Acteurs


Dandin, roi d’Argos, père des cinquante cousines
Hyperbole, fille aînée de Dandin
[Hypermnestre]
Linceuil, neveu de Dandin
Quarante-neuf sœurs d’Hyperbole
Quarante-neuf frères de Linceuil
Poignardinet, capitaine des gardes et confident de Dandin
Choriphée
Lucifer ou Satan, chef des diables
Personnages dansants
Les diables
Les furies
La scène se passe où l’on veut.

Les Danaïdes


Scène i

Dandin, Poignardinet

dandin

Air : Si j’en croyais mon ardeur, menuet


Quand tout est prêt pour l’hymen
Qu’on doit célébrer demain,
Quand on ne songe à ma cour
Qu’à cet heureux jour,
J’ai bien un autre embarras
Que tu ne devines pas,
Certain projet...oh !...très plaisant,
Me galope en ce moment.
poignardinet

Pourrait-on savoir ?...


dandin

Air : J’ai rêvé toute la nuit

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Informations sur cet air

J’ai rêvé toute la nuit
Que j’avais près de mon lit
Des monceaux de pistolets,
Avec des boulets.bis
Et qu’ils me disaient : seigneur !
Nous agirons de bon cœur.
poignardinet

Vraiment, Sire ! Voilà un songe des plus gracieux !... Je souhaite...


dandin

Air : Tout consiste, dans la manière


Tandis qu’ici chacun s’apprête,
S’attend à se bien divertir,
Je veux introduire à la fête
Un autre genre de plaisir...
poignardinet

Bon ! Je vous devine. Vous méditez quelque sanglante exécution ! Eh bien, Sire, Votre Majesté n’a pas grand’peine à imaginer des moyens de s’amuser.


Une entreprise meurtrière
En vient à bout.
Tous deux gaiement, ensemble
Tout consiste dans la manière
Et dans le goût.
dandin

Tu sais avec quelle ardeur je désirais autrefois d’avoir des enfants. Eh bien, mon ami,


Air :


Le sort favorable à mes vœux,
Peut-être un peu trop généreux,
M’en a donné cinquante...
Avec mystère.
Cependant je rends grâce au sort
Car, si j’en avais dix encore,
Cela ferait soixante.
poignardinet

Eh ! Mais ! Seigneur ! Il est pourtant fâcheux que, parmi tous ces enfants-là, il ne se trouve pas un seul garçon...


dandin

Air : On ne peut empêcher de prendre,


Je sais qu’on n’aime pas les filles,
Et qu’on trouve ailleurs comme ici,
Surtout quand elles sont gentilles,
Trente amants et pas un mari.
Mais conviens que nos demoiselles
N’ont pas le minois séducteur...
poignardinet
On en peut trouver de plus belles...
Mais cela n’ôte pas la peur !

Au reste... Vous voilà rassuré, la fête de demain...


dandin

Il est sûr que mon frère l’Égyptien a eu bon nez de faire des garçons.


Air : Accompagné de plusieurs autres


Notre malheur même est heureux,
Ami, pour mieux combler nos vœux,
Voyez quels destins sont les nôtres !...

Quand mon frère vit que j’allais lui donner beaucoup de nièces, il se maria sur-le-champ,


Et pour lui ce ne fut qu’un jeu...
\scene[Linceuil entre, suivi de ses quarante-neuf frères.] Dandin continue
De me fabriquer un neveu...
Accompagné de plusieurs autres.

Scène 2


Linceuil et Hyperbole, ensemble

Air : Chantons l’hymen, chantons l’amour,


Chantons la paix, chantons l’hymen,
Qui doit nous réunir demain.
Chantons la paix, chantons l’hymen,
Chantons prenons-nous... la main.
Tous les cousins et toutes les cousines répètent en chœur en se prenant la main.
Chantons la paix ! etc.
hyperbole, à Linceuil

Air : Voilà mon cousin Lanlure, mon cousin

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Informations sur cet air

Que dis-tu de ma main,
Mon cousin ?\footnote Cette folie est copiée sur la pièce très exactement, et scène pour scène, tout est parodié : il y a des exclamations sur la main d’Hypermnestre, qui sont du plus grand comique, il en est de même des vers : \og Sans bruit souvent la mort se glisse

Et nous frappe au sein des plaisirs. Vers dont tous les papiers publics ont relevé l’indécence et le ridicule et que nous avons parodié ainsi : \og Saisit, emporte dans ses bras.


L’amant et la bergère.... Ce couplet, fort mauvais, est une critique très exacte du dialogue et de la marche des scènes dans le dernier opéra des Danaïdes, car on ne s’est contenté de mettre sur la scène un pareil sujet pour une seule fois ; il était bien digne d’y reparaître avec toute la variété des coloris, dont chaque poète l’a nuancé, plusieurs verves s’y sont exercées. On ne sait en conscience, si les héros de cette histoire horrible et dégoûtante sont plus blâmables aux yeux d’un français policé, que l’écrivain qui lui prête le charme de son art.


