Arlequin Bohémienne ou la Galiote engravée

Auteurs : Desprès (Jean-Baptiste-Denis)
Piis (Pierre-Antoine-Augustin)
Resnier (Louis-Pierre-Pantaléon) dit Richard
Parodie de : Iphigénie en Aulide de du Roullet et Gluck
Date: 0
Représentation : Non représentée
Source : ms. BnF, fr. 9260
Remarques :
1782-1783 ou 1789 ?
Anonyme

Arlequin bohémienne


La Galiote engravée
Parodie en deux actes mêlée de vaudevilles


BnF ms. fr. 9260
definitacteur, l’emporté lemporte
definitacteur, chœur des bateliers chœurdesbateliers
definitacteur, chœur de bateliers chœurdebateliers
definitacteur, chœur des bouchers chœurdesbouchers
definitacteur, les deux chœurs lesdeuxchœurs
definitacteur, un homme du chœur unhommeduchœur

Acteurs


Patagon, patron de la galiote
Nicole, sa femme
Eugénie, leur fille
Lucas, batelier
L’Emporté, boucher de Poissy
Pastrop, garçon boucher
Le bailli
Une bohémienne, un Arlequin
Bateliers
Bouchers
Filles et femmes de Saint-Germain
La scène est au port du Pecq.

Arlequin bohémienne


Ouverture : Les Folies d’Espagne

Acte i


\scene[Le théâtre représente le port du Pecq. On entrevoit dans le lointain la machine de Marly. La galiote occupe une des principales parties du fond, et est entourée de petits batelets dont les banderoles tombent ; d’un coté l’on voit une mauvaise tente de toile comme les bateliers, de l’autre une façon de paillote enfumée en forme d’antre de Sybille.] [patagonseul]
patagon

Air : la Confession


Je ne puis partir
Que devenir ?
Quelle disgrâce !
Dans le port du Pecq
Hélas, la rivière est à sec.

Cependant nous pourrions avoir de l’eau ; une bohémienne nous en promet. Mais, morbleu, s’il faut lui donner ma fille je n’y consentirai jamais.


Air : Noël suisse


Quoi, mon Eugénie
Me serait ravie !
Dussè-je en mourir
Je ne puis le souffrir :
Pour venger un frère
Perdre son enfant :
Il faudrait qu’un père
Fût extravagant.

Cela n’est pourtant pas sans exemple.


Air : Dans Paris


On m’a dit qu’un beau jour en Aulide,
On m’a dit qu’on vit le même cas.
Agamemnon, d’un cœur homicide,
Livra sa fille au meurtrier Calchas.
Au fond de mon âme,
Ma foi, je le blâme
D’avoir pu former ce projet inhumain ;
D’un trait si coupable
S’il fut bien capable,
C’est que d’être père il n’était pas certain.

Oh, oui ma foi, si peu que la nature parle, un père est toujours père... J’ai pourtant promis de faire la même sottise ! Mais après tout, on a son dit et son dédit. Pourvu que mon commissionnaire ne se soit pas amusé à boire en chemin et qu’il arrive à temps : il n’y aura rien de gâté.


Air : Brillant soleil


Brillant soleil ! brillant soleil !
Toi, qui n’as point de pareil.
Dans le séjour de Marly,
Retiens ma chère famille.
Si ma femme vient ici
Ah, c’en est fait de ma fille !
Brillant soleil ! brillant soleil !
Tu n’auras point de pareil.

Il faut convenir que j’ai eu le nez fin quand j’ai envoyé le compère Lucas au devant d’elles ! Il va leur débiter adroitement que mon gendre prétendu, Monsieur L’Emporté, n’est qu’un petit infidèle, qu’il en conte à toutes les filles de Saint-Germain. À ce beau récit la mère et la fille vont prendre la chèvre, elles croiront le mariage à vau l’eau, elles resteront à la machine et moi je me moquerai ici de la bohémienne et des bateliers.


Scène i

patagon, la bohémienne, bateliers

On voit entrer les bateliers sortant de l’antre. Les premiers portent avec étalage un escabeau, une table de bois et les deux derniers soutiennent la bohémienne par-dessous les bras.
chœurdesbateliers

Air : Cet oracle est plus sûr [que celui de Calchas]


C’est trop faire de résistance,
Lucine, rompez le silence,
Parlez, contentez-nous, surtout ne mentez pas.
la bohémienne
Sachez qu’en tout il faut me croire,
Je vais consulter mon grimoire.
Mon oracle est plus sûr que celui de Calchas.
les bateliers
Son oracle est [plus sûr que celui de Calchas.]
la bohémienne

Écoutez, mes enfants, pour vous prouver la vertu de mes secrets


je m’en vais d’abord vous prédire tout ce qui s’est passé. Ici deux ou trois mots des nouvelles du jour chaque fois. Histoire des globes Le manuscrit porte légèrement biffé : \guill Il y a eu cette année dans la capitale grand débit de nouveautés dramatiques. Les fabricants n’ont pas tous été heureux, mais enfin, quoique le zèle pare la marchandise, n’est pas marchand qui toujours gagne. Une révolution frappante s’est opérée sur les planches du palais de Terpsichore. On prétend qu’elle a proposé un cartel à Melpomène et que la première a été blessée ; d’autres assurent qu’elle pourra s’en relever, vu que ce n’était qu’un faux pas. PB etc.


On parle toujours ici des troubles de l’Amérique mais on y fait peu d’attention. Ce serait folie de s’occuper des sottises des autres quand on peut jouir de son propre bonheur.


