Lanlaire ou le Chaos

Auteurs : Bonnefoy de Bouyon (Louis)
Parodie de : Tarare de Beaumarchais et Salieri
Date: 27 juillet 1787
Représentation : 27 juillet 1787 Comédie-Italienne - Salle Favart
Source : Paris, Brunet, 1787
M. L. B...y de B... (François Lambert Bonnefoy de Bouyon)

Lanlaire


Le Chaos
Parodie de Tarare, en un acte, prose, vaudevilles et divertissement
Représentée par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le vendredi 27 juillet 1787
Paris, Brunet, 1787
definitacteur, le génie porte-feu portefeu
Voici mon dire : est-il bon ?
Lisez :
didascalie, Je ne puis mettre la plume à la main sans rencontrer des obstacles, sans éveiller la haine de mes nombreux ennemis, sans éprouver des menaces judiciaires... et sans trouver des lecteurs. Voilà ce qui me console.


Je donne aujourd’hui une parodie de Je donne aujourd’hui une parodie de \emph Tarare. Les comédiens la reçoivent avidement, mais à condition qu’elle sera mutilée, et disséquée. M. l’écuyer Beaumarchais tonne, menace comédiens, magistrats, auteur, et par une lettre insultante, se rend digne d’une correction d’écolier.. Les comédiens la reçoivent avidement, mais à condition qu’elle sera mutilée, et disséquée. M. l’écuyer Beaumarchais tonne, menace comédiens, magistrats, auteur, et par une lettre insultante, se rend digne d’une correction d’écolier.




Malgré ses intrigues, je fais jouer ma pièce : elle est vivement applaudie. Elle arrache le rire de la cabale même : mon amour propre est complètement satisfait. Je la retire du théâtre, et je finis par la faire imprimer, non telle qu’on l’a jouée, mais telle que je l’ai faite.




Je supplie les journalistes, ces oracles éphémères, qui se contredisent sans cesse, qui critiquent souvent sans raison, et louent presque toujours par faiblesse, de la lire avec réflexion, et de la juger de même. La manière avec laquelle ils l’ont déchirée, a excité le mépris des personnes sensées, et ma pitié naturelle, parce que je n’aime pas qu’on se fasse du tort à soi-même.




De tous les métiers, celui de journaliste est le plus bas, comme le plus absurde, quand l’équité ne le guide pas dans ses arrêts terribles. Au reste, je remercie Messieurs les acteurs de leur zèle ardent à me servir. M. Rosière surtout, comédien plein de sagacité, qui sait créer et faire si bien sentir le sel du vaudeville, mérite d’être distingué dans mon cœur, comme dans l’esprit de tout le monde, même dans celui des journalistes.




Petite dédicace


à Mme Dugazon, célèbre folle...


dans dans \emph Nina




Le serment solennel que vous avez fait Le serment solennel que vous avez fait \emph en pleurant de ne pas jouer pendant un an si l’on rejouait ma parodie, a fait trembler le corps de vos confrères, sur qui j’ai tout droit. J’ai tremblé moi-même pour eux, dont vous êtes la modeste nourricière, à ce que dit un Prince aimable. Quoique je ne vous connaisse qu’obliquement, c’est directement que je vous dédie cet ouvrage. Vous savez \emph écrire, et même \emph lire, aussi avec autant d’esprit, vous ne vous méprendrez pas sur le motif qui me fait pencher à vous rendre hommage., aussi avec autant d’esprit, vous ne vous méprendrez pas sur le motif qui me fait pencher à vous rendre hommage.




Moi-même.


Acteurs


Les Génie Procréant : Madame Gontier
Le Génie Porte-feu : Monsieur Sollié
Cochemar Bacha : Monsieur Rosière
Lanlaire, soldat parvenu : Monsieur Grangé
Larmoyante : Madame Julien
Barbette, grand-prêtre : Monsieur Périgny
Braquemort : Monsieur Sellier
Bagigi, bouffon : Monsieur Chénar
Finette : Madame St Aubin
Nicodème, jeune initié du temple : Monsieur Thomassin
Zonzon, arlequin : Monsieur Corali
Esclave du sérail : Monsieur le Clerc
Peuples
Soldats
Danseurs
\titrinit[Le théâtre représente sur les côtés le commencement d’un palais, le bout d’une place publique, le commencement d’un parterre éclairé, et le commencement d’un temple. Le fond figurera la vaste cour d’un château fort. Avant le lever de la toile, l’orchestre exécutera l’air \titrinit[Le théâtre représente sur les côtés le commencement d’un palais, le bout d’une place publique, le commencement d’un parterre éclairé, et le commencement d’un temple. Le fond figurera la vaste cour d’un château fort. Avant le lever de la toile, l’orchestre exécutera l’air \emph Mon cher André de l’\emph Épreuve villageoise. À cet air succèdera celui de \emph R’lan tan plan tirelire, à celui-ci succèdera l’air \emph Adieu donc Dame Françoise. À la fin de la ritournelle de ce dernier, le Génie Procréant entrera en sautillant avec gaieté, pour reprendre tout à coup un air grave et compassé.]. À la fin de la ritournelle de ce dernier, le Génie Procréant entrera en sautillant avec gaieté, pour reprendre tout à coup un air grave et compassé.]

Scène i

Le Génie Procréant

Tous les acteurs sont assis sur des chaises ayant leurs corps obliquement guindés, ils sont tous couverts d’un nuage.
le génie procréant

Sait-on bien qui je suis ? le sait-on ? Il faut être bien sorcier... À mon ton, à mon costume, à mon port et à mon air de prospérité, chacun dit... c’est elle... oui vraiment, c’est elle la bonne nature. Mais souvent la nature plaît par ses écarts : eh bien, nous allons en faire. Oui, puisque la bizarrerie entraîne, puisque la bizarrerie enchante, puisque la bizarrerie obtient des suffrages sur la scène, l’on va bizarrement agir. Mais dans cette action bizarre, notre but est de prouver que la bizarrerie, dans certains cas, est la ressource de la faiblesse.


Commençons donc par du bruit. Aux musiciens. Et vous, Messieurs, formant la boutique enragée, jouez à tour de bras, produisez un \emph rinforzando de timbale d’un effet étourdissant. Exécutez-moi là... une merveilleuse tempête, et dans cette tempête, sachez distinguer, et surtout bien faire sentir les vents.


Air : La différence

Voir la partition
Informations sur cet air

Bons et mauvais, les auteurs
Veulent tous charmer les cœurs.
Voilà la ressemblance.
L’un par le beau, par le grand,
Et l’autre en donnant du vent.
Voilà la différence.
La symphonie de l’orchestre caractérise un orage terrible. Le Génie Procréant se retire au fond du théâtre. Il fait une espèce de conjuration avec sa baguette, et à chaque mouvement on voit partir un des nuages, qui couvrent les acteurs. Alors le Génie Porte-feu descend des airs, ayant sur sa tête un petit soleil d’artifice allumé.