Air :


Tandis que tout sommeille,
La bergère et l’amant,
La mort vient doucement.
La mort, qui toujours veille,
À petit bruit
Marche la nuit
Le long de la ruelle,
Et puis, quand vous n’y pensez pas,
Elle se glisse entre vos draps !
Elle lui présente la main droite, qu’il examine curieusement, les autres en font autant.
linceuil
Je la trouve bien faite,
hyperbole
Vous avez le goût fin,
Mon cousin !
linceuil, tout occupé de la main
Comme elle est rondelette !
hyperbole, enchantée
Ah ! Mon cousin !...
Elle lui présente la main gauche, qu’il saisit de même, tout le monde l’imite.
L’autre n’est pas moins douillette,
Mon cousin.
toutes les cousines
L’autre n’est pas moins douillette.
dandin

Allons, mes neveux, de la gaieté ! Le sort qui vous a privé de votre père, vous empêche de retourner en Égypte, mais vous trouverez une existence plus douce entre les bras de vos cousines.


Air : Du serein qui te fait envie


Mais, avant d’épouser mes filles,
Jurez tous par le sombre bord,
Qu’on n’aura vu dans les familles
Jamais de si parfait accord.

Servons d’exemple à tout le royaume, et que mes sujets se regardent tous comme des frères.


Que jamais la haine homicide
N’ose paraître en ce séjour,
Bien tendrement.
Car vous avez lu dans Ovide
Qu’on se modèle sur la cour.

Allons, mes neveux ! Mes chers amis ! Embrassez vos cousines, vos futures épouses et que ces embrassements là préludent... là...


hyperbole
Refrain connu
Expliquez-vous mon père !
Eh bien ?
dandin
Ma fille ! Il faut vous taire,
Vous m’entendez bien.
Les cousins et les cousines en s’embrassant, ensemble
Chantons la paix, chantons l’hymen
Qui doit nous réunir demain
Chantons la paix, chantons l’hymen,
Embrassez-moi mon cher cousin !
dandin, à l’oreille de Poignardinet

Mes neveux me gênent pour m’expliquer devant mes filles, congédie-les pour moi.


poignardinet

Air : Vous l’ordonnez


Le Roi, messieurs, d’un secret qui m’importe,
Voudrait m’instruire, et m’instruire tout bas.
Assurément, vous ne le gênez pas,

Mais


C’est l’obliger que de prendre la porte.
Les cousins s’en vont. Linceuil sourit à Hyperbole, ils font tous une exclamation, un grand geste et poussent un soupir ; ce qui fait cinquante exclamations, cinquante gestes, cinquante soupirs.

Scène iii


dandin

Approchez, mes filles. Vous n’êtes


pas de trop, j’ai un secret important à vous dire.


Air : Laisse tes agneaux errer dans la prairie


Malgrè les serments
Que je vous ai fait faire,
De vivre en paix, ô mes enfants !
Apprenez de votre père
Un secret des plus charmants,
Quand vous le saurez,
Vous rirez !
Il rit.
Oh ! Vous rirez !
Oh ! Vous rirez !
Et vous m’en féliciterez !bis
\lescinquantefilles[en dansant\lescinquantefilles[en dansant\footnote Pourquoi danser, va-t-on dire ? Pourquoi ?... Eh ! Morbleu ! Pourquoi danse-t-on à l’Opéra ? Il s’agit d’une exécution sanglante, c’était là le cas.]]
Parlez, cher papa !
Quel est ce beau secret là !
dandin
Observer pourtant
Qu’il faut d’abord vous en taire,
Et que pour l’instant
Le silence est important.
D’un air plus gai et plus mystérieux, en montrant son ami.

Air : Qu’en voulez-vous dire


Poignardinet mon confident,
Dont la férocité m’est chère,
De mon cruel ressentiment
Ministre estimable et sévère,
Va vous remettre de ma part
À chacune un petit poignard
Dont vous vous servirez plus tard...
les cinquantes filles, étonnées
Qu’en voulez-vous faire ?bis
dandin, tendrement
Cachez-le sous votre mouchoir,\footnote C’est la même expression que dans la pièce, où il est question de cacher les armes sous son mouchoir. L’auteur avait mis d’abord fichu, mais, la rime n’allant pas bien, il y substitua pour l’oreille le mot mouchoir.
Favorisez mon doux espoir !
Poignardinet distribue des poignards.
les cinquantes filles

