L'Ami à la mode ou Parodie d'Alcyone

Auteurs : Fuzelier (Louis)
Parodie de : Alcyone de La Motte et Marais
Date: 1719
Représentation : Non représentée
Source : ms. BnF, fr. 9333
Louis Fuzelier

L’Ami à la mode


Parodie d’Alcyone

Non jouée
en 1719
BnF ms. fr. 9333
definitacteur, chœur des marionnettes chœurdesmarionnettes

Acteurs


Ceix, hôtelier de Charenton
Alcyone, laitière de Bagnolet
Pelée, soldat de milice
Phorbas, joueur de marionnettes
Arlequin, garçon de cabaret
Pantalon, voyageur
La scène est à Charenton.

L’Ami à la mode

Le théâtre représente une hôtellerie.

Scène i

Pelée, Phorbas

phorbas, embrassant Pelée

Eh ! bonjour mon ami Pelée !


pelée

Chut !


phorbas

Qui diable aurait cru vous rencontrer chez le compère Ceix, ce débonnaire hôtelier de Charenton ?


pelée

Motus !


phorbas

Comment, motus, êtes-vous ici incognito  ? Vous êtes un gaillard qui ne pouvez vivre longtemps bien avec la justice ; en auriez-vous essuyé quelque vespérie ? Car la justice se mêle un peu de votre conduite aussi bien que de la mienne ; elle est pour nous comme une espèce de mère et sûrement Le touchant à l’épaule. vous et moi nous ne sommes pas ses enfants gâtés.


pelée

Ouf...


phorbas

Ô çà, contez-moi un peu ce qui vous a conduit des rivages de la Garonne, où vous étiez involontaire dans la milice, sur les rives de la Seine, où moi je suis à présent joueur de marionnettes pour éviter l’oisiveté.


pelée

Comment, l’illustre Phorbas est joueur de marionnettes ?


phorbas

Eh ! pourquoi non ? Est-il rien qui marque plus l’étendue de l’esprit humain que la profession d’un joueur de marionnettes ? Il faut qu’il soit à la fois décorateur, acteur, auteur et moucheur de chandelles.


pelée

Vous avez quitté une bonne commission de rat de cave...


phorbas

Vous avez déserté de votre régiment.


pelée

Vous méprisez bien le vin ?


phorbas

Vous méprisez bien vos oreilles, vous ! Mais j’aperçois le compère Ceix, il faut que je l’embrasse.


Scène ii

Ceix, Pelée, Phorbas

ceix

Eh ! Bonjour compère Phorbas.


phorbas

Eh ! bonjour compère Ceix ! comment va le négoce ? S’ennivre-t-on bien à Charenton ?


ceix

Oui, dieu merci, le Carême a été bon.


phorbas

Le Carême n’est pourtant pas la saison des matelotes ; tout le monde est malade.


ceix

Cela est vrai, et tous ces malades-là vont s’aliter aux environs de Paris.


phorbas

Et Charenton n’est pas la plus mauvais infirmerie de la banlieue. On y débite les meilleurs sirops de Bourgogne et de Champagne ; mais compère dites-moi un peu à qui en a notre ami Pelée. Il a l’air d’un...


pelée, chante
Arrête
Apprends ce que je fais ici
Banni de ma patrie et teint du sang d’un frère.
phorbas

Comment, vous prétendez me conter vos affaires en chantant ! Ma foi si vous me lancez des sarabandes, je vous décocherai, moi, des vaudevilles, j’ai acheté le sottisier de défunt l’Opéra-Comique.


ceix

Mon très cher ami Pelée a eu l’indiscrétion de jeter


en badinant un gros pavé a la tête de son frère aîné, on ne sait s’il en reviendra.


phorbas

Le petit badin ! Un gros pavé !


pelée

Ce ne sera rien, mon frère se porte assez bien, on le trépane seulement.


phorbas

On le trépane seulement ! L’opération est amusante ?


