La Fille mal gardée ou le Pédant amoureux

Auteurs : Favart (Marie-Justine-Benoîte)
Lourdet de Santerre (Jean-Baptiste)
Parodie de : Les Fêtes de Thalie de La Font et Mouret
Date: 4 mars 1758
Représentation : 4 mars 1758 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Théâtre de M. Favart, Paris, Duchesne, 1763, t. V
Remarques :
Parodie de l'entrée La Provençale.
Charles-Simon Favart

La Fille mal gardée


Le Pédant amoureux
Parodie de la Provençale
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
Le 4 mars 1758
Théâtre de M. Favart, t.5, Paris, Duchesne, 1763

Acteurs


Le Magister, tuteur de Nicolette
Nicolette
Madame Bobinette, gouvernante du Magister
Lindor, amant de Nicolette

La Fille mal gardée


Scène i

Le Magister

ariette, n.1
D’un trait vainqueur
L’amour me blesse,
Le plus grand cœur
A sa faiblesse.
Le fier César,
En idolâtre,
De Cléopâtre
Suivait le char.
Hercule file,bis
Le brave Achille
Pour Briséïs
Verse des larmes.
Le Dieu des armes
Aime Cypris.
Et moi, grave Magister,
Magis, magis, magis, ter,
Je brûle pour Nicolette,
Je gémis de ma défaite
Et je cède sans effort.
Omnia vincit amor.

Oui, tous les grands hommes ont aimé, Oui, tous les grands hommes ont aimé, \emph et nos cedamus amori..


Scène ii

Madame Bobinette, le Magister

madame bobinette

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

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Informations sur cet air

Quel lutin si tôt vous éveille ?
Où courez-vous toute la nuit ?
le magister
Je crois, d’abord que je sommeille,
Voir Nicolette qui s’enfuit.

C’en est fait, ma chère Madame Bobinette, il n’y a plus de repos pour moi.


madame bobinette

Seigneur Pancrace, tout éveillé que vous soyez, il me paraît que Nicolette l’est encore davantage.


ariette, n.2
La garde d’une fille
Jeune, vive et gentille
Cause un grand embarras ;
Un jaloux ne vit pas.
À tout prêtant l’oreille,
Il s’inquiète, il veille,
Sans cesse il vient, il va :
Qui va là ? Qui va là ?
Un geste, une parole,
Une mouche qui vole
Lui trouble la cervelle.
Il est en sentinelle,
Et quand ce loup-garou
Est à la découverte,
L’amour bien plus alerte
Attrape le vieux fou.\fin
Un geste, une parole,\indicreprmus au mot fin.

Voilà ce que c’est que d’aimer une Jeunesse, au lieu d’avoir un attachement solide et raisonnable.


le magister

Je vous entends, mon aimable Gouvernante ; mais, Je vous entends, mon aimable Gouvernante ; mais, \emph necessitas non habet legem. Nicolette est une petite orpheline qui m’a été confiée.. Nicolette est une petite orpheline qui m’a été confiée.


madame bobinette

Je le sais.


le magister

Elle a quelque bien dont il faudrait rendre compte.


madame bobinette

Cela est juste.


le magister

Il s’est un peu embrouillé avec le mien.


madame bobinette

Rien de plus naturel.


le magister

Et pour éviter l’embarras du calcul, je me vois dans la nécessité de l’épouser.


madame bobinette

Vous avez raison.


le magister

Je dois redoubler de vigilance, de crainte que cette jolie proie ne m’échappe.


madame bobinette, à part

Le vieux renard !


le magister

Je suis dans les plus grandes inquiétudes.


madame bobinette

Je le crois.


le magister
ariette, n.3
Au bord de l’eau, sur le soir,
Lorsque le temps est bien noir,
J’entends une voix qui chante :
Venez, venez beauté charmante,
St, st, st, st, je suis au long du mur.
Venez, venez beauté charmante,
Le hibou dort, l’instant est sûr.
madame bobinette

Il y a à parier que c’est un compliment que l’on vous fait ; mais sur qui vos soupçons peuvent-ils tomber ? depuis que Nicolette est en âge de plaire, vous avez renvoyé tous vos écoliers ; vous ne donnez plus de leçons qu’en ville, et personne ne vient ici qui ne soit du genre féminin. À part. Cela commence beaucoup à m’ennuyer.