Scène ii

Le Génie Procréant, Le Génie Porte-feu

portefeu
\emph Du brillant orbe solaire, c’est en regardant les cieux, que je vous ai vue sur la terre, et me voici, belle nature, pour vous être propice., et me voici, belle nature, pour vous être propice.
le génie procréant
\emph Génie ardent de la sphère enflammée, si je voulais, les générations passées, celles à venir, hommes, animaux, tout serait ici dans l’instant rassemblé. Mais je laisse les prodiges, et comme on a vu souvent un seul individu s’amuser aux dépens de beaucoup de monde, moi, j’entreprends aujourd’hui d’amuser beaucoup de monde aux dépends d’un seul individu., si je voulais, les générations passées, celles à venir, hommes, animaux, tout serait ici dans l’instant rassemblé. Mais je laisse les prodiges, et comme on a vu souvent un seul individu s’amuser aux dépens de beaucoup de monde, moi, j’entreprends aujourd’hui d’amuser beaucoup de monde aux dépends d’un seul individu.
portefeu

Il est juste de sacrifier Il est juste de sacrifier \emph la parcelle au grand au grand ... Bas. Mais, entre nous, quelle est donc cette parcelle ?


le génie procréant

C’est un rien, qui, dans un siècle raisonnable, n’eût produit aucune sensation, et qui, dans un siècle plus que frivole, fait de l’éclat. Mais, aux yeux du sage, cet éclat ressemble aux étincelles qui partent du vers luisant, qui n’a de prix que dans l’obscurité, et qui anéantit un seul rayon du jour.


portefeu

Que puis-je faire pour seconder vos projets ?


le génie procréant

Animer ces êtres formés sans vous, leur donner un caractère distinctif, et nous leur dirons après... va comme on te pousse.


portefeu, avec emphase
\emph Atomes perdus et ramassés, froids humains, c’est suivant l’\emph ordre, la \emph mesure, la \emph pesanteur, et \emph toutes les lois immuables, que vous allez recevoir de moi le souffle de la vie., que vous allez recevoir de moi le souffle de la vie.
Il prend un soufflet suspendu à une écharpe qui lui traverse le corps, et souffle sur chaque acteur, en prononçant les mots suivants :

Vis... respire... regarde... agis... vois le jour... contemple le ciel... fixe la terre... tourne à droite... tourne à gauche... marchez tous en avant.


Les acteurs dessinent un cercle.
lanlaire, d’une voix sourde

C’est un grand charme qui m’attire.


larmoyante, de même

D’un plaisir vague je soupire.


finette, de même

Nous sommes tous épanouis.


nicodème, bâillant et se frottant les yeux

Ma foi, nous étions bien endormis.


portefeu, en colère

... Allons, sortez d’un risible délire ! On devrait se taire du moins, quand on ne sait qu’agir et platement s’exprimer.


le génie procréant

Génie Porte-feu, ne vous formalisez point. Sachez que leurs phrases sont filées en style d’opéra où l’on admire tout ce qui n’est pas compréhensible.


portefeu

Mais enfin, que vont devenir ces créatures burlesques ?


le génie procréant

Chacun d’eux va jouer son rôle. Ici tous les acteurs passent dans l’avant-scène à mesure qu’on parle d’eux. Voici Cochemar Bacha, monotonement féroce... passez... Voici Lanlaire, soldat, qu’on croit brave sans lui avoir vu jamais faire une seule prouesse... marchez... Voici Larmoyante, roseau battu de tous les vents, et pleureuse sempiternelle... partez... Voici Barbette, pontife du temple, homme mécréant et hypocrite... suivez... Voici Braquemort, personnage prétendant à tout comme les seigneurs ordinaires, mais incapable de rien... filez... Voici Zonzon, bonhomme tel qu’il faut partout pour annoncer les visites, et pour appeler les gens... fuyez... Voici Bagigi, scélérat dans l’âme, et bouffon par régime... doublez le pas... Voici Finette, matrone intrigante et coquette à triple main... avancez... Voici Nicodème, enfant naïf et simple, qui chantera sur tous les tons comme un orgue de Savoie... tournez.


portefeu

Voilà des monstres de quoi former, non pas une ménagerie, mais une caverne...


le génie procréant

Nous allons laissez écouler nos pas Nous allons laissez écouler nos pas \emph quarante années en un clin d’œil......


portefeu

Oui, car le tour serait de trop grande force.


le génie procréant

Mais quarante minutes de ce jour, c’est dans cet espace, que des êtres sortis du chaos vont mettre à profit leur existence, pour rentrer tout à coup dans le néant, afin de rendre la catastrophe irrésistiblement admirable... à toi Bagigi... sois caustique, adroit et gai.


portefeu, chassant devant lui tous les autres acteurs

Houp... houp...


Tout à coup le rideau du fond s’élève, et Bagigi parait.

Scène iii

Bagigi seul

bagigi, se frottant les mains

Tâchons de conduire la barque à bon port. Voyons... pour être original, pour donner du neuf, pour peindre un délire d’imagination, il faut mettre en action un petit conte oriental connu depuis un demi-siècle seulement. Là, il s’agit d’un enlèvement, d’une substitution de personnage, d’une révolte et d’une mort. C’est juste mon affaire. Nous nous préserverons simplement de parler en style de Pont-Neuf, car alors il faudrait chanter, par la raison que Tâchons de conduire la barque à bon port. Voyons... pour être original, pour donner du neuf, pour peindre un délire d’imagination, il faut mettre en action un petit conte oriental connu depuis un demi-siècle seulement. Là, il s’agit d’un enlèvement, d’une substitution de personnage, d’une révolte et d’une mort. C’est juste mon affaire. Nous nous préserverons simplement de parler en style de Pont-Neuf, car alors il faudrait chanter, par la raison que \emph ce qui n’est pas bon à dire, est bon à chanter. Par ce moyen, nous donnerons.... Par ce moyen, nous donnerons...


Air : Avec les jeux dans le village


Le précis d’un bizarre ouvrage,
Qui depuis longtemps fait grand bruit,
Pour le voir chacun a fait rage.
Mais cette rage s’affaiblit.
Sur Tarare on bat la campagne,
Et les amateurs sont réduits
À dire... c’est une montagne,
Dont il ne sort qu’une souris.

Scène iv

Bagigi, Cochemar

cochemar

Air : Ciel ! l’Univers [va-t-il donc se dissoudre]


Que l’univers s’écroule sur ma tête.
Gouffres d’enfer ouvrez-vous sous mes pas.
Que les vents, que la tempête
Prédits en nos almanachs,
Soient de la fête,
Et fassent grand fracas.
bagigi
Seigneur, quel embarras !
Qui vous met si fort en colère ?
cochemar
Qui ?... c’est Lanlaire,
Chef de mes soldats.
bagigi

Le chef de votre milice, qui vous sauva la vie, qui a conservé mes jours. Lanlaire excite votre courroux ! Et pourquoi ?


cochemar

Parce qu’il est heureux, et parce qu’il ne l’est qu’avec une seule femme.


bagigi

Belle raison ! Quoique la mode soit ici d’en avoir des douzaines, qu’on nourrit fort bien, et qu’on aime fort mal. Son crime n’est pas grand en n’aimant que sa chère Larmoyante.


cochemar

Son crime n’est pas grand ! Il est affreux, aussi...


Air : La Charge


Braquemort dans quelques instants
Va ravir ce miracle.
Il est masqué jusques aux dents,
Je n’aurai plus d’obstacle.
L’on a mis sa maison en feu
Pour enlever sa belle...
bagigi

Mais, Seigneur, ce n’est pas un jeu.


cochemar

Oh, c’est une bagatelle.


bagigi

Quand on enlève une femme à son mari, il arrive qu’on s’en mord les doigts.


cochemar

Je risque tout.


bagigi

Par ce triat vous lui arrachez la vie.


cochemar, avec joie

Tant mieux.


bagigi

Tant mieux ! Cet excès de sensibilité, ce sentiment tendre, ce désir du bonheur de tout ce qui vous environne, partent d’une cœur grand, et bien digne de son auteur.


cochemar

Insolent, je punirai ton insolence par la mort.


bagigi

La mort ! les grands ne savent-ils que menacer ? la mort, et toujours la mort ! Je n’aime pas à jouer avec la mort, ma tâche est de vous faire rire. Quand on réussit à cet emploi, cet emploi en vaut bien un autre. Demandez-le aux connaisseurs.


cochemar

Vil bouffon... Mais que vient m’apprendre Braquemort ?