Air : La bonne aventure

Voir la partition
Informations sur cet air

Les peuples de vos cantons
Sont dans l’allégresse.
Ils ont des maîtres si bons
Que c’est une ivresse.
Chaque jour nouveaux bienfaits
Font répéter aux sujets
Bonheur et tendresse, ô gué
Bonheur et tendresse.
chœur
Chaque jour [nouveaux bienfaits
Font répéter aux sujets
Bonheur et tendresse, ô gué
Bonheur et tendresse.]
un batelier

Ah morbleu, vous avez raison, quand vous liriez dans nos cœurs vous ne seriez pas mieux instruite... À présent, dites-nous un peu quelque chose au sujet de l’avenir et de notre voyage.


la bohémienne

Avec plaisir mes enfants, ne me troublez pas. Je vas vous tirer tout ça au clair.


Elle prend ses cartes dans sa gibecière et les tire sur la table. Les bateliers observent en silence.
patagon, à part

Air : Cet oracle [est plus sûr que celui de Calchas


Elle cède à leur violence,
Morbleu ! Je crains la confidence !
la bohémienne
Tremblez ! Le charme est fait... Remarquez bien cet as.
bateliers
Quel mauvais jeu ! C’est tout du pique.
patagon

Mais, mais... obéis !


la bohémienne
Surtout, croyez-moi sans réplique :
Mon oracle est plus sûr que celui de Calchas.
batelier
Son oracle est [plus sûr que celui de Calchas.]
la bohémienne

Silence ! Écoutez bien. Votre galiote est engravée parce que la rivière est basse. Par mon pouvoir, je vous promets de vous remettre à flot mais je veux une récompense.


chœurdesbateliers

Air : Malgré la bataille [qu’on livre demain]

Voir la partition
Informations sur cet air

Quelle récompense
Peut-on vous offrir ?
Rompez le silence,
L’on va vous servir.
la bohémienne
Bon ! Je suis propice
Suivant le comptant :
On ne gagne un Suisse Le manuscrit porte suscrit :\guill Car on n’a le suisse. PB
Qu’avec de l’argent.

Mes enfants, je ne suis pas cruelle, moi. Je ne veux le sang de personne, mais je suis vieille et j’ai besoin d’une servante, ainsi promettez-moi de me donner la fille que je vous demanderai et je vous ferai aller grand train.


les bateliers

Nommez-la, nous l’accordons.


la bohémienne

Je suis contente de votre soumission. Allez faire votre paquet. Je m’en vas tout dire à votre patron, et devant qu’il soit minuit vous chanterez :


Et vogue la galère
[Tant qu’elle, tant qu’elle, tant qu’elle
Et vogue la galère,
Tant qu’elle pourra voguer.]
les bateliers, s’en vont en répétant
Et vogue la galère
Tant qu’elle,[tant qu’elle, tant qu’elle
Et vogue la galère,
Tant qu’elle pourra voguer.]

Scène ii

patagon, la bohémienne

patagon

Çà Lucine, nous sommes seuls, parlons raison.


lucine

Air : Jean Gille

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Informations sur cet air

Ce discours est inutile
Jean Gilles, Gilles joli Jean.

Air : Ah, maman, [que je l’échappe belle]


Le sort est tombé sur ta famille,
Et tu m’as tantôt
Comme un vrai sot
Promis ta fille !
Le sort est tombé sur ta famille
Tu n’es plus à temps
D’étaler les beaux sentiments.
patagon
Quoi ! tu veux qu’une fille charmante
S’éloigne de moi
Pour être à toi
Comme servante !
À part.
Pour braver ce sort qui m’épouvante,
Usons sans façon
De quelque détour de gascon.
Duo
deuxcol, \lucine
Le sort est tombé etc.
patagon
Ah ! Quel deuil pour ma triste famille !
Eh quoi donc tantôt
J’ai comme un sot
Promis ma fille !
Ah ! Quel deuil pour ma triste famille !
Mais je suis à temps
De rappeler mes sentiments.

Comment Jarnombille ! Voudrais-tu me manquer de parole ? Tu m’as juré ton gros juron...


patagon

Air : Sur le port avec Manon, [un jour]


Je connais mon engagement
Je n’y veux pas manquer vraiment.
la bohémienne
Yaisément cela se peut croire.
patagon
Si ma fille paraît au Pec,
Je consens qu’elle te soit hœc.
la bohémienne

Eh Eh \emph sangoue de mi ! !


Voilà bien le tour d’un Grec
Voyez qu’il est rusé !
Mais ce tour trop usé
Ne saurait plus m’en faire accroire.

Tu as beau faire pour sauver ton Eugénie, j’ai lu dans les cartes qu’elle va venir à jubé.


On entend du bruit derrière.

Air : Toujours seule disait, Nina


Ta Nicole vient dans ces lieux
Que mon cœur est joyeux !
patagon
Dieux !
chœurdebateliers, traversant le théâtre
C’est la fille à notre patron,
Qu’elle a bonne façon !
la bohémienne
Bon.
Regarde de ce côté-ci
La vois-tu venir de Marly ?
patagon
Évitons-la
la bohémienne
La la la la, etc.
patagon
Ah ! La voilà, la voilà, là
la bohémienne

Là !


Patagon veut s’en aller, la bohémienne l’arrête.

Air : Quoi ! vous partez [sans que rien vous arrête]


Quoi ! vous partez sans que rien vous arrête ?
patagon
Oui, leur présence augmente mes douleurs.
la bohémienne
Mais restez donc, montrez-vous plus honnête.
patagon
Je ne veux pas voir couler tant de pleurs.
Il s’en va, la bohémienne rentre dans sa niche.