le magister

Je soupçonne tout le monde, et principalement ce petit fripon de Lindor, ce jeune étudiant en droit, qui venait ici sous prétexte d’apprendre le grec.


madame bobinette

Et qui voulait apprendre à parler français à Nicolette.


le magister

Je l’ai bien vite congédié.


madame bobinette

Il était plus Grec que vous.


le magister

C’est lui qui a commencé à donner l’éveil à ma pupille ; depuis ce temps, elle est inquiète ; le moindre bruit fixe son attention.


ariette, n.4
Quand une fille a l’esprit curieux,
Son cœur s’entend avec ses yeux.bis
Tu sais que ma maisonnette
Tient aux murs de la Guinguette.
Les dimanches, Nicolette
Y prête l’oreille, et guette ;
Elle écoute des chansons,
Elle hausse les talons.
Ses yeux alors font leur rôle.
Je ne sais pas ce qu’elle voit,
Elle se mord le bout du doigt
En s’écriant : Ah ! Que c’est drôle !
Quand une fille a l’esprit curieux,
Son cœur s’entend avec ses yeux.bis
madame bobinette

Cela ne doit pas vous étonner ; le plaisir est pour cet âge, ce qu’un joli chat est pour une jeune chatte.


Air : Lorsque le plaisir se présente


Quand un beau minet se présente,
Une chatte miaule après lui.
Plus elle a ressenti d’ennui,
Plus elle est vive et sémillante.
Quand un beau, etc.
le magister

Air : De tous les Capucins du monde

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Informations sur cet air

Je prétends que le mariage
Ce soir avec elle m’engage.
Et pour en bien goûter les fruits,
Et me voir sûr de cette belle,
Je passerai toutes les nuits
À me poster en sentinelle.
madame bobinette

Croyez-moi, il vaut mieux que ce soit moi qui fasse la garde.


le magister

Air : M. de Catinat

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Informations sur cet air

Pourrais-je sans danger me confier à toi ?
madame bobinette
Oui, oui, mon intérêt vous répond de ma foi.
Des galants qui viendront demander de l’emploi,
J’aurai grand soin qu’aucun n’ait affaire qu’à moi.
le magister

Je vais y mettre ordre.


madame bobinette

En attendant, je vous conseille, pour ne point effaroucher Nicolette, de vous rendre aimable à ses yeux ; mais c’est là le plus difficile.


le magister

Comment, le plus difficile ?


madame bobinette

Par exemple, puisque vous n’avez plus ici d’écoliers, pourquoi garder à la maison cet attirail pédantesque ?


le magister

À l’exemple de Denis de Syracuse, j’aime à conserver les attributs du despotisme ; il est bon de se faire respecter ; je ne veux point être de ces maris dont la complaisance tourne toujours à leur désavantage. Nicolette est encore un enfant ; c’est un tendre arbrisseau que je veux ployer à ma fantaisie, et je suis déjà parvenu à disposer son esprit à recevoir...


madame bobinette

Vous le croyez ?


le magister

Sans doute. Par exemple, quoiqu’elle soit jolie au superlatif, je l’ai persuadée qu’elle est d’une laideur extrême.


madame bobinette

Paroles perdues. Vous m’en diriez autant, que je ne vous croirais pas ; on sait ce qu’on vaut.


le magister

Paix, elle vient. Allons examiner ce qu’il faut faire à notre jardin pour mettre cette jeune rose à l’abri des atteintes de ces petits frelons amoureux, plus dangereux pour la vertu des femmes que les insectes ne le sont pour les fleurs.


Scène iii

Nicolette seule

nicolette
ariette, n.5
Depuis que j’ai vu Lindor,
La nature est plus brillante :
Tout m’anime, tout m’enchante
Et mon cœur a pris l’essor.
Quand l’oiseau sur la charmille
En chantant vole ou sautille,
Il est moins joyeux que moi.
Papillon, quand je te vois
Caresser la fleur nouvelle,
Mon cœur bat comme ton aile,
Il imite ton essor,
Il voltige après Lindor.
Cher Lindor, viens, je t’appelle :
À ma voix l’écho fidèle
Avec moi redit Lindor,
Cher Lindor, Lindor, Lindor,
Et l’écho répète encore :
Cher Lindor, mon cher Lindor.