Air : L’avez-vous vu, mon bien aimé


Sur qui doivent tomber nos coups ?
Daignez donc nous l’apprendre !
dandin
Ce soir, à vos futurs époux
Faite un accueil bien tendre !
Caressez-les avec douceur !
Appelez-les : mon choux ! Mon cœur !...
Et puis tout à coup sans pitié
Que votre main les frappe !
Oh ! Vraiment ! Pour leur amitié
C’est une bonne attrape.
Un moment de silence.
les cinquantes filles, levant au ciel la main armée du poignard
Doloroso
Peut-on poignarder ce qu’on aime ?
Cette noirceur
Nous fait horreur !
Peut-on poignarder ce qu’on aime ?
Autant se poignarder soi-même !
Ou, ce qui est équivalent :
Oter la vie à ce qu’on aime !...
Autant se l’ôter... à soi-même !...
lavingtcinquiemefille

Air : V’là c’que c’est qu’d’aller aux bois

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Informations sur cet air

Seigneur ! Qu’ont donc fait nos époux
Pour mériter votre courroux ?
dandin, d’un air terrible
Mesdemoiselles, taisez-vous,
Agissez en filles
Discrètes, gentilles,
Et croyez que votre papa...
A ses raisons pour cela.
hypermnestre

Air : Prévôt des marchands

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Informations sur cet air

Papa, vos projets sont charmants,
Mais vous prenez mal votre temps.
Rien de plus beau que la pensée
D’assassiner nos chers maris !
toutes les filles, parlant à la fois

Mais ne peut-on pas en différer l’exécution pour vingt-quatre heures seulement ?


Une nuit est bientôt passée...
Et cette nuit-là vaut son prix.
dandin

Non, point de délais, si l’on diffère, tout est manqué !...


les cinquantes filles, prenant leur parti gaiement

Air : Allons gai

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Informations sur cet air

Allons gai ! Réjouissons-nous !
Armons notre colère ;
Allons gai ! Réjouissons-nous !
Nous tuerons nos époux.
lesvingtcinqfillesainees, en dansant
Éxécutons d’un si bon père
Les ordres pressants.
les vingt cinq filles cadettes, en dansant
Il faut égorger de son frère
Les cinquante enfants !
\toutes[en dansant et gambadant et se ruant sur la scène\toutes[en dansant et gambadant et se ruant sur la scène\footnote Le célèbre La Fontaine, le philosophe à la portée de tout le monde, dont la charmante morale peut s’appliquer à toutes les circonstances de la vie et dont on est tenté à chaque pas de citer un vers ou deux, très analogue à ce qui se passe sous nos yeux, a dit à peu près la même chose dans la fable du \emph vieillard et de l’âne.]]
Allons gai ! Réjouissons-nous !
Armons etc.

Scène iv


poignardinet, avec respect

Air : Le port Mahon est pris


Comptez sur mon courage !
Autant que vous j’aime le carnage...
Mais c’est pourtant dommage
D’immoler ces gens-là.
Néanmoins ce sera
Tout comme il vous plaira.
De votre serviteur
Dans tous les temps, Seigneur,
Vous pourrez faire usage...
Mais au moins dites-moi quel outrage
Éxcite votre rage
Contre vos chers neveux ?
dandin
Oh ! Ce n’est pas contr’eux,
Mais contre leurs aïeux.
poignardinet

Quoi donc ? Leurs aïeux n’étaient-ils pas les vôtres ?


dandin, en confidence

Air : Pour la Baronne

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Informations sur cet air

De leur grand-père
Mon grand-oncle était l’ennemi,
Moi, l’héritier de sa colère
Comment pourrais-je être l’ami
De leur grand-père ?
poignardinet, fort surpris

Comment ? Que voulez-vous dire ? Leur grand-père...


dandin

Je parle du côté maternel...


poignardinet

Mais ces cinquante infortunés ?


dandin

Air : Des fraises

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Informations sur cet air

Vraiment ! S’il vivait encor,
Il n’aurait point de grâce
Mais\footnote Ces mots soulignés, excédant la mesure du vers, doivent se parler et non se chanter. il faut bien, puisqu’il est mort,
Accablez du même sort
Sa race\indicreprmus Trois fois
poignardinet

Votre projet, Sire, me paraît bien extraordinaire !...


dandin, dans un accès d’enthousiasme

Air : Grand Saint Nicolas


Garde-toi d’en rougir.
C’est une prévoyance,
Aux siècles à venir
Je ménage un plaisir,
Ce trait de ma vengeance
Doit faire un opéra
Auquel toute la France...
Rira.\footnote Cet homme-là était possédé d’un esprit prophétique... Il y a encore dans cette parodie des choses assez drôles, l’instant auquel les époux, assassinés et baignés dans leur sang, implorent d’une voix mourante la justice du ciel, fait un coup de théâtre charmant et en vérité rien au monde n’est si plaisant.

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