ceix

Mon cher ami Pelée après ce petit accident s’est sauvé de son pays, je l’ai reçu chez moi et, pour l’y garder avec plus de sûreté, je viens de renvoyer à ma guinguette de la Courtille deux de mes garçons qui le connaissaient. Je n’ai réservé qu’un petit étranger appelé Arlequin.


phorbas

Voila ce qui s’appelle un ami capable de donner de quinze et bisque à Oreste et Pylade.


ceix

Je suis charmé, compère Phorbas, de vous avoir


ici. Je vais me marier, je vous prie de ma noce ; vous connaissez ma future, c’est Alcyone.


phorbas

Tête bleu, c’est un des bons partis de Charenton que cette Alcyone la grosse laitière, simple créature, corsage épais et robuste, air de santé et d’innocence, sans malice, on ne la prendrait jamais pour une fille.


pelée, à part

Hélas !


ceix

Compère ! Au moins vous nous donnerez les marionnettes ? Alcyone ne les a jamais vues.


phorbas

Elle verra un spectacle des plus brillants, j’ai primé à la foire Saint-Germain dernière ; je vous réponds qu’on n’y a pas regretté l’Opéra-Comique et que j’ai fait bouquer l’opéra sérieux. Il est fort processif, Monsieur, l’opéra sérieux. Savez-vous qu’il a voulu plaider Polichinelle ?


ceix

Plaider Polichinelle !


phorbas

Oui, plaider Polichinelle.


ceix

Et sur quoi ?


phorbas

Polichinelle s’avisa de chanter, cela déplut à l’opéra qui prétend avoir hypothèque sur tous les gosiers du royaume et qui a la rage de chanter tout seul quoiqu’il soit souvent enrhumé.


ceix

Compère, entretenez mon chez ami Pelée, Alcyone m’attend et j’y cours.


Scène iii

Pelée, Phorbas

pelée, chante
Trop malheureux Pelée, hélas ! quelle est ta peine ?
phorbas, à part

Son accès musical le tient ; faisons la contrepartie.




Air : À la façon de Barbari

Voir la partition
Informations sur cet air

J’ai démêlé votre embarras,
Oui, l’amour vous talonne
Fripon, vous soupirez tout bas,
Quand on nomme Alcyone.
Vous convoitez cette Dondon
La faridondaine la faridon [don]
De Ceix vous êtes l’ami, biribi
À la façon de Barbari mon ami.


Ècoutez mon pauvre Pelée, je suis tout à vous, quoique je ne sache pas trop d’où vient notre connaissance. Je vous servirai contre le compère Ceix, je sais jouer des gobelets, je lui escamoterai Alcyone.


pelée, chante
Non, ne me rends point plus coupable,
Non, laisse-moi mourir...
phorbas

Ma foi, si vous voulez mourir, la justice pourrait bien vous rendre ce petit service-là... Allons, ferme, point de sentiments en bémol ; laissez-moi conduire votre barque... Je passe pour sorcier dans l’esprit de Ceix et d’Alcyone, ce sont deux imbéciles qui croient tout ce qu’on leur dit. Je veux vous donner gratis un plat de mon métier... Je vais d’abord engager Ceix à faire un tour à Paris, je lui ferai croire que j’ai là un correspondant


en diablerie qui lui apprendra sa bonne aventure qu’il m’a prié tantôt de lui dire, car il se fie à moi sans savoir pourquoi, le bonhomme.


pelée

Mais puisque Ceix vous prend pour un fameux devin et qu’il a recours à vous, il sera surpris que vous l’envoyiez à un autre.


phorbas

Ne vous embarrassez pas de cela ; j’ai des prétextes à lui fournir qui ne valent pas grand chose à la vérité mais avec un sot tous les prétextes sont bons.


pelée

Je m’abandonne à vos conseils.


phorbas

Je vous promets que dans un quart d’heure Ceix sera sur le coche d’Auxerre qui vient s’arrêter ici selon sa coutume Il rêve un moment.Quand le compère sera parti, nous sonderons le cœur d’Alcyone par une fourberie que je viens d’imaginer. J’ai ici mes acteurs et mes marionnettes. Cela suffira pour tromper une laitière, et une laitière niaise encore. Venez, comptez sur moi, j’écarterai


Ceix, j’affligerai Alcyone et vous la consolerez, vous ; je ne sais pourtant si vous êtes un bon consolateur.