M. le Magister dit que je n’ai ni esprit ni beauté, il faut avouer que Lindor a bien de la bonté de m’aimer, aussi serais-je bien reconnaissante ; cherchons du moins à placer des fleurs dans mes cheveux pour n’être pas si déplaisante.


Scène iv

Le Magister, Madame Bobinette, Nicolette

le magister

Est-ce ainsi que vous vous occupez ?


Air : Ah ! le bel oiseau

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Informations sur cet air

Quel plaisir peut-on avoir
Quand on a votre visage,
Quel plaisir peut-on avoir
À se mirer, à se voir ?
madame bobinette
Si vous me ressembliez,
Ce serait un avantage.
Quand vous vous regarderiez,
Vous vous rendriez hommage.
nicolette
Ah ! le bel objet vraiment !
Pour me tenir ce langage !
Ah ! le bel objet vraiment !
Pour engager un amant !
madame bobinette

Voyez la petite impertinente.


le magister

Un amant ! et qu’est-ce que c’est qu’un amant ?


nicolette

Je ne sais pas, M. le Magister, mais je m’imagine que c’est quelqu’un qui ne me trouverait pas si laide.


le magister

Eh ! où avez-vous entendu parler d’amant ?


nicolette

Nulle part, M. le Magister.


le magister

Nulle part !


nicolette

C’est que je me souviens que quand Madame Bobinette parlait à quelqu’un de vos écoliers, elle lui disait : Venez mon petit amant, baisez-moi, mon petit amant.


madame bobinette

Allez, vous raisonnez comme une petite sotte.


le magister

Ah ! c’est donc dans le dessein de plaire à quelque amant que vous vouliez mettre des fleurs dans vos cheveux ? Peine perdue, vous n’en seriez pas plus jolie.


nicolette

Vous me mortifiez toujours : en quoi donc suis-je si laide ?


le magister
ariette, n.7
Qui vous voit ne peut s’empêcher
De soupirer ou de sourire,
Et vous pensez qu’on vous admire ?
Fi, fi, fi, vous devez vous cacher.
Vous croyez avoir des appâts,
Mais vos traits sont trop délicats.
Je vous le dis, prenez-y garde.
Dans le menton ce petit creux,
Et cette bouche trop mignarde
N’ont rien d’assez majestueux.
Tournez, que je vous examine,
Vous avez la taille trop fine.bis
Tournez que je vous examine.
Je vous le dis, prenez-y garde.
Vous avez certain embonpoint,
Qui fait que chacun vous regarde.
Vos grands yeux ne finissent point.
Non, non, qui vous voit ne peut s’empêcher
De soupirer ou de sourire,
Et vous pensez qu’on vous admire ?
Fi, fi, vous devez vous cacher.bis
Ah ! je soupire !bis
Fi, fi, vous devez vous cacher.bis
nicolette

Mais il me semble pourtant...


le magister

Il vous semble... Il vous semble... Ne remarquez-vous point que chacun vous suit quand vous passez dans la rue ?


nicolette

Il est bien vrai, M. le Magister ; j’ai remarqué que tous les petits garçons courent après vous, et les grands courent après moi.


le magister

Air : Ces filles sont si sottes

Voir la partition
Informations sur cet air

Vous voulez prendre un ton railleur ?
nicolette

Moi ? Non, je suis si bête, M. le Magister.


le magister
Mais croyez-moi, mon petit cœur,
Car aux yeux cela saute :
Vous êtes laide à faire peur.
nicolette
Mais ce n’est pas ma faute, monsieur,
Mais, ce n’est pas ma faute.
le magister

Laissons-cela. Pourquoi n’êtes-vous pas à votre ouvrage ?


nicolette

Je suis ici venue pour prendre un peu l’air.


le magister

Hé bien ! Puisque vous aimez tant à prendre l’air, je vais vous donner ici votre leçon : où est votre livre ?


nicolette

Le voici.


le magister

N’êtes-vous pas honteuse, à votre âge, de ne savoir pas encore lire ?


nicolette

Mais, vos livres sont si difficiles.


le magister

Oui, tout est difficile pour vous.


nicolette

Mais, Madame Bobinette qui est plus grande que moi, ne sait pas lire non plus, elle.


madame bobinette

Qui est-ce qui vous a dit cela ?


le magister

Point tant de raisonnements, avancez ce fauteuil plus près, plus près. Nicolette regarde derrière elle Hé bien ! ce que vous allez lire n’est pas de ce côté. Commencez.