Scène iii

nicole et augénie arrivent dans une charrette de Saint-Germain, une foule de filles et de garçons avec des bouquets et des rubans, entoure la charrette

une fille

Air : Ah, le bel oiseau, [maman]

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Informations sur cet air

Chantons, dansons en l’honneur
De cette fille si chère,
Elle fera le bonheur
De son père et de sa mère.
Quel plaisir pour L’Emporté
C’est l’époux qu’elle préfère ;
Ah ! qu’elle a de majesté !
Que de grâce et de beauté !
nicole, dans la charrette
Que cet hommage est flatteur,
Que j’nous plaisons à l’entendre !
Ah ! vous saisissez le cœur
De la mère la plus tendre !
chœur
Quel plaisir [pour L’Emporté
C’est l’époux qu’elle préfère ;
Ah ! qu’elle a de majesté !
Que de grâce et de beauté !]
unhommeduchœur, leur présentant la main pour descendre de la charrette

Air : Nanon dormait

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Informations sur cet air

Donnez la main,
Venez, ne vous déplaise
Hors du chemin
Vous serez plus à l’aise.
Nous sommes bons garçons,
Allons, allons
Avec nous soyez sans façon.
Elles descendent.
nicole

Mes enfants, je vous remercions de vot’ politesse, et je comptons si bien dessus vot’ honnêteté que sans plus de cérémonie je vous remettons not’ filles entre les mains. Pour nous, j’allons de ce pas-ci trouver notre homme et savoir pourquoi qu’il ne s’est pas rencontré za not’ débarquement.


À Eugénie.

Air : Paris est au Roi


Demeure en ces lieux
Et reçois leurs vœux,
Danse et chante avec eux,
Tu ne peux faire mieux.
J’allons voir leur patron
Ton papa Patagon,
Car il nous faut savoir
S’il veut nous revoir.
Elle sort.

Scène iv

eugénie, le chœur, un batelier

Le chœur reprend :
Restez en ces lieux,
Recevez nos vœux,
Nous sommes tous joyeux,
Où seriez-vous mieux ?
On danse à l’entour d’elle sur l’air du tambourin de Pyrame et Thisbé.
eugénie, après la danse, aux bateliers

Air : L’amour m’a fait la peinture


Ces danses dont on m’honore
Pour mon cœur ont peu d’appas ;
Pour voir l’amant que j’adore
Je viens ici dès l’aurore
Et je ne l’y trouve pas.
un batelier

Allons Mademoiselle, dansez avec nous.


eugénie

Air : Je ne saurais danser


J’n’ai pas l’cœur à ça
J’ai d’autre chose à la tête,
J’n’ai pas l’cœur à ça
C’est bon pour vous ces jeux-là.
Dansez vous autres
Et moi je m’en vais chanter
Oui, ça fera plus naturel.

Air : Charmantes fleurs

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Informations sur cet air

Ah ! que l’amour cause dans un cœur tendre,
Pour un amant, de trouble et de combats !
Au rendez-vous peut-il se faire attendre
Quand il devrait faire les premiers pas ? bis


Il m’a tant dit que de la fleur nouvelle
J’ai la fraîcheur l’éclat et l’agrément !
Du papillon serait-il le modèle
Et comme lui devient-il inconstant ? bis

Scène v

les susdits, nicole renvoyant tout le monde

nicole

Décampez, vous autres.


Ils s’en vont tous.

Air : Dérouillons, ma commère

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Informations sur cet air

Ah ma fille, quel outrage !
J’apprends que ton cher amant
Te refuse en mariage,
Ah ma fille, quel outrage !
eugénie
Qu’ai-je entendu ? quel changement !
nicole
Mon enfant pour punir ce volage
De ces lieux, faut partir à l’instant.
eugénie

Ah maman, je me doutais presque de l’aventure. Quand j’ai vu que je ne le voyais pas, j’aurais parié qu’il y avait quelque chose là-dessous... mais à propos, avez-vous vu mon père ?


nicole

Ton père ! Ah vraiment est-ce qu’on sait tant seulement où il se fourre ? Y gnia pus moyen de le voir ni de l’y parler. Depis qu’il a été nommé patron de ste galiote, il se crait trop grand seigneur pour nous, mais je venons de rencontrer le compère Lucas qui nous a découvert toute la mèche.


eugénie

Ah ! que je suis malheureuse !


nicole

Eh mais, je crais que tu pleures. Fi donc ! As-tu peur d’en manquer ? Allons, allons, d’la fermeté et du courage, on ne gagne rien à pleurnicher et rester là les bras croisés. Faut se donner du mouvement.


Air : Ton humeur est, Catherine

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Informations sur cet air

Qu’il craigne notre vengeance
Je n’entendons pus raison.
J’aurons bientôt l’assistance
Des commères du canton.
Nous couperons court aux trames
De ses outrageants refus ;
Quoique je soyons des femmes
Il n’aura pas le dessus.
Elle s’en va.

Scène vi

eugénie seule

eugénie

Eh bien, ne voilà t-il pas que ma mère me quitte encor, sans me dire où elle va et sans savoir pourquoi ! Elle veut que je parte d’ici pour oublier un ingrat et elle me laisse seule pour me consoler !... Allons, puisque cela est ainsi, pleurons, gémissons, et rappelons-nous les tendres promesses de mon cher L’Emporté. Peut-être qu’à force de me plaindre cela le fera revenir.


Air : Romance

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Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

Air : Nous étions dans cet âge [encore]


Quand l’amour veut mettre à la gêne,
Il peut bien sans peine
Surprendre nos cœurs ;
Il sait si bien parer sa chaîne !
On n’y voit, hélas ! que des fleurs.


Mais ces fleurs dont il la compose,
Que son art dispose,
Passent tour à tour ;
Un seul matin fane la rose
Et le nœud, et le nœud reste plus d’un jour.

Air : Monsieur de Malbrough

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Informations sur cet air

Faut encor rester fille
Mirandon,
Faut encor rester fille
N’sait si c’est pour longtemps,
N’sait si c’est [pour longtemps.]
V’la comment sont les amants
Près de fille gentille
Mirandon,
Près de fille gentille
Ils sont tous inconstants.


Ils disent q’çà tiendra,
Viens écoutez tout ça,
Ça chante et ça babille
Mirandon,
Ça chante et ça babille
Puis ça vous plante-là.