Scène v

Les mêmes, Braquemort

braquemort

Larmoyante est à nous. En homme expert en perfidies, j’en ai fait l’enlèvement avec tant de subtilité, qu’elle même ne s’en est point aperçue.


cochemar

Enfin je triomphe... Mon ami, tu tiendras le premier rang après moi, voilà ta récompense.


bagigi, à part

Bonne leçon pour les Mercures modernes !... On ne peut que s’élever, lorsqu’à ce métier on fait battre des ailes.


cochemar

Eh bien, Bagigi, l’appartement, le sérail, la fête, tout est-il prêt ?


bagigi

Tout, Seigneur, vous aurez long spectacle, grand décors, et par-dessus tout de belles machines. Il en faut, Seigneur. Aujourd’hui les grands effets sont produits... par des machines.


cochemar

J’ai dit que rien ne manque, ou tu seras empalé.


bagigi, prosterné

J’espère ne l’être point.


cochemar

Tu répliques ?


bagigi

Je m’applaudissais, Seigneur, en disant tout bas, tous bas... qui cherche à vous plaire est sûr de vos munificences.


cochemar

Volons au devant de ma belle Larmoyante.


braquemort

On l’amène à vos pieds.


Scène vi

Les mêmes, Larmoyante, Finette, esclaves de deux sexes entrant sur l’air d’une marche

cochemar

Prosternez-vous, relevez-vous... Prosternez-vous, relevez-vous...


bagigi

L’exercice est plaisant et mécanique.


larmoyante, fièrement

Sort cruel ! destin affreux ! fortune ennemie !


bagigi

Fatras lyrique que tout cela !


larmoyante, vivement

Non, laissez-moi... Non, fuyez-moi... Avec douceur. Mais non, approchez, approchez, parlez, où suis-je ?


finette

Au pouvoir de Cochemar, Madame.


larmoyante

De Cochemar ! Ah ! j’étouffe.


cochemar, chantonnant

De Cochemar qui vous adore.


larmoyante

Cruel ! Est-ce donc là le prix des services que Lanlaire vous a rendus.


cochemar

En le comblant d’honneurs et de biens, j’effacerai cette légère tâche.


bagigi, à part

C’est le contrepoison ordinaire. Mais par malheur il est des tâches qu’on n’efface pas avec de l’or.


larmoyante, au désespoir

Puissances célestes, puissances terrestres, dieux de l’Olympe... déités des enfers !


bagigi

Bravo... Songez à la pamoison subite.


larmoyante

Comment faire ?


bagigi

Mots bégayés, œil hagard, soupirs prolongés, abandon convulsif... voilà la recette.


larmoyante

Ah dieux ! je balance, je chancelle... je succombe !


bagigi, à un esclave

Vite, mon ami, annonce au Seigneur la mort de sa bien-aimée, afin qu’il te poignarde.


definitacteur, l’esclave lesclave
lesclave

L’ambassade n’est pas attrayante.


bagigi

Vas toujours, tu n’en mourras pas.


lesclave

Air : La Charge


Seigneur, le voile du trépas
A couvert son visage.
cochemar

Même air


Malheureux, tu ne mourras pas
Après un tel message !
Pour prix de ta compassion,
En suivant mon système,
Il faut que sans rémission,
Tu périsses toi-même.

Air : Nargue du caquet


Ça, que dans l’instant
Ce tendron charmant,
Objet de mon amour,
Soit rendu au jour,
Ou tous en faisceau\definition Faisceau Amas de certaines choses liées ensemble \acad 1762
Je vous jette à l’eau.
larmoyante
Lanlaire, que fais-tu ?
Et qu’es-tu devenu ?

Que vois-je ? qu’est-ce ? répondez, répondez. Pourquoi a-t-on tué cet esclave ?


bagigi

Ah... c’est un petit passe-temps de sa hautesse... Que voulez-vous, Madame, chacun a sa folie... Celle du Seigneur est de s’amuser à massacrer ceux qui lui font peur.


larmoyante

C’en est trop, je me meurs.


cochemar

Air : À la façon de Barbari

Voir la partition
Informations sur cet air

Que dans le pavillon chinois
À l’instant on l’emporte.
Que l’on obéisse à ses lois,
Bien ou mal, il n’importe.
Mirza, je lui donne ce nom,
La faridondaine, la faridondon,
Il me rendre doux et poli.
On emporte Larmoyante.
bagigi
Biribi,
À la façon de Barbari
Mon ami.

Scène vii

Cochemar, Bagigi, Finette

bagigi

Air : Oricandaine

Voir la partition
Informations sur cet air

Pour parler comme au corbillon,
Seigneur, près d’elle, qui met-on ?
cochemar
Pourquoi cette discrétion ?
Placez-y sans tant de façon,
L’Européane.
bagigi
Ce mot ne m’est pas trop connu,
Je ne l’ai jamais entendu.
cochemar
Quoi !
C’est un nouveau venu
Pour ma sultane.
bagigi
C’est qu’il est un peu fort.
cochemar
Paix.
bagigi
Non, j’ai tort.
cochemar

L’Européane, allez.


bagigi

Il faut applaudir à ce choix, car avec Il faut applaudir à ce choix, car avec \emph l’Européane, la femme la plus timide devient effrontée, la femme à scrupules devient licencieuse, et la beauté la plus sage devient... ma foi... devient ce qu’on veut., la femme la plus timide devient effrontée, la femme à scrupules devient licencieuse, et la beauté la plus sage devient... ma foi... devient ce qu’on veut.


finette, d’un ton piqué

Agent honorable des plaisirs de Monseigneur... puisque la crainte de mes succès vous consterne, je promets de réduire le cœur de Mirza, oui, je le livre d’avance à sa Hautesse.


Elle sort.
cochemar

Et moi je te livre Bagigi.


bagigi

Ah ! par pitié, que votre Hautesse considère que certainement je vais devenir...


cochemar

Paix, dis-je.


bagigi, à part en sortant

Ma destinée sera de ressembler à beaucoup d’autres.


Scène viii

Cochemar, Braquemort, Zonzon

zonzon

Lanlaire demande à vous parler. Il pleure, il gémit, et vraiment il faudrait ne point avoir d’oreilles pour refuser de l’entendre, et certes vous en avez, Monseigneur.


cochemar

Air : La bonne aventure

Voir la partition
Informations sur cet air

Il pleure, il gémit, tant mieux.
Plaisir délectable !
Je crois être dans les cieux.
zonzon
La douleur l’accable,
Il s’arrache les cheveux...
cochemar
Il est donc bien malheureux !
La bonne aventure, ô dieux,
La bonne aventure.
zonzon

Que dois-je répondre ? Est-ce tant mieux ?


cochemar

Qu’il vienne.


zonzon

J’y vole. Il revient. Il sera flatté, Seigneur, de vous voir si touché de ses malheurs.


cochemar, brusquement

Qu’il vienne.


zonzon

Parbleu, il prévient vos désirs.