nicolette
ariette, n.8
Sur les di... di.
le magister
Innocente !
Cette lettre est-elle un i ?
nicolette
Quel ton brusque ! il me tourmente.
le magister
Cette lettre est-elle un i ?
nicolette
D’effroi j’ai le cœur saisi.
le magister
Si vous pouvez, épelez, ignorante.
nicolette
De, de, voi.
le magister
Cette fois-ci,
C’est un i ! Cela m’impatiente...
nicolette, en pleurant
I, r, s,
le magister
La voilà qui pleure : c’est un i.
Votre douleur vous rend des plus gentilles.
nicolette
Ne me plaisantez pas ainsi.

O, i, r, s. Devoirs. Elle lit. sur les devoirs des filles. \did Au Magister.


Est-ce que je ne lis pas bien ?
le magister
Non, jamais vous ne saurez rien.

Si vous n’avez pas plus d’esprit que de beauté, vous serez un fort joli sujet. Continuez votre leçon.


nicolette, lit

Sur les devoirs des filles : il faut qu’elles fassent ce qu’elles... peuvent pour...


Au Magister Hé bien ! Monsieur le Magister, c’est ce que je fais.
le magister

Oh ! je perds patience ; mais quel est cet autre livre, dans la poche de votre tablier ?


nicolette

C’est un livre, Monsieur le Magister.


le magister

Je vois bien que c’est un livre, donnez-le moi. Donnez, eh ! donnez donc ! Lisant. Sur la manière...


nicolette

De faire des enlèvements.


le magister

Ah ! ah ! vous lisez bien dans celui-ci ?


madame bobinette

Ah ! quelle horreur ! Qui est-ce qui vous a donné ce livre-là, petite fille ?


le magister

Je veux que vous me disiez la vérité.


nicolette

Monsieur le Magister !


le magister

Dépêchez, dépêchez-vous.


nicolette

Je vais vous le dire, Monsieur le Magister.


le magister

Eh bien ?


nicolette

Je n’en sais rien, Monsieur le Magister.


le magister

Comment, vous n’en savez rien ?


nicolette

Je l’ai trouvé dans le jardin.


madame bobinette

Il y a quelque chose là-dessous, je saurai m’en éclaircir.


nicolette

Air : Je ne sais pas écrire


Mais, vous avez l’air mécontent.
le magister
Oui, oui.
nicolette
Ce livre-là pourtant
Me paraît nécessaire
Le sujet en est amusant.
Et puis d’ailleurs en le lisant,
On sait ce qu’il faut faire.
le magister

Holà ! Madame Bobinette, je vais chercher des ouvriers pour rétablir le mur de ce jardin et griller nos fenêtres ; ayez soin de Nicolette, pendant mon absence.


madame bobinette

Fiez-vous à moi.


nicolette

Mais il me semble que tout cela n’est pas nécessaire : qui voulez-vous qui me vienne chercher, je suis si laide !


le magister

Je n’appréhende point que vous ne plaisiez à personne ; mais je crains que quelqu’un ne vous plaise, et comme je veux bien vous épouser, je dois prendre mes précautions. À Madame Bobinette. Allez lui chercher son carreau de dentelles qu’elle s’occupe jusqu’à mon retour. La Jeunesse ne se perd que par le désœuvrement.


madame bobinette

Laissez-moi faire, j’aurai grand soin de la faire travailler. Ah ! ah ! petite mijaurée, je vous ferai charrier droit.


Elle sort.

Scène v

Le Magister, Nicolette

nicolette

Mais on ne peut pas toujours travailler !


le magister

Hé bien ! pour vous désennuyer, vous repasserez votre leçon.


Il lui donne un livre Tenez... mais je vous déclare que si à mon retour...
nicolette

Et moi je vous déclare que je ne veux plus travailler, ni étudier. Tenez, voilà votre livre !