Scène iv

italienne Arlequin seul, en garçon de cabaret

arlequin

Ô ! quelle fortune pour Arlequin ! Mon maître a congédié tous mes camarades les garçons de cabaret ; je suis resté seul, ainsi j’aurai seul tous les profits que je partageais avec eux, je boirai seul le reste de toutes les pintes, je mangerai seul les restes de toutes les tables, les restes de potage, les restes de poularde, les restes de boudin, les restes de fromage... Oh ! quel festin ! Il devient triste. Oui mais... étant seul si je bois les restes de toutes les pintes j’aurai la peine de les aller tirer toutes ; si je mange les restes de tous les plats, j’aurai la peine de les porter tous sur les tables, ohimé ! il faudra que j’aie un commis pour faire le travail et moi j’aurai la fatigue de manger ; j’ai servi un gros maltôtier qui en usait ainsi.


Scène v

italienne Arlequin, Pantalon en voyageur

On peut ôter ces deux scènes.
Le docteur demande du vin promptement ; Arlequin et lui se reconnaissent. Le docteur lui dit qu’il est du coche d’Auxerre qui va partir incessamment, ainsi qu’il se dépêche de lui donner une chopine de vin pour ne lui pas faire manquer sa voiture, et paye même d’avance pour n’avoir rien qui le retarde quand il aura bu... Arlequin va chercher la chopine, pendant ce temps-là le docteur se met à chanter le commencement de cet air français.
Lorsque je suis malade
D’abord je bois rasade.
Je bois, je suis guéri,
Là, on boit.
Biribi lirili,
Piripi piriti,
Je bois, je suis guéri.
didascalie, Arlequin revient tenant une chopine et entendant le docteur s’écrie : Ah ! la belle chanson, de grâce, apprenez-la moi, mon maître va se marier, je la chanterai à sa noce... le docteur dit qu’il n’a

pas le temps, Arlequin le presse, le docteur lui apprend la chanson qu’Arlequin redit exactement jusqu’au premier je bois, quand il a bu, il ne peut achever la chanson, ce qui donne lieu a des impatiences du docteur qu’Arlequin fait recommencer inutilement ; le docteur veut prendre sa chopine, Arlequin dit qu’il ne la donnera pas qu’il ne sache la chanson, et vide ainsi seul la chopine par les répétitions, on crie dans la coulisse : Au coche, au coche. Le docteur dit rendez-moi donc mon argent, Arlequin lui répond la chopine n’est-elle pas bue ? et le chasse à coups de bâton en criant : Au coche, au coche.


Scène vi

Ceix, Alcyone elle tient un fromage à la crême, Phorbas, Pelée

alcyone
Quoi, les soupirs et les pleurs d’Alcyone
Ne pourront-ils point vous arrêter ?
Quoi vous partez !...
ceix
Ah ! L’amour me l’ordonne.
alcyone, déclamant à part, tendrement
Où diable va-t-il donc trotter ?
phorbas

Eh ! Mais chantez donc madame Alcyone !


alcyone

Ça mon, je suis bien en humeur de chanter, on me plante là pour reverdir dans un moment où je m’attendais ah, ah, ah, ah.


Elle pleure.
ceix

Adieu ma chère Alcyone, vous serez cause que je manquerai le coche.


alcyone

Vous serez cause vous que mon lait tournera, je vous apportais ce fromage à la crème, échantillon de celui de notre noce, mais hélas !