Scène ix

Les mêmes, Lanlaire

cochemar

Soldat, qu’exiges-tu ?


lanlaire

Justice et protection... C’est Justice et protection... C’est \emph en pleine paix que je viens de voir, \emph par un avare brigand, mes toits saccagés, mes biens ravagés, mes serviteurs égorgés. Chez moi tout est à feu et à sang., mes toits saccagés, mes biens ravagés, mes serviteurs égorgés. Chez moi tout est à feu et à sang.


cochemar

Air : Charmante Gabrielle

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Informations sur cet air

Oui, je te dois la vie,
Je prétends m’acquitter.
Contente ton envie,
Tu n’as qu’à souhaiter.
Ce palais, cet asile
Digne d’un Roi.
Lanlaire fait un signe de refus.
Si tu fais l’imbécile
Tant pis pour toi.
braquemort

Seigneur, vous oubliez...


cochemar, à part

Air : Sur le pont d’Avignon

Voir la partition
Informations sur cet air

Ah ! si je le place si haut,
C’est pour qu’il fasse un plus grand saut.
lanlaire

Ce n’est pas tout, Seigneur, ma Larmoyante m’est ravie.


braquemort

Il faut ici jouer de finesse.


cochemar

Je t’entends. Haut. Braquemort, qu’est-ce donc que cette Larmoyante ?


braquemort

Sans doute quelqu’une de ces femmes galantes qui, semblable à ces bijoux qui circulent...


lanlaire

Que dis-tu ? ma femme n’est point en circulation. Infâme, ta calomnie est exécrable. Elle a toute ma tendresse, et je répéterai sans cesse qu’elle est une déesse sensible, enchanteresse, à qui j’offre sans cesse, oui, sans cesse à sa beauté le pur encens de la volupté.


cochemar

Dois-tu regretter une femme, quant je t’offre un sérail circassien ?


lanlaire

L’unité convint toujours aux cœurs sensibles, et je laisse aux cœurs froids et blasés le sot orgueil de se targuer d’une insipide pluralité.


cochemar

Tu persistes à regretter une femme dans un temps et dans des climats où la perte d’une femme est si facile à réparer.


lanlaire

La perte d’une femme vertueuse à présent est irréparable. Ayez donc pitié de moi. J’ignore quel est le ravisseur, j’ignore les lieux où il s’est réfugié, j’ignore s’il est loin, s’il est proche, s’il est sur terre, s’il est sur mer, ou bien dans l’empirée. Mais n’importe. Permettez-moi de monter un petit bateau de transport pour le chercher, me venger et mourir.


Scène x

Les mêmes, Bagigi

bagigi

Sois adroit. Voici l’instant de produire un Sois adroit. Voici l’instant de produire un \emph quiproquo..


bagigi

Votre chère Mirza qui était morte tantôt, Mirza, dis-je, vient de ressusciter.


cochemar

Quelle heureuse nouvelle !


lanlaire

Seigneur, vous avez ri, et après cela vous ne pouvez plus vous empêcher d’être généreux.


cochemar

Eh bien, je ferai tout pour toi, si tu souhaites que Mirza couronne ma flamme.


bagigi, à part

L’objet du L’objet du \emph quiproquo est révoltant. est révoltant.


lanlaire
Mirza, Mirza, fais que mon maître
Soit heureux. Il est né pour l’être
Et sans plus longtemps différer,
Fais sonner l’heure du berger.
bagigi

Doucement... Il faut ici une réticence.


lanlaire

Pourquoi ?


bagigi

Pour rendre le trait superbe.


lanlaire

Attends...


Même air


Mirza, Mirza, cent fois aimable,
Rends-le heureux, sans être coupable.
À part.
L’ami Bagigi n’est pas sot,
Je crois l’entendre à demi-mot.
bagigi

Eh, eh, petits faiseurs. Voilà du beau ! C’est à vous de vous fondre au moule, avant qu’on ne le brise.


cochemar

Je consens à tout.


Air : À coups d’pieds, à coups d’poings


Toi, Braquemort, soit son appui,
Et dans l’instant pars avec lui,
Sois le témoin de sa victoire.
Lorsque tous deux vous serez loin,
Fais si bien que dans un petit recoin...

(tu m’entends.)


braquemort, fait un geste qui désigne de lui proposer un duel, ou de l’assommer à coups de bâton

Oui, Seigneur.


cochemar

Toi, Lanlaire, je te dégage de tes devoirs envers moi, et tu peux courir la prétantaine.


lanlaire

D’après cet excès de bonté, je jure...


bagigi, l’arrêtant

Imprudent ! à l’exemple des courtisans raffinés apprends qu’il ne faut jamais jurer de rien.


cochemar

Que dis-tu, Bagigi ?


bagigi

Qu’on ne vit jamais un cœur plus noble, ni une âme plus belle que la votre. À part. Cherchons l’instant d’instruire Lanlaire du complot.


Il sort.

Scène xi

Cochemar seul

cochemar

Enfin, j’en suis débarrassé. Et voilà la mer chargée de ses funérailles. Il n’échappera point, il rentrera dans la poussière faite par un soldat... La poussière faite pour un soldat ! C’est une absurdité, et l’on a tort de le dire, quand on est sûr que personne ne voudra le croire.


Scène xii

Cochemar, Zonzon

zonzon

Barbette est en nage, Seigneur, il s’agite, il s’empresse, il est suivi de trois personnes, et c’est pour cette raison qu’il vous demande un entretien secret.


cochemar

Qu’il entre seul. Dans ce jour infortuné, je veux qu’aucun n’emporte le regret d’un refus de ma part.


zonzon

Je suis charmé, Seigneur, de vous trouver dans de si heureuses dispositions. Or donc vous saurez que je me trouve dans le besoin...


cochemar

Oses-tu bien, faquin...


zonzon

C’est ainsi que chez les illustres, le désir du bien se dissipe toujours comme une vapeur. Il voit Barbette et lui dit Entrez, et tâchez de tirer parti de sa hautesse.


Scène xiii

Cochemar, Barbette

barbette

De sauvages mortels une poignée sortant d’une région éloignée doit assiéger les remparts désertés par ton peuple effrayé.


cochemar

Que dit le puissant dieu Barnaba ?


barbette, vivement

Qu’il faut combattre comme quatre, qu’il faut abattre. Tel est l’arrêt, on n’en peut rien rabattre.


cochemar

Comment, prêtre infâme, toi qui n’oses pas purger la terre des pourceaux nourris de ta main, tu brûles de répandre le sang des hommes ! Ton culte est donc une erreur ?


barbette

Chut... il faut qu’elle subsiste, ce que le peuple croit, les grands ne le pensent jamais, et c’est ainsi que l’erreur fait le bien des deux classes.


cochemar

Abominable politique !


barbette

Chut !... je blâme toujours ceux qui disent trop haut leurs réflexions hardies. Au reste, ce n’est pas le lieu de faire une digression sur la politique. Il faut songer à repousser l’ennemi s’il vient, quoique je pense qu’il ne viendra pas. Il faut songer à donner un chef à l’armée. Parle, celui que tu choisiras sera nommé.


cochemar

Je choisis Braquemort.


barbette

Mon fils ! Que devient Lanlaire ?


cochemar

En courant à une vengeance chimérique, il trouvera la mort.


barbette

Crains le peuple.


cochemar

J’ai tout prévu. C’est à toi de le tromper au nom des dieux. Songe que c’est par des mensonges utiles qu’on le fascine, et qu’on le subjugue.


barbette

Chut... on le sait trop, mais il ne fallait pas le dire.


cochemar

Moi, je l’ai dit.


Scène xiv

Barbette quittant son air hypocrite

C’en est fait, secondons tous ses vœux. Par ce moyen j’élève mon fils, je fortifie mon pouvoir, je donne un lustre à mon temple. Enfin, je ne vois que gain pour moi... sans doute, mais le peuple seul est sacrifié... vaine considération ! Ma fortune sera-t-elle la première élevée à son détriment ? Si la délicatesse me retient, les grands exemples m’entrainent. Allons chercher Nicodème.