Elle jette le livre.
le magister

Vous avez l’audace ! Mais je ne reviens pas de ma surprise.


nicolette

Accommodez-vous.


le magister

Je ne sais qui me tient... Vous ne voulez donc pas obéir ?


nicolette

Non.


le magister

Je vous abandonne.


nicolette

Eh bien ! je ne m’en soucie guère.


le magister

Vous ne serez point ma femme.


nicolette

Tant mieux.


le magister

Vous mourrez fille.


nicolette

Oui, oui.


le magister

Comment ! Oui, oui... Que veut-elle dire ?


nicolette

Un autre m’épousera, là.


le magister, à part

Ce ne serait pas là mon compte, je crois que Madame Bobinette a raison ; il faut l’adoucir. À Nicolette. Écoute, Nicolette.


nicolette

Laissez-moi.


le magister

Si je te gronde, c’est pour ton avantage.


nicolette

Je vous remercie.


le magister

Je veux bien encore te pardonner, si tu me promets d’être plus docile. Oui, tu seras ma petite femme dès ce soir.


nicolette

Hom !...


le magister

Et j’assaisonnerai les leçons que je te donnerai de tant de mignardises, de tant de petites caresses, que tu diras de moi : Et j’assaisonnerai les leçons que je te donnerai de tant de mignardises, de tant de petites caresses, que tu diras de moi : \emph Miscuit utile dulci..


nicolette

Allez, je n’ai que faire de vos biscuits ni de vos petites caresses.


le magister

Tu auras une entière liberté, et je renverrai Bobinette. À part. Il faut lui promettre plus que je n’ai envie de lui accorder.


nicolette, à part

Il faut que je fasse semblant de m’apaiser pour qu’il ne soupçonne rien au sujet de Lindor.


le magister

Allons, faisons la paix.


nicolette

Oui, oui, vous voulez encore vous moquer de moi.


le magister

Non, je te le jure.


ariette, n.9
Tu vas être la maîtresse,
À ton tour, commande ici.
nicolette
Bon ! bon ! vaine promesse !
le magister
Non, non, non.
nicolette
Fiez-vous-y.
le magister
Oui, je veux te satisfaire.
nicolette
Prouvez-moi.
le magister
Que faut-il faire ?
nicolette
Demandez pardon.
le magister
Pardon !
nicolette
Oui, pardon.
le magister
Elle plaisante.
Soit. Pardon. Es-tu contente ?
nicolette
À genoux, petit garçon.
le magister
Oh ! C’est trop !
nicolette
Il se mutine !
le magister, à genoux
M’y voilà.
nicolette, apercevant Lindor
Je vois Lindor !

Scène vi

Lindor, Nicolette, le Magister

lindor, derrière le Magister, bas à Nicolette
St, st, st !
nicolette, au Magister qui veut se lever
Encor, encor.
le magister
C’est assez.
nicolette
Que l’on s’incline.
lindor, bas à Nicolette
Écoutez.
nicolette, bas à Lindor
Je ne peux pas.
Le Magister, voulant se lever
Hem ! plaît-il ? plus bas, plus bas !
Quatre fois, baisez la terre.
le magister
Mais...
nicolette, faisant baisser le Magister
Mais, mais.
le magister
Il faut lui plaire...
nicolette
Quatre fois ; fort bien, fort bien.
Pendant que le Magister baise la terre, Lindor baise la main de Nicolette, lui donne un billet, et se retire.

Scène vii

Le Magister, Nicolette

le magister, se levant en riant
Ah ! Ah ! Ah ! Qu’elle est bouffonne !
nicolette, riant
Ah ! Ah ! Ah ! Je vous pardonne.
le magister, à part
Ah ! friponne, je te tiens.
nicolette, à part
Ah ! vieux reître, je te tiens.
Ensemble, ensemble
Quel plaisir est égal au mien !bis
le magister

Te voilà bien contente petite folichonne.


nicolette

Oh ! Très contente, allons, prenez part à ma joie, dansez !


le magister

Moi, que je danse !


nicolette

Oui, je le veux ; dansez tout à l’heure : ta la, la, etc


le magister, danse

Ta, la, la, la, etc


Scène viii

Le Magister, Nicolette, Madame Bobinette

madame bobinette

Que vois-je ? Eh ! Voilà M. le Magister qui danse. Miséricorde !


le magister

Ah ! Madame, Madame Bobinette, il n’y a rien que l’amour n’excuse ! À Nicolette. Ah ! çà petite fanfan, je veux que nous ayons ce soir des violons. Je vais en chercher, et je danserai tant que tu voudras ; travaille en attendant.


nicolette

De grand cœur, partez donc bien vite.


le magister, bas à Mme Bobinette

Ah ! ah ! ah ! voilà la façon dont on les endort ; amuse Nicolette pendant que j’irai chercher les ouvriers pour... mais elle nous écoute, suis-moi. À Nicolette. Travaille, travaille ma petite amie.