Vous partez donc cruel ? Dieux ! Je frémis je tremble !
Est-ce ainsi qu’à mes pleurs s’attendrit un époux ?
Laissez-moi par pitié m’embarquer avec vous.
Mon paquet est tout fait, allons au coche ensemble.
phorbas, à Alcyone

Il faut s’il vous plaît que vous gardiez la maison, cela est nécessaire Bas à Ceix. pour votre dessein


Bas à Pelée. et pour le nôtre.
ceix, à Pelée

Approche cher ami, tu vois qu’un sort barbare de l’objet de mes vœux aujourd’hui me sépare, je confie en tes mains ce dépôt précieux...


phorbas

Oh ! Nous garderons ce dépôt-là comme un notaire. Bas. Nous le ferons valoir.


alcyone, à Ceix
Vous me désespérez. Ô funestes adieux !
ceix, à Pelée
Ami, console ce que j’aime.
alcyone
Vous m’abandonnez ?
ceix
Dans ces lieux,
Je vous laisse un autre moi-même.
phorbas

Oh ! Cela est vrai, il a toutes les envies du monde de vous ressembler bien exactement.


alcyone

Un époux, quitter sa future le jour de ses fiançailles.


phorbas

Bon, bon, je connais un Ceix qui quitta sa femme le jour de ses noces.


alcyone

N’avez-vous rien de plus pressé que d’aller à Paris ?


phorbas

Tous les Ceix sont comme cela, ils se mettent en voyage quand ils ont de la besogne chez eux.


ceix, à Alcyone

Adieu, pour la dernière fois, ayez bien soin du logis, veillez un peu sur mon vin.


phorbas, chante
Et surtout prenez bien garde
À votre cotillon.
Ceix, Alcyone et Pelée s’embrassent tour à tour, et Phorbas dit : voilà des adieux, cela !

Scène vii

Alcyone, Pelée, Phorbas

alcyone

Il fuit, il craint mes pleurs ; ah ! cher époux arrêtez ! Ciel ! Il ne m’entend plus, le cocher fend les eaux...


Elle s’évanouit.
phorbas

Bon, elle est évanouie ? Profitons de ce moment pour faire jouer nos marionnettes, elles sont déjà disposées. Allons donner mes derniers ordres, venez.


pelée, chante
Que vois-je ? De ses sens elle a perdu l’usage !
phorbas

À l’autre ! Ne voulez-vous pas lui chanter votre amour tandis qu’elle n’entend rien ? Nous ne sommes pas ici à l’Opéra, où les amants prennent leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie.


Scène viii

italienne

Arlequin arrive et, voyant la maîtresse de son maître évanouie, il fait l’empressé et se lamente disant qu’il va chercher promptement du secours, mais apercevant le fromage à terre, il le ramasse et le mange tranquillement assis auprès d’Alcyone, à la fin, il l’en barbouille et dit : Cela la fera peut-être revenir, je ne sais rien de si bon que le fromage pour les évanouissements. Mais voyant qu’elle ne revient pas et qu’il n’y a plus rien à manger, il se met à crier : Au secours  !

Scène ix

Phorbas, Pelée, Arlequin, Alcyone évanouie

phorbas, à part, à Pelée

Il faut garder ce gueulard-ci, il pourrait nous interrompre. À Arlequin. Allons, coquin, allez à la cuisine.


arlequin

Vous n’avez qu’à commander.


Arlequin sort.
phorbas, regardant Alcyone

Elle n’est pas encore revenue, tant mieux. L’évanouissement d’une femme qui perd son mari n’a jamais de mauvaises suites ; vous monsieur Pelée, allez vous embusquer dans ce coin-là ! Je vous avertirai quand il sera temps de parler ; j’ai disposé mes acteurs et mes marionnettes pour contrefaire les songes, nous ne disposons pas du dieu Morphée à notre fantaisie sur nos petits théâtres, mais la pâmoison de notre Alcyone vaut bien un assoupissement. La bonne fille


croira rêver, vous savez que ce sexe ajoute foi aux songes... Mais ne perdons point de temps, allez vous poster ; vous allez voir le coche d’Auxerre agité sur les ondes de la seine, vous entendrez un chœur de marchands de bœufs et de nourrices ; c’est savant tintamarre ! Allons qu’on tire le rideau !