Scène vii

eugénie, l’emporté

eugénie

Mais je le vois paraître, ne faisons semblant de rien.


lemporte, du haut du théâtre

Eh, cadédisEh, cadédis Le manuscrit porte \guill ô ciel biffé. PB, aurais-je la berlue ?... Comment, vous au Pecq,, aurais-je la berlue ?... Comment, vous au Pecq,


ma chère prétendue ?


eugénie, avec dépit

Laissez-moi, Monsieur.


lemporte

Que je suis charmé de vous voir !... permettez...


Il veut l’embrasser.
eugénie

Finissez, Monsieur. Ces manières-là ne me conviennent pas.


lemporte

Qu’est ce que cela veut dire ? Ne venez vous pas ici pour vous marier à l’encontre déQu’est ce que cela veut dire ? Ne venez vous pas ici pour vous marier à l’encontre dé L’Emporté parle avec un accent gascon caractérisé par l’accentuation des e et par le remplacement de la consonne b par le v et inversement. Le copiste ne signale pas systématique ces marques d’accent gascon. PB moi ? moi ?


eugénie

Moi, Monsieur ! Quelque soit le dessein qui m’amène ici, ce n’est pas un perfide comme vous que je viens y chercher.


lemporte

Un perfide ? Est-ce à moi que vous parlez ?


eugénie

Et à qui doncEt à qui donc Le manuscrit porte biffé : \guill puisqu’il n’y a que vous ici. PB ? ? Allez Monsieur, retournez à votre nouvelle conquête, je ne m’opposerai point à vos engagements.


lemporte

À mes engagements... Eh donc ! Je n’en ai jamais eu qu’abec bous.


eugénie
air, d’ une contredanse
Non, vous n’m’abuserez pas,
Je m’en vas.
lemporte
Eh, mais vous plaisantez,
Arrêtez ;
D’où vient que vous sortez ?
Écoutez :
D’une perfidie
Qui pourrait oser
M’accuser ?
eugénie
Vous m’avez trahie
Puis-je l’excuser ?
lemporte
Ah, plutôt mourir en ces moments Le manuscrit porte biffé : \guill Qui, moi ? Briser des nœuds si charmant. Il s’agit d’une citation exacte de l’opéra. PB !
eugénie
Non, je n’écoute plus vos serments.
lemporte
Ma chère Eugénie
Croyez le serment
D’un amant.
eugénie
Vous m’avez trahie
Rompons à l’instant.
lemporte

Air : Sous le nom de l’amitié


Rendez-bous à mon ardeur
L’amour qui me débore,
L’amour [qui me débore]
Mérite moins dé rigueur :
Hélas ! Jé bous adore !
N’affligez plus mon cœur,
Rendez-bous [à mon ardeur !]
eugénie
J’en ai trop souffert de vous,
Vous me trompez encore,
Vous [me trompez encore.]
Vous méritez mon courroux :
Ingrat, je vous abhorre,
Je ne veux plus d’époux ;
J’en ai trop [souffert de vous.]
eugénie

Ainsi, Monsieur L’Emporté, tout est dit. Allez de votre côté et moi du mien.


lemporte

Air : Non, non, Colette [n’est point trompeuse]


Non, non, ma flamme n’est point légère
Ne doutez plus de mon cœur.
eugénie
Monsieur, vous avez beau faire,
Vous n’êtes qu’un imposteur.
ensemble, ensemble
deuxcol, \lemporte
Non, non [ma flamme n’est point légère
Ne doutez plus de mon cœur.]
eugénie
Non, non, votre amour n’est point sincère.
Je n’en crois plus votre cœur.
eugénie

Air : Changez-moi cette tête


Ah vous avez beau faire !
Faire faire faire etc.
Votre flamme est légère.
lemporte

Allez, Madémoiselle tout cé jargon-là n’est qu’une défaite. Si vous m’aimiez autant qué jé bous aime, bous né m’iriez pas chercher midi à quatorze heures comme vous faites. Mais jé bois clair. C’est bous qui êtes une perfide, une ingrate, et bous prenez l’avance pour me fermer la bouche abec vos réproches. Qui ? Moi ?... L’Emporté té trahir ! Hélas ! l’eusses-tu-crû si tu


m’avais aimé ?


Air : Triste raison, [j’abjure ton empire]


Se peut-il bien qué d’être amant parjure
Mon Eugénie ose ici m’accuser ?
Ah, dans nos cœurs instruits par la nature
Jamais l’amour a-t-il pu l’abuser ?


Lé changément, l’éclat et la rupture
Pour les seigneurs ont des charmes puissants ;
Mais nous sied-il d’imiter leur allure
Et dé bouloir aimer comme les grands ?
eugénie

Comme il est séduisant ! Il n’y a pas moyen de lui résister ! Allons, je ne veux plus bouder avec toi, et je t’en crois sur ta parole... Ce sont de mauvaises langues qui avaient rapporté cela à ma mère ; mais crainte de nouvelles brouilleries, il faut nous marier tout de suiteComme il est séduisant ! Il n’y a pas moyen de lui résister ! Allons, je ne veux plus bouder avec toi, et je t’en crois sur ta parole... Ce sont de mauvaises langues qui avaient rapporté cela à ma mère ; mais crainte de nouvelles brouilleries, il faut nous marier tout de suite Le manuscrit porte biffé plusieurs couplets sur l’air \guill Nous nous marierons dimanche : \guill Oublions cela ; / Comme à l’Opéra / Ne pensons plus qu’à la danse. L’Emporté : C’est prendre ici / Le bon parti / Je pense. Eugénie : C’est ce qu’on fait . Lorsque l’on est / Bien aise... / Chantons un duo. L’Emporté : Le faut-il de nouveau ? Eugénie : Qu’importe pourvu qu’il plaise. Ensemble : Heureux destin ! / J’obtiens ta main / Si blanche ! / Ton cœur et le mien / S’accorderont bien / Nous nous marierons dimanche. PB


lemporte

Eh bien, attendez-moi, ma chère Eugénie ; pour rendre la cérémonie plus touchante, je vais rebenir avec tous mes garçons bouchers et vous apporter les présents de la noce.