Ils sortent.
nicolette

Eh ! oui, oui, vous devriez déjà être bien loin !


Scène ix

Nicolette seule

nicolette

Lisons vite la lettre de Lindor ; on croit que je ne sais pas lire, et que je ne suis qu’une sotte ; tant mieux. Mais les voilà qui m’examinent ; chantons en travaillant jusqu’à ce qu’ils soient partis.


ariette, n.10
Assise sur les bords
D’une onde pure,
Qui lentement murmure :
Je sens, quand je m’endors,
Un doux zéphire
Qui sur mon sein soupire.
Dans cet asile,
Quand un sort tranquille
D’un repos facile
M’a fait jouir.
J’ouvre mes yeux au jour, et mon âme au plaisir.

Ils sont éloignés, lisons.


\og Ma chère Nicolette, je sais que le Magister doit vous épouser ce soir ; il n’y a pas de temps à perdre. Si vous voulez éviter ce malheur, je vais tout préparer pour vous enlever, et je viendrai me cacher dans ce jardin pour attendre l’occasion favorable. \og Ma chère Nicolette, je sais que le Magister doit vous épouser ce soir ; il n’y a pas de temps à perdre. Si vous voulez éviter ce malheur, je vais tout préparer pour vous enlever, et je viendrai me cacher dans ce jardin pour attendre l’occasion favorable. \emph Lindor \fg . \fg .

Scène x

Mme Bobinette, Nicolette

madame bobinette

Air : Blaise en revenant des champs


C’est une lettre, je crois.
Oh ! par ma foi, oh ! par ma foi !
Vous vous moquez donc de moi ?
nicolette
Elle est à votre adresse.
madame bobinette
Ah ! La bonne pièce !
nicolette

Lisez-la plutôt. À part. Heureusement, elle ne sait lire ni, bo, co, bi, net, nette, Bobinette. Vous voyez bien.


madame bobinette

Comment avez-vous eu cette lettre-là ?


nicolette

Elle était dans le livre que j’ai trouvé tantôt là-bas sur ce banc de gazon où vous vous asseyez ordinairement.


madame bobinette

Pourquoi avez-vous décacheté cette lettre, puisqu’elle est à mon adresse.


nicolette

J’ai été bien payée de ma curiosité.


madame bobinette

Pour vous punir, faites m’en la lecture.


nicolette

Je vais vous la lire tout de suite, car je l’ai épelée ; voyez si je lis bien.


Elle lit.
\og Madame Bobinette, comme je sais que malgré vos charmes vous êtes une femme d’honneur qui aime à se divertir sans qu’on se doute de rien, je vous déclare que je suis amoureux de vous ; mais comme la gouvernante d’un Magister a une réputation à garder, je vous préviens que je ferai semblant d’être l’amant de Nicolette et tout ce que je lui dirai s’adressera à vous. \og Madame Bobinette, comme je sais que malgré vos charmes vous êtes une femme d’honneur qui aime à se divertir sans qu’on se doute de rien, je vous déclare que je suis amoureux de vous ; mais comme la gouvernante d’un Magister a une réputation à garder, je vous préviens que je ferai semblant d’être l’amant de Nicolette et tout ce que je lui dirai s’adressera à vous. \emph Lindor \fg . \fg .
madame bobinette

Tout cela ne m’étonne point, mais il me semble que je le vois là-bas entre ces arbres ; appelez-le, appelez-le, je vais me cacher derrière vous, et vous lui parlerez.


nicolette

Je vais jouer un joli rôle.


madame bobinette

Je ne serai pas embarrassée du mien.


nicolette

Lindor, Lindor.


Scène xi

Lindor, Nicolette, Mme Bobinette

lindor

Air : Ces forbans d’Angleterre


Je viens, Beauté charmante,
Grillé, brûlé d’une flamme ardente,
Car en vous tout m’enchante
Jusques au bout du doigt.
madame bobinette
Il me voit, il me voit.
lindor
Dès qu’on vous aperçoit,
C’est son cœur qu’on vous doit.
Il faut que l’on soupire,
L’Amour qui sait si bien nous réduire,
Pour plaire et pour séduire,
Doit être fait ainsi.
madame bobinette
Grand merci, grand merci.