Scène x

Alcyone évanouie, Pelée caché, Phorbas

On lève un rideau et on voit paraître un théâtre de marionnettes qui représente la Seine agitée et le coche d’Auxerre chargé de voyageurs, de tonneaux, de sacs et de paniers de volailles. On joue la tempête d’Alcyone.
chœurdesmarionnettes

Air : Adieu paniers, vendanges sont faites

Voir la partition
Informations sur cet air

Le coche vogue par courbettes
Rien ne peut plus nous secourir.
Malheureux nous allons périr,
Adieu paniers, vendanges sont faites.\indicreprmus On répète deux ou trois fois ce dernier vers, entrecoupé de symphonie.
alcyone, revenant à elle
Elle aperçoit une marionnette vêtue comme Ceix qui se noie.

Quel carillon ! Que vois-je ? Où suis-je ? Ah ! Mon cher Ceix se noie ! Au secours ! Au secours !


phorbas, à la cantonade

Qu’on baisse le rideau... À Pelée. et vous montrez-vous, allez au secours, voilà le moment favorable pour faire votre déclaration.


Scène xi

Pelée, Alcyone, Phorbas

pelée

Qu’avez-vous belle Alcyone ? Quel triste songe avez-vous fait ?


alcyone, effrayé

Oh ! Ce n’est point un songe ? Mon cher Ceix est noyé... Je l’ai vu... Qu’il était diminué !


phorbas

Oh ! Dame, quand on meurt, cela maigrit bien !


alcyone, à Pelée

Mais je connais aux pleurs que je vous vois répandre que vous sentez le coup dont mon cœur a frémi. Quand je perds l’amant le plus tendre vous perdez le plus tendre ami.


pelée

Hélas !


alcyone

Par mille soins il vous l’a fait connaître, de son hôtellerie il vous laissait le maître, il m’a même en passant confiée en vos mains, nous partagions son cœur.


pelée, chante
Reproches inhumains,
Je sens à chaque mot que je ne suis qu’un traître.
alcyone

Vous, un traître ?


phorbas

Je vous jure qu’il n’est qu’un sot...Bas à Pelée. Peste de l’animal ! N’implorez-vous le secours de mes marionnettes et ne me faites-vous noyer un coche que pour jouer un rôle de poule mouillée !


alcyone

Vous, un traître !


pelée, à Alcyone

Oui, je suis un traître, un fripon, un coquin, un maraud et Monsieur Phorbas aussi.


phorbas, à part

Voilà une sincérité bien placée, peste de


l’imbécile qui est gascon et qui a des remords !


pelée, chante
Apprenez un criminel amour,
Malgré moi, vos appas avaient séduit mon âme
Et malgré moi Phorbas a servi cette flamme.
phorbas

Air : Jean, ce sont vos rats

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Informations sur cet air

Pelée a des rats
Et vous les voyez bien, Madame,
Pelée a des rats
Non, non, non, ne l’écoutez pas.

Quelle chienne de scène faite-vous donc là ? Il n’y a pas le sens commun.


alcyone

Dieux ! Que viens-je d’entendre ? Pelée trahir Ceix ! voilà de nos amis à la mode.


phorbas

Cette mode-là a commencé dès le déluge.


pelée, chante
Vengez-vous, punissez de coupables transports,
Vengez une amitié trop tendre,
Délivrez-moi de mes remords
En prose.

De grâce, tuez-moi, belle Alcyone.


Lui présentant son épée.
phorbas

Oui, égorgez ce pauvre petit poulet qui n’a pas la force de se couper le cou lui-même.


alcyone, arrachant l’épée de Pelée

Eh bien ! Si vous m’aimez, ma mort va vous punir !


phorbas, l’arrêtant, chante
Turlututu rengaine rengaine [rengaine
Turlututu rengaine, rengaine ton récit.]