Il s’en va.

Scène viii

eugénie seule

eugénie

Allez, je vous attends... On est pourtant bien simple de se brouiller pour un malentenduquo.


Air : la fricassée


Rien n’est tel que d’s’expliquer !
On sent le cœur qui se soulage ;
Rien n’est [tel que d’s’expliquer,]
C’est sottise de se piquer.


Si quelque fois deux amants
Passent de mauvais moments,
Dans d’autres ils sont contents,
C’est comme après l’orage
On revoit le beau temps.
Rien n’est [tel que d’s’expliquer etc.]

Acte ii


Scène i

les filles reviennent, eugénie

chœur

Air : Mariez-vous

Voir la partition
Informations sur cet air

À présent, rassurez-vous
Vous n’avez plus rien à craindre,
On vous donne un tendre époux
Et vous n’êtes pas à plaindre.
Égayez, égayez, égayez-vous,
L’Emporté n’a rien à craindre.
Mariez[, mariez, mariez]-vous
Il est seul digne de vous.

Scène ii

les susdits, nicole accourant

nicole

Pour le coup, ma fille, tout est bâclé, la noce s’apprête ton père lui-même est allé commander le repas... comme j’allons nous rengorger ! Trédame ! Le fillot d’une duchesse qui va m’appeler sa ch’mere !


eugénie

Ah maman ! que nous sommes heureuse !


nicole

Quiens, ma fille, vois-tu stétalage ? V’la L’Emporté qui vient à nous tout plein de son amour.


Scène iii

les susdits : nicole, eugénie, l’emporté, pastrop, les garçons bouchers entrant en cérémonie, défilant sur une marche du \emph Huron et portant une peau de loup et de taureau avec la tête.

lemporte, à Eugénie

Air : Or écoutez, petits et grands

Voir la partition
Informations sur cet air

Les chers auteurs dé vos beaux jours
Approuvent enfin nos amours ;
Il n’est plus temps dé s’en défendre ;
Patagon mé choisit pour gendre
Mais, j’oubliais lé principal,
Un présent pour vous sans égal.
À Pastrop.

Avance, Pastrop...À Eugénie. Voilà, mademoiselle, mon compagnon, mon camarade, mon premier garçon que je vous présente. C’est un autre moi-même, un bon enfant : fort comme un Turc, hardi comme un lion... en un mot, c’est celui que j’estime le plus... après vous, s’entend. Je veux qu’il soit l’ami de la famille... Voici, de plus, une bête fameuse, un taureau furieux que j’ai vaincu à la joute à Poissy. Je vous en apporte la dépouille comme un hommage de mon amour et une preuve de mon courage. \did Aux bouchers. Allons, mes amis.


pastrop

Air : Carillon de Dunkerque

Voir la partition
Écouter (midi) Voir la partition Informations sur cet air

Chantez à perdre haleine
L’hymen qui nous enchaîne ;
Chantez ce jour heureux
Qui comble tous mes vœux.
chœurdesbouchers
Chantons [à perdre haleine
L’hymen qui nous enchaîne ;
Chantez ce jour heureux
Qui comble tous mes vœux.]
pastrop, aux femmes
suitairprec
Allez, vos ennemis
Par lui seront punis ;
Par la honte pressés
Ils seront renversés.
Vous prenez un luron
Qui n’entend pas raison,
À grands coups de gourdin
Il range les mutins.
chœur
Chantons [à perdre haleine
L’hymen qui nous enchaîne ;
Chantons ce jour heureux
Qui comble tous vos vœux.]
lemporte

En voila assez, mes enfants. À Eugénie. Venez ma fiancée, Patagon nous attend pour la cérémonie, allons au devant de lui.


Ils vont pour sortir, Lucas les arrête.

Scène iv

les susdits, lucas entre et les arrête

lucas

Air : Où allez vous, Monsieur l’abbé ?

Voir la partition
Informations sur cet air

Où allez-vous,
Pauvre époux ?
Vous croyez ces moments bien doux !
Mais un destin funeste...
lemporte
Eh bien !
lucas
Est le seul qui vous reste.
Vous m’entendez bien ?
nicole

Explique-toi donc mieux, messager de malheur.


lucas

Air : La pauvre bourbonnaise


Votre pauvre Eugénie
Cette fille chérie
Va vous être ravie
Autant vaut son trépas.
chœur
Ah, ah, ah, ah
lucas
On l’ôte de vos bras...
lemporte
Quoi donc ! Mon Eugénie !...
nicole
Quoi donc ! Ma fille chérie
Tu me serais ravie
On t’ôte de mes bras.
chœur
Ah, ah, ah, ah.
lemporte
Non ça ne sera pas.
lucas

Écoutez en quatre mots, voilà, de quoi il retourne : la bohémienne a promis de faire mettre la galiote à flot à condition qu’on lui donne une fille pour servante. Vot’ mari et les bateliers se sont engagés par


serment à la lui accorder, et c’est tout fin drès mademoiselle Eugénie que la sorcière a demandée.


les bouchers

Eugénie ! Non morbleu ! Nous ne le souffrirons pas.


pastrop

Air : Folies d’Espagne

Voir la partition
Informations sur cet air

Ne craignez pas qu’on puisse nous la prendre,
Nous veillerons sur elle et son époux ;
Pour conserver ses jours et les défendre,
Nous nous battrons et nous périrons tous.
lemporte
Malgré l’horreur d’une trame si noire
Osons encor braver le sort jaloux !
On est toujours certain de la victoire
Lorsque l’amour combat pour les époux.
nicole, aux genoux de L’Emporté

Air : Dans les gardes françaises


Pour une infortunée
J’embrassons vos genoux ;
Je n’lavions amenée
Que pour l’unir à vous.
Vous lui servirez d’père
Et d’époux en ces lieux !
Je l’vois à la colère
Qui brille dans vos yeux.
lemporte, se campant fièrement

Oui, sandis, rassurez-vous madame et sachez qué personne ici n’est fait pour mé couper l’herbe par-dessous le pied. Né craignez ni son père, ni les bateliers ni quelqu’un d’autre qu’il soit.