En vérité, M. Lindor, vous vous y prenez d’une manière si délicate, que la vertu la plus fière aurait tort... Répondez pour moi, petite fille, la force du sentiment m’empêche de m’exprimer.


nicolette
ariette, n.11
Mon cœur insensible
Crut jusqu’à ce jour
Qu’il était possiblebis
D’éviter l’amour.bis
Dans l’indifférence
Je bravais ses traits,
Je vivais en paix.bis
Dans cette assurance
Je serais encor,
Mais j’ai vu Lindor.bis
Mon cœur trop sensible
Éprouve en ce jour
Qu’il est impossible
D’éviter l’amour.
madame bobinette, à Lindor

Imaginez-vous que c’est moi qui vous parle.


lindor

Qu’est-ce que cela signifie ?


nicolette, à Lindor

Elle croit que c’est elle que vous aimez, ne la désabusez point.


madame bobinette

Oui, mon cher Lindor. Mais continuez de parler à Nicolette pour me sauver l’embarras de ma pudeur. Nicolette est dans le secret.


lindor

Air : Un Officier, deux Officiers


Avec ce teint, cette fraîcheur,
On vous prend pour l’Aurore.
nicolette, à Mme Bobinette

Vous voyez bien que cela ne peut s’adresser qu’à vous.


madame bobinette, continuant l’air
Ah ! que ce discours est flatteur,
Recommencez encore !
lindor
Oui, oui, je vous adore,
Et ce baiser part de mon cœur.
Il embrasse Nicolette.
nicolette, à Mme Bobinette

A-t-il bien fait ?


madame bobinette, à Nicolette

Oui.


nicolette, finit l’air
Recommencez encore.
madame bobinette

Ah ! finissez donc, vous m’allez faire évanouir.


lindor

Ma chère Madame Bobinette, puisque vous ne vous opposez plus à mes vœux, permettez que j’affranchisse ce que j’aime du pouvoir d’un brutal.


madame bobinette

Oui, vous n’avez qu’à déclarer vos sentiments pour moi à M. le Magister.


lindor

Je n’ai garde, il croirait que vous y répondriez ; cela ferait tort à cette grande réputation de sagesse que vous vous êtes acquise.


madame bobinette

Cela est vrai, et quoique le Magister veuille épouser Nicolette, je sais qu’il est très jaloux de moi.


lindor

Attendez, pour ne point compromettre votre vertu, et jouer un bon tour au Magister... j’imagine qu’un enlèvement...


nicolette

Un enlèvement, ma bonne ?


madame bobinette

Taisez-vous, petite fille ; il est de certains cas où l’enlèvement se pratique sans blesser la modestie : cela vous passe.


lindor

Hé bien, à quoi vous déterminez-vous ?


madame bobinette
ariette, n.12
Comment ! comment !
Un enlèvement ?
nicolette
Un enlèvement !
madame bobinette
Vous me causez des alarmes.
lindor
Bon ! Bon !
nicolette
Non, non !
madame bobinette
Mais qu’en dirait-on ?
nicolette
Mais qu’en dirait-on ?
lindor
Que c’est l’effet de vos charmes.
L’enlèvement fait honneur ;
N’a pas qui veut ce bonheur.
madame bobinette
Ma pudeur doit s’en effrayer.
lindor
On vous permettra de crier.
madame bobinette
Mais on pourrait nous entendre !
nicolette
Oui, ce serait une esclandre.
lindor
Vous crierez sans faire de bruit.
Nous pourrons attendre la nuit.
nicolette et madame bobinette ensemble, ensemble
Mais n’est-ce pas pour ce départ
Nous y prendre beaucoup trop tard ?
lindor
Partons, partons, permettez-nous
De vous enlever malgré vous.
ensemble, ensemble
Partons, partons, dépêchons-nous,
Partons, partons, et fuyons un jaloux.
madame bobinette

Il faudra donc que Nicolette reste ici pour faire avaler la pilule à M. le Magister.


lindor

Point du tout, elle nous est nécessaire pour la décence. Allons, que l’on fasse avancer mon cabriolet.