Scène xv

Lanlaire, Bagigi

lanlaire, d’abord seul

C’est le moment du rendez-vous. C’est ici qu’avant mon départ, Bagigi veut m’entretenir en secret. Ai-je à redouter quelque nouveau désastre ?


bagigi, couvert d’un manteau

Me voici, Lanlaire, écoute-moi.


lanlaire

Pourquoi te cacher sous ce manteau ? Une place publique n’est pas un lieu suspect.


bagigi

Je ne sais... on veut que je le porte. Apparemment que dans certains moments, un manteau arboré, même sans raison, donne du piquant à la scène.


lanlaire

Passons cela. Mais, réponds... qu’as-tu à m’apprendre ?


bagigi

Que Larmoyante a été enlevée de sa solitude par l’impudent Braquemort, et qu’en vain tu irais la chercher sur l’onde, puisqu’elle est au sérail, sous le nom de Mirza.


lanlaire

Que me dis-tu ?


bagigi

La vérité, mon ami. Oui, quoiqu’italien, je dis la vérité.


lanlaire

Pourquoi ce changement de nom ?


bagigi

C’est encore une malice du genre de toutes les autres ?


lanlaire

Ô lâche perfidie !


bagigi

Ce soir, une échelle imperceptible sera suspendue au mur du sérail. C’est à toi de t’y introduire, si tu veux la sauver.


lanlaire, en convulsion

J’irai... j’oserai... j’irai... j’enfoncerai... j’irai... je franchirai... j’irai... j’arracherai... enfin j’irai.


bagigi

Fort bien. Mais en attendant que tu y ailles, retirons-nous afin de ne pas être aperçue.


Scène xvi

Barbette, Nicodème

nicodème, met bas le fauteuil

Quand on est assis, on n’est plus debout, et ça fait qu’on parle plus à son aise...


barbette

Approchez-vous, mon fils.


nicodème, s’assied sur les genoux de Barbette

J’y suis, mon père.


barbette

Un grand jour vous luit.


nicodème

Tant mieux, nous y verrons clair, mon père.


barbette

Croyez-vous que le ciel parle par ma voix ?


nicodème

Oh, mon dieu ! ce m’est égal, et pour peu que cela vous plaise, voyez-vous, je le crois, mon père.


barbette

C’est de vous qu’il se sert pour choisir un général.


nicodème

Je ne me connais pas en instruments de guerre. Mais autant pour moi qu’un autre, mon père.


barbette

Ah ! s’il vous suggérait mon fils Braquemort.


nicodème

C’est tout simple, il me le suggèrera, mon père.


barbette

Non, il faut attendre que le ciel...


nicodème

Ne vous fâchez pas, nous attendrons, mon père.


barbette

Avant de nommer un vengeur, vous allez faire rougir de sa frayeur le peuple qui doit s’assembler en ces lieux, en l’assurant qu’Avant de nommer un vengeur, vous allez faire rougir de sa frayeur le peuple qui doit s’assembler en ces lieux, en l’assurant qu’\emph il doit craindre de grands ennemis, mais qu’ils sont encore bien loin..


nicodème

Je suis un bon garçon, et je chanterai tout ce qu’on voudra, mo père.


barbette, s’adressant au ciel

Dieux sublimes, quand vous dormez... scintillants, quand vous tonnez... et magnifiques, quand vous soufflez pour élever les flots jusqu’aux nues, faites que la bouche innocente de ce cher enfant nomme parmi les miliciens, un milicien capable de faire reculer toutes les milices.


nicodème, après avoir écouté bouche béante

Ma foi, c’est bon, ça...


Scène xvii

Les mêmes, Cochemar, Braquemort, Zonzon, peuple et soldats

cochemar, à Barbette, et à demi-voix

Et bien, fripon mon aîné, as-tu inspiré le fin mot à quelqu’un qui puisse en imposer à cette canaille qui me suit et m’entoure ?


barbette

Comme c’est de la bouche des enfants, que le sot vulgaire imagine que les dieux parlent, voici un jeune initié de mon temple, aussi stupide que brute...


nicodème

C’est moi, sans vanité.


barbette

Au lieu de Lanlaire, il va nommer Braquemort, dont vous avez fait choix pour battre les futurs ennemis en cas d’évènement.


cochemar

Je suis content.


Air : Magdeleine, à bon droit, passa


Grands et petits, et savants
Approchez, que chacun écoute,
Vous allez dans quelques instants
Nommer un général.
chœur
Sans doute.
bagigi
Ah ! le trait est original !
cochemar
C’est pour guérir, c’est pour guérir un très grand mal.
chœur
C’est pour guérir un très grand mal.
cochemar

Cet enfant naïf et pur...


nicodème, saluant tout le monde

C’est toujours moi.


cochemar

Inspiré du puissant Barnaba, va nommer à qui tout doit obéir après moi.


zonzon

Qu’on apporte le tréteau pour l’y percher dessus.


cochemar

Cet apprêt est inutile.


zonzon

Pardonnez-moi, Seigneur, plus on est élevé, plus on a l’air de dire quelque chose.


cochemar

Je l’accorde.


On élève Nicodème sur un tréteau.
nicodème

D’après ce qu’on m’a inspiré, messieurs et dames, apprenez, de la part du grand Barnaba, que notre ami Lanlaire...


tous, ensemble

Air : Des fraises

Voir la partition
Informations sur cet air

Lanlaire, Lanlaire, Lanlaire.
braquemort, furieux

Silence, qu’on arrête ce transport effréné.


barbette, à Nicodème

Que dites-vous, mon fils, que Barnaba vous touche.


nicodème

J’en suis bien fâché, mais Lanlaire est lâché.


cochemar

Quoi ? nous souffrirons cette méprise !


barbette, croisant les mains sur la poitrine

Tel est l’arrêt du sort.


braquemort

Il faut désabuser le peuple sur l’ouvrage de ce grand enfant.


zonzon

Ce serait de la peine perdue, car nul homme sensé ne voudrait vous croire.


cochemar

Quel coup inattendu !


braquemort

Comment ! un vil milicien nous ferait la loi ?


zonzon

Mettez de l’eau dans votre vin, et croyez qu’il vaut encore mieux être gouverné par un roturier modeste et éclairé, que par un Seigneur sot et ambitieux.


braquemort

Zonzon.


zonzon, tremblotant

Hélas ! quand Hélas ! quand \emph vous étiez enfant dans la plaine, poursuivant les fleurs des chardons..


braquemort

Les chardons n’ont point de fleurs.


zonzon

Ils n’ont point de fleurs ! Cependant on l’a dit ailleurs, et celui qui l’a dit, doit s’y connaitre. Dans tous les cas, quand vous poursuivez les Ils n’ont point de fleurs ! Cependant on l’a dit ailleurs, et celui qui l’a dit, doit s’y connaitre. Dans tous les cas, quand vous poursuivez les \emph fleurs, ou le duvet \emph des chardons, qui se trouvaient sur les monts enlevés par les zéphirs poussant leur haleine, Lanlaire ne s’amusait point à la moutarde comme vous... il renversait des tours, il arrêtait des rivières, il culbutait des montagnes... et reculait des capitales d’un coup de main., Lanlaire ne s’amusait point à la moutarde comme vous... il renversait des tours, il arrêtait des rivières, il culbutait des montagnes... et reculait des capitales d’un coup de main.


cochemar, avec rage

C’est assez que Lanlaire ait le commandement... je l’ordonne. Mais, Lanlaire, n’as-tu pas autre chose à faire ?


lanlaire

C’est égal ! je ferai bien l’un et l’autre à la fois...


cochemar

Vous, peuple abject et bas, disparaissez.


Tout disparait.
nicodème

Grâce au ciel, mon rôle est joué. Je m’en vais, mais comme il faut être poli partout, je crois devoir en prévenir toute l’aimable compagnie.