Rentrez chez bous et moi jé les attends dé pied ferme.


eugénie, s’en allant

Songez toujours qu’il est mon père.


Elle s’en va.
lemporte

Votre père ! Lui ! cela ne se peut pas...


Il vient ! Ouf, je trépigne de colère.


Scène v

l’emporté, patagon, bateliers

lemporte, à Patagon

Arrête !


patagon, à part

C’est L’Emporté !... Lui en aurait-t-on soufflé quelque chose ?


lemporte

Air : Mirliton

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Jé sais lé projet barbare
D’un père dénaturé ;
La fureur dé moi s’empare
Mais tiens toi pour assuré
Qué cé mirliton, mirliton, mirlitaine
Montrant son gourdin.
Va té mettre à la raison Le manuscrit porte souscrit et biffé : \guill Saura m’en faire raison. PB.
patagon

Jeune freluquet, tu me fais la nique, je crois. Sais-tu bien que je n’ai de compte à rendre à personne ! Que j’ai ici vingt patrons sous mes ordres et que toi-même tu me dois le respect !


lemporte

Le respect, vêlitre ! Je ne sais qui me tient... mais ta fille est à moi, tu me l’as promise et jarnidiou tu ne t’en dédiras pas, ou sinon


Air : Je veux être un chien


Jé ferai carillon
Brisérai ta maison
Et mettrai lé feu dans lé billage.
patagon

Air : J’avais cent francs

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Quel insolent !
Sais-tu que je m’offense,
Que ton impertinence
Recevra châtiment.
Quand je croyais
Quand je comptais
T’accorder Eugénie,
Alors je le voulais.
Mais franchement
En ce moment
Si j’ai quelqu’autre envie,
Adieu l’engagement.
lemporte

Est-ce à moi qué l’on parle ?


Air : Palsangué, Monsieur le curé


Palsangué Monsu Patagon
Abec cé ton dé monarque
Pensez-bous mé traiter sans façon
Commé les gens dé la barque ?

Air : Ma bonne mère


Barbare père
Crains ma colère,
Tu connaîtras
La vigueur dé mon bras.
patagon
Ah, téméraire
Que crois-tu faire ?
Dé tes discours
J’arrêterai lé cours
Tu joues ici de ton reste,
Peste !
Mais avant peu
Nous verrons beau jeu.
Duo
\quatre Barbare père etc. \quatre Ah, téméraire etc.
lemporte

Monstré que tu es ! Harpie dénaturée ! Tu fais venir ici ta fille sous le prétexte conjugal de la marier avecquè moi, et c’est pour la vendr’à une bohémienne. Ah Sandis ! Est-cé là le trait d’un père ! D’un honnête homme seulement ?


patagon

Insolent !


lemporte

Air : Le saint, craignant de pécher


Arrête encore jé n’ai rien
Qu’un seul mot à té dire
Et si tu me comprends bien
Cé seul mot doit suffire ;
Il faudra què ta fureur
Mé perce plutôt lé cœur
Que de m’enléver
Que dé m’arracher
Que dé mé priver
De mon Eugénie
Par moi si chérie.
Il s’en va.

Scène vi

patagon

patagon

Le sort en est jeté et c’est à ce fanfaron-là et à ses rodomontades que ma fille aura l’obligation d’être livrée plutôt. C’en est fait. À moi bateliers !


Ils entrent.

Scène vii

patagon, lucas, les bateliers

Arrêtez mes amis, n’avancez pas. J’ai encor des réflexions à faire... mais ma femme et ma fille ! Où sont-elles ? Ah ciel, les voilà... Il me semble les voir, les entendre... Est-il bien vrai mon petit papa, que vous voulez me livrer à une sorcière ? C’est ma fille qui dit ça. Hélas oui mon enfant. Comment oui, père barbare ! C’est ma femme qui riposte : Époux dénaturé, déchire plutôt mon sein... mais ma chère femme... Fi donc, Monsieur, c’est une action indigne... Laissez, laissez maman !... C’est ma fille qui reprend... Hélas mon cher père, s’il ne faut que mon sang... Ton sang ! Ah ma fille, plutôt le mien que la terre... Que le ciel... Que le tonnerre... Bon ! Me voilà tout juste au point où je voulais me sentir, vite profitons-en. Écoute, Lucas, voilà mon dernier mot. Va-t’en trouver Nicole, dis-lui


qu’elle profite du bon moment que tu me vois là. Remettez-vous en route pour Marly avec ma fille et faites si bien qu’on ne la revoie plus ici. Allez !


Lucas et les bateliers s’en vont.

Scène viii

patagon seul

patagon

Ah morbleu me voilà une fière épine hors du pied !


Air : Maudit amour, [raison sévère]


Ô chère enfant ! fille adorable
Que tant d’attraits me font chérir !
Pardonne-moi, je suis coupable,
Devine au moins mon repentir.
Et toi, Lutin, qui nous tourmente,
Tu ne voulais qu’une servante,
Fais un échange plus flatteur
Et prends-moi pour ton serviteur.
Il s’en va.

Scène ix

eugénie, ses femmes, lucas, bateliers dans la coulisse

Air : Aux armes, camarades

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Arrête, téméraire, arrête,
En quels lieux veux-tu guider ses pas ?
Arrête,
De nos mains tu n’échapperas pas.
eugénie, à Lucas

Mon cher ami, crois-moi, tu vas te faire assommer inutilement.


lucas

Ne craignez rien, allez je savons nous manier. Aux femmes. Vous autres, tenez-lui compagnie Le manuscrit porte biffé : \guill pendant que. PB, nous


allons jouer du bâtonnet.


Il sort.