Air : Sautez donc, mon cœur


Venez donc, mon cœur, venez donc.
madame bobinette
J’ai du scrupule.
lindor
Quel ridicule !
Venez donc, mon cœur, venez donc,
Cette voiture est du meilleur ton.
Dans un joli cabriolet
On va d’une vitesse extrême,
Et le voyage est sitôt fait.
Notre amour ira de même.
Venez donc, mon cœur, venez donc,
Cette voiture est du meilleur ton.
madame bobinette

Allons, je me détermine ; mais il faut que je prenne une coiffe et un mantelet pour me faire enlever décemment : je ne fuis qu’une minute, Nicolette vous tiendra compagnie.


Scène xii

Lindor, Nicolette

lindor

Profitons du moment.


nicolette

Mais, Lindor, puis-je compter...


lindor

Ne craignez rien, charmante Nicolette, l’amant le plus tendre ne veut être heureux qu’en devenant votre époux. Tout est perdu si vous hésitez. Je vois venir le Magister, et voilà Madame Bobinette.


Scène xiii

Mme Bobinette, Lindor, Nicolette

madame bobinette

Voilà mes arrangements faits, mais que faites-vous donc, vous partez sans moi ?


lindor

Oui Madame Bobinette, et nous vous laissons pour faire avaler la pilule à Monsieur le Magister.


madame bobinette

Comment ? ce n’est point moi qu’on enlève ?


lindor

Point du tout, beauté charmante, c’est Nicolette.


nicolette

Vous n’avez qu’à vous imaginer que c’est vous, ma bonne !


madame bobinette

Ah ! perfide ! scélérat ! au voleur ! M. le Magister !


lindor

Gare, gare.


Il part avec Nicolette dans le cabriolet.
le magister, courant après

Arrête ! Arrête !


Scène xiv

Mme Bobinette seule, après avoir crié au voleur

madame bobinette

Bon, voilà le cabriolet renversé ; voilà M. le Magister qui les arrête. Ah ! fripon de Lindor, c’est bien fait, c’est bien fait. Le Magister ramène Nicolette, Lindor le suit. Ah ! nous allons voir, nous allons voir.


Scène xv

Le Magister, Mme Bobinette, Lindor, Nicolette

le magister, à Nicolette

Ah ! petit crocodile, petit serpent ! tu me caressais donc pour me trahir !


nicolette

Cela est vrai, Monsieur le Magister ; mais vous savez que l’amour excuse tout.


le magister, à Lindor

Et toi, traître de ravisseur, je te ferai pendre !


lindor

Doucement, Monsieur le Magister, arrangeons-nous ; jouissez en paix du bien de Nicolette, et permettez que je l’épouse.


le magister

Cet article mérite réflexion. Eh bien, épouse-la et va-t’en au diable !


nicolette

Grand merci, Monsieur le Magister.


quatuor en dialogue, ensemble
le magister
Voilà donc la récompense
D’avoir instruit ton enfance,
Ô mores, ô tempora.
ensemble, ensemble
Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.
madame bobinette
Voilà donc la récompense
De ma tendre complaisance.
Mais, l’amour me vengera.
ensemble, ensemble
Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.
nicolette
Je suis sans esprit, sans grâce,
De moi l’on vous débarrasse,
Pour vous j’étais un fardeau.
ensemble, ensemble
Oh ! oh ! oh ! oh ! etc.
lindor
J’ai le cœur de Nicolette ;
Mais épousez Bobinette,
L’assemblage sera beau.
ensemble, ensemble
Oh ! oh ! oh ! oh ! etc.
le magister, madame bobinette ensemble, ensemble
Oui, j’oublie une infidèle
Oubliez une infidèle
Afin de me venger d’elle.
Afin de vous venger d’elle.
madame bobinette, seule
Marions-nous.
le magister, seul
Sic volo.
ensemble, ensemble
Oh ! oh ! oh ! oh ! etc.
Madame Bobinette, le Magister, ensemble
Que pour la noce on s’apprête,
Qu’ils soient témoins de la fête.
madame bobinette
Mon cher maître, touche là.
le magister
Bobinette, touche là.
lindor
Nicolette, touche là.
nicolette
Mon cher Lindor, touche là.
Tous, ensemble
Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.
le magister
Que l’on chante
Mon aimable gouvernante.
Oh ! Hymen, hymen, io.
Tous, ensemble
Que l’on chante
L’amour rempli de notre/mon attente,
Formons un tendre Duo.
Lindor et Nicolette, ensemble
L’amour fera le trio.
Fin

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