Scène xii

Alcyone, Pelée, Phorbas, Arlequin

arlequin

Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche !


alcyone, épouvantée

Quoi ?


arlequin

Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche ! J’étais allé sur le bord de la rivière chercher ma blanchisseuse. J’ai vu... j’ai vu... Hélas mon pauvre maître ! Hélas le pauvre coche !


alcyone

Ah ! Tu me tues, achève !


arlequin

Le coche allait tranquillement son chemin ; mon maître rêvait tranquillement assis sur un tonneau, quand un brutal de coche qui venait de Paris les a rencontrés a deux pas d’ici et leur a donné en passant un coup de coude... Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche !


alcyone

Voilà donc mon rêve... O ciel ! Qu’est devenu mon cher Ceix ?


phorbas, bas à Pelée

La peste ! Aurais-je prophétisé ?


alcyone, à Arlequin

Réponds donc, qu’est devenu mon cher Ceix ?


arlequin

Sa corde a cassé, son mât s’est brisé.


phorbas

Que veux-tu donc dire ? La corde et le mât de Ceix ?


arlequin

Je parlais du coche !


alcyone

Et moi, je te parle de mon cher Ceix.


arlequin

Il s’est fait une ouverture de trois pieds au moins... Le menuisier y travaille actuellement.


pelée

Le menuisier panse Ceix !


arlequin

Non, il panse le coche. Savez-vous bien monsieur Pelée que si vous vous moquez de moi... !


alcyone

Dis-moi seulement où est mon cher Ceix ? Où l’as-tu laissé ?


arlequin

Je l’ai laissé dans la rivière.


alcyone

Ah ! Courons chercher le corps de mon cher Ceix.


phorbas

Oui, ne vous amusez pas à faire son oraison funèbre, cela ne passe que


dans une tragédie en musique.


alcyone

Ciel ! Que vois-je ? C’est lui !


Scène xiii

Arlequin, Alcyone, Pelée, Phorbas, Ceix que deux paysans apportent à moitié déshabillé et tout mouillé

alcyone, le touchant

Voilà mon cher mari ! Qu’il est flasque ! Qu’il est froid ! Dieux cruels ! Est[-ce] ainsi qu’il fallait me le rendre ? Tôt de l’eau de vie... du ratafia, je crois qu’il n’est pas mort. Arlequin court chercher du ratafia. Cours, Arlequin, cours !


Scène xiv

Ceix évanoui, Phorbas, Pelée, Alcyone

phorbas, bas, à Pelée qui veut s’en aller

Ne vous en allez pas ! N’ajoutez pas cette sottise-là à toutes celles que vous venez de faire ! Feignez de l’empressement auprès de Ceix, s’il en revient et laissez lui épouser Alcyone ; cela ne nuira pas à votre amour !


pelée, embrassant Ceix

Ah ! Mon cher ami !


phorbas, à Ceix, criant

Monsieur Ceix, m’entendez-vous ? Ne vous avisez pas de mourir ! Nous n’avons pas ici de Neptune à point nommé pour vous ressusciter et vous régaler d’un nid d’Alcyons sur les bords de la Seine, vous ne pourriez accabler que le goujon, ne m’entendez-vous pas ?


Scène xv

Les mêmes acteurs, Arlequin apportant une bouteille de ratafia.

didascalie, Ils environnent tous Ceix et le soutiennent, on verse du ratafia dans un petit verre, Arlequin qui soutient la tête de son maître fait si bien qu’il

boit pour lui, ce jeu se répète deux ou trois fois. Ceix soupire.


alcyone

Il soupire ! Il n’est pas mort !


arlequin

C’est l’effet du ratafia, il est excellent.


phorbas, bas, à Pelée

Faites bonne contenance !Bas, à Alcyone. Ne parlez de rien à Ceix dans l’état où il est, Pelée vous promer qu’il sera plus sage quand vous serez mariée.