Scène x

eugénie aux femmes

eugénie

Non, je n’ai que faire de vous ici non plus, moi. Allez-vous-en au secours de ma mère, moi je cède à mon sort, et puisqu’il faut servir, servons.


Les femmes sortent.

Scène xi

eugénie, l’emporté entre, tout échauffé, son gourdin à la main

lemporte

Eugénie, suibez-moi. Né craignez ni leurs cri ni leurs menaces. L’Emporté bous prend dessous sa sauvégarde, et cadédis, vous répond de tout.


eugénie

Hélas, mon père ! mon devoir !...


lemporte

Eh, sandis qué mé parlez bous de père ?


Oubliés-bous donc que nous sommes fiancésOubliés-bous donc que nous sommes fiancés Dans le manuscrit, cette phrase est précédée de \guill Que conte me faites-bous là biffé. PB ? Què le festin, la noce tout est prêt ; què les biolons même, ils sont commandés et què si bous bous ostinez commé bous faites, nous en serons infructueusément pour nos frais. ? Què le festin, la noce tout est prêt ; què les biolons même, ils sont commandés et què si bous bous ostinez commé bous faites, nous en serons infructueusément pour nos frais.


Air : Ah, madame Anroux

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Informations sur cet air

Ah mon pétit cœur !
Mon cher pétit cœur
Qué j’ai dé malheur
J’enrage, j’endêve !
Ah mon pétit cœur
Si l’on bous enlève
Je meurs dé douleur !
eugénie

J’en mourrai bien aussi car je ne vivais que pour vous, mais enfin à l’impossible nul n’est tenu.


Air :


Il faut du sort subir la loi suprême,
Mais en cédant, bravons du moins ses coups ;
Jusqu’au tombeau je dirai je vous aime
Convenez-en, c’est consolant pour vous.
lemporte, même air
Par ces détours croyez vous qu’on m’abuse ?
C’est par son cœur què juge un tendr’ amant ;
C’est vainement qu’on emploie la ruse
Jamais l’esprit n’impose au sentiment.
eugénie

Écoutez mon cher L’Emporté, il n’y a qu’un mot qui serve. Vous voyez bien que la barque ne peut démarrer sans le secours de la bohémienne. Vous ne pouvez arriver à Pontoise qu’au prix de ma liberté et puisqu’elle vous donnera occasion de vous signaler, je vous en fais de bon cœur le sacrifice... ainsi recevez mes derniers adieux !


Air : Adieu, donc [dame Françoise]

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Informations sur cet air

Adieu donc, c’est pour la vie
Mais soyez toujours constant.
Séparons-nous dans l’instant
N’oubliez pas qu’Eugénie
Vous aime bien tendrement.
Adieu donc, mon cher amant !
Adieu donc [, c’est pour la vie.]
lemporte

Même air


Quel est donc cé verbiage ?
Je n’y puis comprendre un mot !
Mé prenez-vous pour un sot
De mé tenir cé langage ?
À quoi mé sert votr’ amour
Si jé vous perds en cé jour ?
Duo
\sept Finissez cette folie
Et suivez un tendre amant.
Adieu donc, c’est pour la vie
Mais soyez toujours constant.
lemporte, la prenant par la main

Allons, venez mon Eugénie...


eugénie

Non, vous dis-je, laissez-moi. Pour qui me prenez-vous ? Sachez que je suis une fille bien élevée, incapable de désobéir à mon cher père, et que je me tuerais de ma main s’il le fallait plutôt que de vous avoir l’obligation de ma liberté.


lemporte

Sandis ! Si bous appelez céla de l’amour, Mademoiselle, je né m’y connais guère plus. Au démeurant, obéissez, puisqué bous y êtes si entêtée, mais capedebious, ne croyez pas què jé bous cède en extravagance, boilà ma cerbelle qui sé monte et ils n’ont tous qu’a bien sé ténir !


Air : Menuet des trompettes


Le plus haut possible.
Dans cé jour si fatal
À tous en général,
Jé vais donner le bal ;
Et cé bâton
À la raison,
Sans façon,
Va mettre tout le canton
Pis qu’un démon,
Qu’un dragon
La sorcière et Patagon,
Les valets de la maison,
Vont trembler et fuir à mon nom.
eugénie, s’égosillant pour finir l’air
Vous le prenez sur un haut ton !
lemporte

C’est lé ton des trompettes, Mademoiselle. Au surplus, bous voilà vien abertie. Jé né mé connais plus, jé né réponds plus dé rien, et si dans ce bacchanal les vateliers, la sorcière, tout le billage et votre père lui-même, reste sur lè carreau, c’est bous Madémoiselle, bous seule qui serez cause de ce beau chef d’œuvre, adioufias.


Il s’en va.

Scène xii

eugénie, nicole entre en désordre avec ses femmes

nicole

Viens mon enfant, viens. Si je ne pouvons t’emmener, je verrons du moins s’ils oseront t’arracher de mes bras.


eugénie

Mais ma mère, tout cela est inutile. Je n’ai pas résisté et refusé à mon amoureux, à mon fiancé, pour céder à ma mère peut-être. Je l’ai dit, je le redis encor, mon parti est pris, j’y suis butée. Je veux finir et je m’en vais trouver la bohémienne.


nicole

Comment, fille ingrate ! Crois-tu que je te laisserons partir comme ça ? Tu veux donc que je meurs auparavant ? eh bien v’la que c’en est fait. Tiens, regarde ce que t’y causes.


Elle s’évanouit dans les bras de ses femmes.
eugénie

Ô Ciel ! ma mère !... mais voilà un événement qui est bien heureux pour moi. Profitons de stévanouissement-là pour nous échapper... Vous autres, restez là pour la faire revenir.


Elle s’en va.

Scène xiii

nicole

nicole
On la soigne, elle revient a elle.