Scène xviii

Cochemar, Braquemort et Zonzon

cochemar

Lanlaire n’est point encore parti. Ne permettez pas qu’il triomphe... Prends mon épée, Braquemort, vole, et dans un combat singulier, débarrasse-moi de cet homme odieux. Pour la dernière fois, je le livre à ta vengeance. Et toi, Zonzon.


zonzon

Est-ce qu’il a le diable dans le corps !


cochemar

Ami fidèle et vaillant.


zonzon

Vaillant ! c’est me faire trop d’honneur, car la valeur n’a jamais été le défaut de ma famille.


cochemar

Va, dis-je, suis ce brave guerrier, sois témoin de sa vaillance et de son zèle à me servir, et reviens bientôt m’apprendre l’issue de sa glorieuse entreprise.


zonzon

J’obéis. À part. Mais en homme vaillant, je verrai la chose du plus loin qu’il sera possible. Ce n’est pas que je sois poltron, mais c’est parce que je suis d’une complexion pacifique.


Scène xix

Cochemar seul

cochemar

Par une transition subite, passons de la fureur à la joie, de l’ardeur de la vengeance au désir de plaire, de la férocité à la souple galanterie. Les contrastes extraordinaires, frappent, absorbent, et paraissent aux yeux des simples, au dessous de la multitude. Oui, reprenons un air riant, la fête est ordonnée, mais Mirza va bientôt paraître. Puisse-t-elle enfin répondre à mes sentiments passionnés !


Scène xx

Cochemar, Zonzon

zonzon, essoufflé

Me voilà, Seigneur !


cochemar

Comment ! tu es déjà de retour ?


zonzon

Oui, Seigneur.


cochemar

Raconte-moi tout. Cède à mon impatience.


zonzon

Me voilà, Seigneur !


cochemar

Le combat à toute outrance est-il terminé ?


zonzon

Oui, Seigneur.


cochemar

Parle, Zonzon, parle. Je brûle d’être instruit de l’évènement.


zonzon

Me voilà, Seigneur... Lanlaire arrive le premier, Braquemort arrive le second. Si le premier marchait à pied, le second galopait à cheval, autant l’un avait l’air brave et fier comme l’autre avait l’air lâche et présomptueux. Dans cette occurrence, ils s’avancent tous les deux, face à face. Ils se regardent avec leurs yeux, ils se parlent avec leurs voix, et ils s’écoutent avec leurs oreilles. Si la pluie les mouillait, le vent les séchait, le ciel était sur leur tête, la terre sous leurs pieds, et l’air les environnait de tous côtés. Dans cette forte crise... un moment, car le récit en vaut la peine, ou le diable m’emporte...Il se mouche.


cochemar

Qu’il me tarde d’être au bout !


zonzon

Me voilà, Seigneur ! Si vous voulez me remettre le fil de l’histoire, je vais achever.


cochemar

Tu en étais à la forte crise.


zonzon

Déjà ?


cochemar

Finiras-tu, bourreau !


zonzon

Me voilà, Seigneur ! Dans cette forte crise... ils se prennent, ils se quittent. Non, ils ne se quittent point... pardonnez-moi, ils se quittent... ce n’est pas cela... Il est vrai qu’on a beau le voir, c’est si embrouillé que le diable n’y verrait goutte.


cochemar, furieux

C’est trop temporiser.


zonzon

Me voilà, Seigneur. Dans cette crise, le premier fond sur le second, le second sur le premier. Mais dans cette fonderie, rien n’est fondu. Les deux héros se relèvent. Semblables aux monstres de la fable, portant des cornes menaçantes, le premier s’irrite, le second rugit, les traits volent du premier au second. Mais ils sont repoussés du second vers le premier. Enfin, après les avoir vus tantôt morts, tantôt vivants, tantôt en haut, tantôt en bas, j’ai fini, Seigneur, par les laisser... en parfaite santé et veuille le Ciel toujours conserver la vôtre.


cochemar

Ainsi donc aucun d’eux n’a succombé ?


zonzon

Comment donc ! ne vous ai-je pas dit que Braquemort ne vit plus ?


cochemar

Non, tu ne me l’as pas dit.


zonzon

D’honneur, ce n’est pas ma faute, car mon intention était de vous le dire.


cochemar

Braquemort est vaincu !


zonzon

Oui, et voilà justement la raison par laquelle Lanlaire est vainqueur.


cochemar, se promenant avec feu

Mon cœur en frémit, mais c’est égal, chassons cette idée lugubre.


zonzon

Oui, chassez-la. Rien en noircit plus l’imagination que le lugubre.


cochemar

Non, je veux plutôt m’en pénétrer.


zonzon

Vous avez raison, il faut vous en pénétrer.


cochemar

Cependant, ce n’est jamais que la mort d’un homme.


zonzon

Sans doute, et qu’est-ce que c’est qu’un homme de moins pour des gens de votre parage, un grain de sable qu’on foule par distraction.


cochemar

Enfin, mon parti est [pris].


zonzon

Je respire... car ce n’est vraiment pas sans peine.


cochemar

Tandis que pour tout oublier, je vais me livrer aux plaisirs du festin qui s’apprête, toi, va faire la ronde, afin que personne ne s’introduise dans le sérail.


zonzon, avec dépit

Mais Seigneur...


cochemar

Pars. Je n’ai pas le temps de t’écouter, parce qu’il faut qu’on danse.


Scène xi

Cochemar, Larmoyante, Finette, Bagigi, esclaves, eunuques, danseurs

Ils entrent sur l’air de la marche des Janissaires. Quand ils sont placés, le chœur suivant commence. Ils parlent tous à Mirza, qui est toujours larmoyante.
chœur

Air : R’lan tan plan


Un objet qui soupire,
N’a pas ce qu’il désire.
C’est pitoyable vraiment,
En plein plan, r’lan tan plan, tireli ramplan,
De se trainer en pleurant,
Lorsque chacun veut rire.


Lorsque chacun veut rire,
À ce même délire,
Livrez-vous, la belle enfant,
En plein plan, r’lan tan plan, tireli ramplan,
On peut être assurément
Femme très sage et rire.
bagigi

Seigneur, comme nous n’avons ici ni le Dieu des pirouettes, ni la Princesse des rigodons, l’on va donner un ballet de nouvelle fabrique.


Ici l’on exécute une danse de caractère, où Polichinelle et Dame Gigogne forment un pas de deux. Après quoi un danseur déguisé en singe Orang-outan exécute une danse sauvage et burlesque. Lorsque le danseur s’arrête, Finette l’approche, et chante ce qui suit :
finette

Air : Jupiter, un jour, en fureur


En faisant les bêtes parler,
La Fontaine parvint à plaire,
Comme lui nous voudrions faire,
En les forçant à sauter.
Mais si leur danse est indiscrète,
Chacun ici doit l’excuser,
On cherche à vous amuser
Aux dépens d’une bête.
La danse continue.
cochemar

Bagigi, ta fête est charmante, et j’aime tout ce qui part de ton imagination ardente et féconde. Mais, à propos... dis-moi... qui es-tu ? d’où viens-tu ? et que fais-tu ?


bagigi

Quelle sagacité ! Il faut convenir que cet à-propos vient bien, surtout après dix ans de connivence... Je gage que c’est encore quelque fine ruse de votre part pour amener quelque incident.


cochemar

Tu l’as deviné. Allons, rappelle ta gaité, et amuse-nous par le récit plaisant de tes aventures.


bagigi, prend sa mandoline

Il est des gens assez maladroits pour mêler à ce qu’ils disent des mots qui donnent la nuit. Loin de les singer, j’en vais mêler qui donneront le jour.