Ceix se relève et tout le monde l’embrasse à la fois, Alcyone disant : Ah, mon cher époux !, Pelée disant : Ah, mon cher ami !, Arlequin disant : Ah, mon cher maître !, et Phorbas disant : Ah, mon cher compère !.
ceix, se secouant

J’ai diablement bu d’eau.


arlequin

Et du ratafia !


phorbas

Nous avons tâché de désennuyer votre future pendant votre absence... Allez, vous avez un ami bien chaud dans Monsieur Pelée.


arlequin

Et Monsieur Pelée a un ami bien humide dans mon maître.


phorbas

Croyez-moi ! Je vois venir les gens du coche qui se réjouissent de n’être pas noyez... Réjouis[sons]-nous nous autres de ce qu’ils se réjouissent ! Vous, Monsieur Ceix, épousez au plus tôt Alcyone, vous Monsieur Pelée, mariez-vous le plus tard que vous pourrez, souvenez-vous qu’une égyptienne de mes amies vous a prédit que si jamais vous vous mettiez en ménage, il naîtrait de vous un fils que son parain nommerait Achille, que ce fils-là vaudrait mieux que son père, qu’il ne deserterait pas dans la milice et qu’il tiendrait mieux sa place que vous dans les gazettes et dans le Mercure Galand.


ceix

J’entends mes camarades de bain, apparement, ils n’ont pas été si bien saussés que moi, je crois que je ne ferai pas mal d’aller brûler un fagot.


phorbas

Fi donc, un fagot ! Il serait beau que le héros d’un divertissement allât se chauffer tandis que la fête se fait pour lui. Non, mort bleu, il faut qu’il y assiste en habits trempés et c’est du moins ainsi qu’en usent en pareil cas les Ceix chantants.


ceix

Mais l’eau me dégoutte partout !


phorbas

Eh bien ! Dansez, pour vous sécher.


Scène xvi

Les mêmes acteurs, troupe des gens du coche d’Auxerre et des marinier, deux nourrices

On danse.
ceix

Ma foi, je me morfonds ici, mon cher Pelée. Tiens compagnie à ma petite femme.


alcyone

Souffrez que je vous suive.


ceix

Viens si tu veux, je vais changer de chemise.


alcyone

Nous ne sommes pas encore tout à fait mariés, je ne dois point voir cela.


Le divertissement continue et finit par le vaudeville.
pelée, chante à l’oreille d’Alcyone
Quel plaisir ! Quel heureux destin
D’être ami d’un marchand de vin
Qui se marie à fraîche jouvencelle !
Lorsqu’on descend à la cave avec elle
Sans qu’il souffle le moindre vent
La belle voit souvent
S’éteindre la chandelle.
On danse. Après la première danse, Ceix s’en va en disant
vaudeville
À présent l’ami d’un époux
N’est pas inutile à sa femme ;
Il quitte monsieur pour madame
Sans inspirer de soins jaloux.
Rien n’est si commode
Rien n’est si joli
Qu’un bon ami
À la mode
Quand monsieur l’époux est parti
Pour faire quelque long voyage
Tout se passe dans son ménage
Comme s’il n’était point sorti.
Rien n’est si commode
Rien n’est si joli
Qu’un bon ami
À la mode
Pour lui toujours sur le métier
Il a quelque fête nouvelle
À sa femme avec même zèle
Il se donne aussi tout entier.
Rien n’est si commode
Rien n’est si joli
Qu’un bon ami
À la mode
Il le prône dans son quartier
Incessamment il le couronne
Lazzi des cornes.
Souvent tout son bien il lui donne
Et plus souvent un héritier.
Rien n’est si commode
Rien n’est si joli
Qu’un bon ami
À la Mode
Arlequin aux spectateurs.
La trouvez-vous à votre goût
Notre comique fricassée ?
Vous paraît-elle assez salée ?
Répondez donc Messieurs
Eh bien ! Allez chanter partout
Rien n’est si commode
Rien n’est si joli
Qu’un pot pourri
C’est la mode.
Fin

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