Ma fille ! ma fille !... Où donc est-elle ? La voilà partie... Ah, que j’ai donc mal fait de nous évanouir là quand j’aurions dû la retenir... mais dame aussi on n’est pas maîtresse de ça... Ces mouvements-là ça vous prend... et pis un peu pus un peu moins chacun y est sujet. C’est la sensibilité qui en décide, pas vrai mes enfants ?


airvide

Ah bon, quien, vlati pas encor que je cause là, à présent que je chantons même. Ce que c’est que de nous pourtant ? Comme on perd du temps ! Allons, allons nous en voir ce que tout ça devient ; vlaque ça commence à s’embrouiller, ah, vite faut dénouer tout ça. Aux femmes. À moi, vous autres.


Elle s’en va avec ses femmes.
Le théâtre change, représente le rivage comme à la première scène devant la cabane de la bohémienne. Le peuple est amassé. Les bateliers amènent Eugénie. La bohémienne la reçoit.

Scène xiv

la bohémienne

la bohémienne

Air : Ah, que j’aime mon


Vous m’amenez fort à propos
Votre Eugénie.
Je m’en vais terminer vos maux
En prononçant deux ou trois mots
De ma blanche magie.
Vous connaîtrez à mes propos
Ma sorcellerie.
Elle fait des gestes et des cercles avec sa baguette.

Scène xv

chœur de bateliers accourant

Yau scours, yau scours, yau scours !
la bohémienne
Quoi donc qui vous alarme ?
les bateliers
Yau scours, yau scours, yau scours
À vous j’avons recours.
Les bateliers qui sont sur le théâtre vont prendre leurs rames, leurs crocs, leurs avirons et se rangent autour de la bohémienne.

Scène xvi

[l’emporté, pastrop, eugénie, des bouchers, des bateliers]

L’Emporté entre suivi de Pastrop et de ses bouchers armés de gourdins et ils s’emparent d’Eugénie et menacent les bateliers qui se rangent en face.
chœurdesbouchers

Air : la confession


Pourquoi ce fracas ?
N’irritez pas
Notre colère.
Cessez vos efforts
Vous ne serez pas les plus forts.
les bateliers
Avançons, frappons ce téméraire
Vengeons la sorcière !
lesdeuxchœurs, ensemble
Pourquoi ce fracas ?
N’irritez pas
[Notre colère.
Cessez vos efforts
Vous ne serez pas les plus forts.]
Il se fait un choc entre les deux troupes. La bohémienne se sauve par le village. Pastrop la poursuit. Nicole entre avec Patagon.

Scène xvii

les susdits, nicole, patagon

nicole

Ah ma fille ! ah mon gendre...


lemporte

Né craignez rien, Madame. Jé suis ici et jé réponds dé tout.


Les bateliers font un mouvement, Nicole les retenant à genoux :

Miséricorde, arrêtez !


l’emporté et le chœur, ensemble
Ah n’avancez pas,
N’irritez pas
Notre colère.
Cessez vos efforts
Vous ne serez pas les plus forts.
Il se fait un second choc. Le ciel s’obscurcit. Le tonnerre se fait entendre, le tonnement, la peur et la pluie arrêtent les deux troupes. Le combat cesse après un instant d’orage, les nuages se dissipent, la lumière revient.

Scène xviii

les susdits, pastrop, patagon, le bailli avec un baromètre à la main et un calendrier

pastrop

Vive la joie, mes amis, voici monsieur le bailli qui vient de nous rendre le plus grand service.


le bailli

Oui mes enfants, j’ai été informé qu’une bohémienne avait voulu tromper monsieur Patagon et abuser de votre crédulité. Je viens de la faire mettre en prison et de la forcer à me découvrir tout le mystère. Cet almanach était son grimoire et le baromètre faisait toute sa magie. L’un nous annonce la nouvelle lune pour ce soir, l’autre marquait de la pluie, et voila sur quoi l’effrontée a fait vous promettre de l’eau et du vent. Ici la lune parait. Tenez, vous le voyez, déjà la lune paraît. La galiote sera bientôt à flot ; Eugénie est en liberté, tous vos vœux seront remplis et je veux moi-même assister à son mariage avec L’Emporté.


lemporte

Vivat ! voilà lé croissant. Sandis, c’est dé bon augure pour lé mariage.


nicole

Ah, monsieur le bailli, mon gendre, que je vous embrassions !


lemporte

Taupe, cadédis, eh nargue du présage !


patagon

Quel bonheur ! Allons mes amis puisque nous voilà d’accord, oublions tous nos débats, commençons par faire la noce et nous partirons demain matin. Aux bateliers. Vous, camarades, préparez tout pour le voyage.


Air : Une jeune batelière, du village de Touchamp


Le temps nous réconcilie,
Quel heureux événement !
Nous venons au dénouement
Sans l’effet de la magie !
Allons, allons passer l’eau
Entrons dans notre bateau.
chœur
Allons, allons [passer l’eau,
Entrons dans notre bateau.]
eugénie, à L’Emporté
Au cœur de ton Eugénie
L’amour fait l’enchantement
Et me rend à mon amant
Sans l’effet de la magie
Allons, allons [passer l’eau
Entrons dans notre bateau.]
chœur
Allons, allons [passer l’eau
Entrons dans notre bateau.]
nicole
C’est ce dieu qui dans la vie
Marque les heureux moments
Croyez plus aux sentiments
Qu’à l’effet de la magie
Allons, allons [passer l’eau
Entrons dans notre bateau].
chœur
Allons, allons [passer l’eau
Entrons dans notre bateau].
eugénie, au public
Messieurs, à cette folie
Accordez votre agrément ;
Faire votre amusement
C’est la plus sûre magie
Quand vous voudrez passer l’eau,
Venez à notre bateau.
chœur
Quand vous voudrez [passer l’eau
Venez à notre bateau] Un dernier couplet suivi d’une reprise du chœur est biffé : \guill L’Emporté : Pour nous voir voguer sur Seine / Revenez ici souvent ; / Car pour nous le meilleur vent / C’est celui qui vous amène : / Quand vous voudrez, etc. PB.

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