Air : Je suis natif de Ferrare


1
Comme on veut on fait son histoire,
Et si bonne j’ai la mémoire,
Ma vie en deux mots la voici.
Allegro caro Bagigi.
J’ai couru l’Europe et l’Asie,
Partout d’intriguant la manie
Me rendit souple, adroit, poli.
Hé ! gare, ô fripon Bagigi.
2
Pour triompher dans une affaire,
Ma main jetait de la poussière
Aux yeux du grand et du petit.
Allegro caro Bagigi.
Je me jouais des bonnes âmes,
Mais c’est du commerce des dames
Que j’ai tiré le plus grand fruit.
Hé ! gare, ô fripon Bagigi.
3
Sans même connaitre ma langue,
Je fis drame, factum, harangue,
Dont plus d’une fois on a ri.
Allegro caro Bagigi.
Mais pour avoir voulu trop faire,
Partout on me jette la pierre.
Je suis berné, je suis honni,
Et je vois mon règne fini.

Scène xii

Les mêmes, Zonzon

zonzon

Au secours, main forte, au secours ! Lanlaire vient d’escalader le mur du sérail.


larmoyante

Ô mon cher Lanlaire.


Elle tombe dans les bras de Finette.
cochemar

Nouvelliste de malheur, je devrais te poignarder.


zonzon

À force de répéter vos menaces, vous finirez par n’en faire qu’un jeu de mots.


cochemar

Qu’on le cherche, qu’on l’enchaine. Le plus cruel supplice l’attend. À Larmoyante, avec dépit. Allez, Mirza, allez remettre vos sens.


finette, à part

En vérité, le Monsieur est un modèle de galanterie.


Scène xiii

Cochemar seul

cochemar

Peut-on porter la hardiesse jusqu’à l’insulte ! Je ne sais... une fureur subite s’empare de moi... Elle m’agite... elle me domine... elle m’entraine... Mirza dédaigne mes feux, et c’est pour Lanlaire ! Ah, s’il était là... avec quel plaisir ce bras lui percerait le flanc.


Air : Réveillez-vous, belle endormie

Voir la partition
Informations sur cet air

Mais à quoi bon ces b
L’homme sensé tout bas en rit.

Il a tort, car il n’ignore pas...


Que c’est en faisant des sottises
Que de nos jours on réussit.

Scène xxiv

Cochemar, Barbette

barbette, couvert d’un crêpe

Lanlaire vient d’être remis entre les mains des prêtres du temple, qu’ordonnez-vous ?


cochemar

Que le traitre périsse.


barbette

Craignez de payer de votre couronne un attentat sur sa personne.


cochemar

Vous hésitez ! quoi, vous voudriez faire grâce à l’assassin de votre fils !... Retournez au temple, qu’on l’amène, et prompte vengeance.


Scène xxv

Cochemar

cochemar

Voici l’instant où la haine qui m’assiège va rallumer les tempêtes, et où je pourrai l’assouvir sous les auspices mêmes de Thémis, portant le fer souple des lois ! Que je jouis de ce coup du sort ! Qui, sans les remords qui déchirent les scélérats, que secondent toujours les circonstances les plus heureuses, les méchants goûteraient seuls le bonheur.


Scène xxvi

Cochemar, Barbette, Bagigi, Zonzon, Lanlaire enchaîné, un prêtre portant un drapeau noir, et huit autres en deuil portant des petits fagots de bois sur leurs épaules, dont ils viennent former un bûcher\footnote Il y a deux esclaves qui portent un tremblin en guise de cloche, sur lequel un autre esclave frappe par intervalle. C’est pour faire allusion à la cloche sourde qu’on entend à l’exécution de Tarare.

chœur

Air : Marboroug

Voir la partition
Informations sur cet air

Grave.
On va brûler Lanlaire,
Arborons le drap mortuaire.
Que la nature entière
Pleure ce grand malheur.
Vite.
Mais narguons la douleur.
Dans ce jour de terreur
Chacun de nous espère
Sur certain signe salutaire,
Que l’on verra Lanlaire
Quitte pour avoir peur.
cochemar

Quitte pour avoir peur ! non, ne l’espérez pas. Et toi, téméraire, pour avoir osé violer l’asile de mes plaisirs, tu vas expirer dans les flammes.


lanlaire

Je meurs sans regrets, puisqu’on vient de m’apprendre que ta Mirza n’est point ma Larmoyante.


cochemar

Mirza, n’est pas ton épouse ! À Zonzon. Qu’on aille la chercher.


zonzon

Dieu merci, c’est la dernière commission que je ferai.


cochemar

S’il est vrai qu’elle ne soit pas ta femme, Bagigi subira ton sort pour m’avoir laissé tromper.


bagigi, à part

Quelle frénésie !


cochemar

Hypocrite orgueilleux !


lanlaire

Bacha détesté !


cochemar

Vain fantôme de vertu !


lanlaire

Souverain sans caractère !


cochemar

Soldat faussement brave !


lanlaire

Rougis de tes forfaits.


bagigi

C’est la scène aux sottises.


cochemar

Va, rien ne peut te soustraire à la mort. Qu’on allume le bûcher.


lanlaire

Eh bien, je m’en moque, car je ne puis mourir qu’une fois.


Scène xvii

Les mêmes, Larmoyante, Finette

larmoyante, sautant au cou de Lanlaire

Que vois-je ? c’est toi.


lanlaire

N’en doute point, c’est moi, c’est toi, c’est moi.


zonzon

Oui, mes amis, c’est vous. Embrassez-vous pour la dernière fois.


cochemar

Tu reconnais donc ta femme dans ma Mirza ?


lanlaire

Oui, et ma félicité est à son comble puisque je la retrouve fidèle.


larmoyante

Je le serai jusqu’au tombeau.


cochemar

Quel outrage sanglant ! pour doubler leur tourment, qu’ils périssent ensemble.


lanlaire

C’est la plus grande faveur que tu puisses nous accorder.


larmoyante

Barbare, tigre, cruel, inhumain. Oui, je suis enchantée de mourir, pour avoir la satisfaction de te faire enrager.


cochemar

En ce cas, qu’on suspende leur supplice, car aussi bien, je sens que j’ai faim de leurs peines, et soif de leurs tourments.


Duo

Air : Rondeau,

Voir la partition
Informations sur cet air

larmoyante
Qui croirait qu’un tyran
Peut avoir la complaisance
De retarder l’instant
Du trépas qui nous attend.
lanlaire
Encore une minute,
Et tu verras un incident,
Qui causera sa chute,
Et notre triomphe éclatant.
ensemble, ensemble
Qui croirait qu’un tyran
Peut avoir la complaisance
De retarder l’instant
Du trépas qui nous attend.
On entend un bruit de trompette.
cochemar

Quel bruit ! il redouble... Que vient-on m’annoncer ?


zonzon

C’est quelque nouvelle diablerie.


Scène xviii

Les mêmes, soldats entrant en peloton

definitacteur, chœur des soldats chœurdessoldats
chœurdessoldats

Air : Des fraises

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Informations sur cet air

Sans nul motif à la loi,
Nous osons nous soustraire.
Cochemar tremble pour toi.
Nous voulons avoir pour Roi,
Lanlaire, Lanlaire, Lanlaire.
cochemar
De rebelles, vil essaim,
Redoutez ma colère.
les soldats
Calmez-vous, petit mutin,
Nous voulons pour souverain,
Lanlaire, Lanlaire, Lanlaire.
lanlaire

Air : Oui noir, mais pas si diable

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Informations sur cet air

Quoi ! verrais-je en silence,
Cochemar insulté ?
Vous prenez ma défense,
Mais j’en suis révolté.
Mettez les armes bas,
Ou craignez le trépas.
À Cochemar.
Leur prompte obéissance,
Leur douce complaisance,
Prouve que l’éloquence
Peut tout sur leur grand cœur.
Seigneur, seigneur,
Pardonnez leur fureur.
cochemar

Barbette, que dois-je faire ?


barbette

Vous tuer, Seigneur.


cochemar

Bagigi, quel parti faut-il prendre ?


bagigi

Vous tuer, Seigneur.


cochemar

Mon ami, Zonzon, donne-moi ton avis en conscience.


zonzon

D’abord, il faut que ceci finisse... et le meilleur conseil, est de vous tuer. Une fois cela fait, on n’y songe plus.


cochemar

Allons... puisqu’il faut terminer par quelque chose, je choisis le trépas. Monstres, qui m’entourez, je vous pardonne... et toi, Lanlaire, que j’ai persécuté, que j’ai toujours déchiré, et que je ne cesse d’abhorrer... il est naturel à ce qu’on dit, que je te laisse ma grandeur en héritage. Sois Bacha... Cochemar donne le bâton à trois queues à Lanlaire. Voilà mes trois queues... fais-en un meilleur usage que moi si tu peux.


Il se tue.
lanlaire

Malheureux... qu’il est donc bête de se tuer.


bagigi

Halte-là... un dénouement doit être brusqué, et puisque le Seigneur est mort, il est inutile de recommencer à faire du train.


lanlaire

Je ne veux point régner.


bagigi

Mon ami, tu régneras.


larmoyante

Règne, mon cher Lanlaire, je t’en prie.


finette

Oui, régnez, je vous prie... nous aurons bien du plaisir à tenir le sceptre à la main.


lanlaire

Je ne suis point votre maître par droit de naissance.


zonzon

Parbleu, tu ne seras pas le premier Prince de hasard.


lanlaire

Mais, réfléchissez, je ne suis qu’un gueux téméraire sorti de la fange.


bagigi

Tant mieux, il n’y a que ceux-là qui parviennent.


lanlaire

Comment ! tu veux...


bagigi, trépignant des pieds

Mon dieu ! que l’on a raison de dire que Mon dieu ! que l’on a raison de dire que \emph les gens d’esprit sont bêtes..


zonzon, naïvement

Ce que tu dis est-il bien vrai ?


bagigi

D’autant plus vrai, que le premier qui l’a dit avait bien ses raisons pour le croire.


lanlaire

Mes amis, vous exigez un effort impossible.


bagigi

Trêve de scrupules... il est convenu que tu dois régner Trêve de scrupules... il est convenu que tu dois régner \emph pour l’exemple des rois, et de l’humanité..


lanlaire

C’en est fait, et voilà des chaines avec lesquelles je vais m’emmailloter C’en est fait, et voilà des chaines avec lesquelles je vais m’emmailloter \emph au bonheur de l’état..


Un coup de tonnerre se fait entendre dans les airs. Arlequin s’agite, va, vient, et finit par ranger tout le monde en haie. Le Génie procréant et le Génie porte-feu paraissent au fond du théâtre.

Scène xxix

Les mêmes, le Génie procréant et le Génie porte-feu

portefeu

Qu’un silence universel règne dans ces lieux.


le génie procréant

Bagigi répond pour tout le monde. À quoi avez-vous employé l’existence que je vous ai donnée ?


bagigi

À courir, à chanter, à danser, et à médire.


le génie procréant

Dans ces quatre opérations, quel était votre but ?


bagigi

D’étourdir par de grands mouvements, d’éblouir en fascinant machinalement les yeux, et de tenir les spectateurs en haleine pendant quelques mortelles heures, pour leur faire voir, comme dans une lanterne magique, qu’une recrue imbécile peut devenir un monarque puissant.


la nature

L’exemple n’offre rien de nouveau, et les moyens de le produire sont fastidieux. Aussi, l’abus que vous avez fait de votre courte existence, m’engage à faire éclater ici tout mon pouvoir. Votre destruction est irrévocable. Vous allez rentrer dans le chaos, pour reprendre aussitôt une forme nouvelle. Mais dans cette prompte métamorphose, chacun de vous conservera le caractère qui l’avait distingué aux yeux du monde.


tous, ensemble

Grâce, pardon.


le génie procréant

Fléchissez... votre destruction est irrévocable.


S’adressant à Larmoyante.
Triste, froide, et toujours prête à se poignarder,
En prenant d’un cyprès la forme peu jolie.
Dans Larmoyante ici chacun va regarder
L’emblème affreux de la monotonie,
Dont sur la scène on doit bien se garder.
Larmoyante s’enfonce sous terre, et reparaît tout à coup en cyprès.
le génie procréant, à Lanlaire
En Lanlaire on a cru couronner un guerrier !
Souvent d’honneurs on pare un bien sot personnage.
Plus juste dans ce jour, je le change en laurier,
Qui sera du vrai sage à jamais le partage.
Lanlaire s’abîme et reparait en laurier.
le génie procréant, à Finette
Par son manège adroit, et trop digne de blâme,
Finette aux yeux de tous deviendras perroquet.
portefeu
Elle ne pourra pas se plaindre de l’arrêt.
Dès qu’il lui reste le caquet,
Ce n’est point cesser d’être femme.
Finette disparait, et lui succède un beau perroquet perché sur un bâton.
le génie procréant, à Barbette
Par la double couleur de son léger feuillage,
Le tilleul peint la fausseté.
Tartuffe ambitieux, pour ta duplicité
Devient tilleul... pour rendre encor plus grand l’outrage,
Tu ne verras jamais assis sous ton ombrage
La pudeur ni la vérité.
Barbette s’enfonce, et reparait en tilleul.
le génie procréant, à Bagigi
Sans éblouir, heureux qui peut séduire,
Mais pour avoir séduit, en nous éblouissant,
En singe, sans pitié, je vais te reproduire.
portefeu
Il ne perd rien au changement,
Puisqu’en singe il pourra toujours vous faire rire.
zonzon

Belle Princesse... Faites de moi plutôt un éléphant, un cheval, un lion, ou bien un rosier pompon, mais au nom de M. le Comte que voilà, ne me flétrissez pas.


le génie procréant, relève Zonzon

Moi, te flétrit ! Non, mon ami, je te connais, et veux te conserver avec soin. Ton costume, ta candeur, ta franchise, et ta gaité, rappellent le souvenir d’un homme (Carlin) qui fut cher à tous les cœurs.


zonzon

Vous me faites pleurer d’attendrissement.


le génie procréant

Rassure-toi... un Arlequin doit toujours rester dans les lieux qu’il a fondés, qu’il a embellis, et où l’on ne s’étudie qu’à imiter la nature.


zonzon, avec effusion de joie

Ah ! Madame... Ah ! Monsieur... je suis si pénétré... si touché... la joie... la reconnaissance... enfin les sentiments les plus doux sont en guerre dans mon cœur... et je voudrais pouvoir les exprimer.


le génie procréant

Il suffit. Pour te prouver ma satisfaction, je veux que désormais tu me suives partout. Et vous, peuple, je vous pardonne. Vous ne devez pas partager la punition de vos chefs coupables.


vaudeville

Air :


4
zonzon
Sans former aucun murmure
Pour jamais je suis à vous.
Et mon destin, je le jure,
Va faire plus d’un jaloux.
Protégé par la nature
On brave dans ses travaux,
Et les méchants et les sots.
5
le génie procréant
Loin de nous toute parure.
Effort impuissant de l’art.
Ici jamais l’imposture
Ne fixa votre regard.
Votre idole est la nature.
L’acteur qui la suit de près
Est toujours sûr du succès.
6
portefeu
Si quelque forte saillie
A pu choquer votre esprit.
Pardonnez... c’est la folie
Qui seule a dicté l’écrit.
Toujours une parodie
Doit faire tant bien que mal,
Rire de l’original.

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